En France comme en Espagne, l’année 1936 est celle qui voit le Kremlin mettre en œuvre sa politique de « Front populaire », devenue ensuite emblématique de la politique des partis communistes.
Au nom de la défense de « la démocratie », il s’agissait de constituer de larges alliances, ce qui revenait à subordonner le mouvement ouvrier à la bourgeoisie libérale (« radicaux » français ou « républicains » espagnols). Éventuellement, comme ce fut le cas en Espagne, on dénoncera comme « provocateurs » les militants qui interviennent pour une révolution sociale : anarchistes, trotskistes ou autres.
Dit autrement, cette politique est la négation exacte de celle dite de front unique ouvrier, visant à unir les rangs du mouvement ouvrier contre toutes les fractions capitalistes, fussent-elles « démocratiques ».
Prémisses d’une politique de renoncements
C’est en janvier 1936 que fut connu le programme du « Frente popular ». On pouvait y lire des perles telles que « les républicains n’acceptent pas l’allocation de chômage demandée par les représentants ouvriers »... Encore plus nettement : « la République telle que la conçoivent les partis républicains n’est pas une République dirigée par des motifs sociaux ou économiques de classe, mais un régime démocratique ».
Au final, les seuls engagements précis étaient une « large amnistie », ce qui était effectivement capital, et une réforme agraire, étant entendu que « les républicains n’acceptent pas le principe de la nationalisation de la terre et sa remise gratuite aux paysans demandée par les délégués du PS ».
La révolution commence
Malgré ce programme, le gouvernement issu du vote de février 1936 s’avéra incapable de garder le contrôle de la situation, de faire refluer le mouvement populaire. Ainsi phalangistes et syndicalistes s’entretuaient dans les rues de Madrid. Pour la bourgeoisie, le recours à l’armée s’avéra indispensable pour endiguer cette crise révolutionnaire.
Le « pronunciamento » franquiste débuta donc en juillet 1936, et radicalisa d’abord un peu plus le mouvement populaire. Dans un premier temps, ouvriers et paysans mirent Franco en échec. Dans les zones insurgées, divers organes de pouvoir populaire se constituèrent, en premier lieu des milices, mais aussi des comités divers. Une nouvelle forme d’État émergeait de la résistance populaire.
Évidemment, un tel mouvement ne pouvait que se heurter au gouvernement de Front populaire, dont l’objectif était de se concilier les impérialismes démocratiques (cf. le cas marocain), l’inverse donc de ce qu’exprimaient les travailleurs espagnols. Jusqu’aux journées de Barcelone (mai 1937), on assista à un affrontement permanent entres les masses révolutionnaires et le gouvernement républicain, flanqué du PC et du PSOE. Deux ministres anarchistes participent au gouvernement central, et un du POUM à celui de Catalogne, ce qui interdisait l’émergence de toute opposition de gauche significative.
Au nom du fait que la révolution espagnole était « démocratique bourgeoise » (D. Ibarruri, PCE), il fallait rétablir la légalité, satisfaire la (faible) bourgeoisie républicaine. Ce fut effectif avec l’écrasement des travailleurs catalans, qui ouvre la voie de la reprise en main par le gouvernement en zone républicaine. Tout le problème est que cette politique mena au désarroi, à la démobilisation des ouvriers et paysans. La voie était ouverte pour les franquistes, et le Front populaire avait rempli sa terrible fonction…
P. M.