Par Raquel Varela.
La révolution portugaise a été au cœur des débats stratégiques de la gauche radicale des années 1970. Dernière expérience révolutionnaire en Europe occidentale, elle a été un véritable champ d’essai de la stratégie eurocommuniste (définie par les PC européens dans ces mêmes années) et en révèle aussi les points aveugles. Dans cet article, l’historienne Raquel Varela propose une critique incisive de la stratégie du Parti communiste portugais (PCP) face à la vague de nationalisations et de luttes ouvrières qui ont suivi la dite « révolution des Œillets ». Plutôt que de s’appuyer sur les institutions obtenues par le prolétariat et les couches subalternes pour aiguiser leurs luttes, le PCP les a mises au service d’un sauvetage du capitalisme portugais. Cette étude détaillée esquisse les clivages entre une stratégie réformiste, basée sur la modération salariale, et une stratégie révolutionnaire.
La Révolution portugaise demeure connue pour l’histoire comme la révolution des œillets, du nom des fleurs que les femmes de Lisbonne entreprirent spontanément de glisser dans les fusils des soldats. Elle commença le 25 avril 1974 à travers un coup militaire dirigé contre le régime salazaro-marcelliste et sa guerre coloniale, et fut seulement vaincue 19 mois plus tard, de nouveau par un coup militaire, le 25 novembre 1975. Ce processus fut marqué par le rôle politique central d’un mouvement ouvrier et social puissant, qui se déploya dans tous les secteurs de la société portugaise, en particulier – mais pas seulement – dans le secteur industriel. Au-delà des travailleurs•ses directement lié•e•s à la production de valeur, et particulièrement des ouvriers•ères industriel•le•s et des salarié•e•s agricoles, la Révolution portugaise se caractérisa par des conflits sociaux très radicaux dans le monde étudiant, les services, le secteur informel, une large participation des femmes et des secteurs subalternes et intermédiaires des forces armées. La conflictualité sociale au Portugal en 1974-1975 eut ainsi une ampleur nationale.