Les événements d’Espagne se sont joués dans un contexte international marqué par la grande crise de 1929, la montée du fascisme et des affrontements inter-impérialistes.
Pays pauvre et économiquement arriéré, l’Espagne était depuis des années le terrain d’innombrables luttes d’une paysannerie très pauvre et d’une classe ouvrière surexploitée, organisées essentiellement dans la CNT libertaire et l’UGT, syndicat associé au Parti socialiste, contre une bourgeoisie qui alliait, souvent dans une même personne, propriété foncière et spéculation financière. La dictature militaire qu’imposait depuis 1923 au côté du roi Alphonse XIII le général Primo de Rivera maintenait un semblant de « paix sociale ».
Celle-ci vola en éclats avec la crise de 1929. Avec la récession naquit un regain de la contestation sociale. De crainte de lui voir tout emporter sur son passage, l’oligarchie foncière et financière qui tirait les ficelles du pouvoir décida de lâcher du lest. C’est d’abord Primo de Rivera qui laissa la place à un « réformateur », puis le roi lui-même après la victoire de listes républicaines et socialistes aux municipales de 1931. La bourgeoisie elle-même proclama la république le 14 avril 1931.
Cette république fut immédiatement prise entre les intérêts contradictoires qui minaient la société espagnole. Elle s’avérera très vite tout aussi incapable d’assurer la paix sociale à laquelle aspirait la bourgeoisie, que de satisfaire les besoins les plus immédiats des classes populaires, ouvriers et paysans.
La bourgeoisie lorgne vers le fascisme…
Face à cette impuissance, la bourgeoisie espagnole et ses béquilles, l’église et l’armée, ne tardèrent pas à se décider pour un retour à l’« État fort ». Un coup d’État militaire fut tenté dès 1932, déjoué par la mobilisation populaire. Une autre option est le fascisme. Mussolini, au pouvoir depuis 8 ans en Italie, inspirait une partie des dirigeants politiques.
En 1933 est créée la CEDA (confédération espagnole des droites autonomes) par Gil Robles, disciple de Mussolini. Il espérait arriver au pouvoir par les élections pour instaurer sa propre dictature. La CEDA gagna effectivement les élections de 1933, mais de crainte des réactions ouvrières, la bourgeoisie recula et constitua un gouvernement sans membre de la CEDA.
Et c’est en fin de compte Franco, qui appliquera le « programme fasciste » : destruction des organisations ouvrières et démocratiques, prison, torture, mort pour des centaines de milliers de leurs militants.
… les ouvriers et les paysans vers la révolution sociale
La révolution sociale était, elle aussi, bien présente dans les esprits. À peine 13 ans plus tôt, les ouvriers, les paysans et les soldats russes avaient renversé, en février 1917, le pouvoir du Tsar, puis, en octobre, celui de la bourgeoisie, pour instaurer leur propre gouvernement, faire leur révolution sociale. Cela inspirait une frousse mortelle à la bourgeoisie. C’était aussi un formidable encouragement aux mobilisations, la preuve concrète que « c’est possible », donnant un objectif concret aux luttes sociales : prendre le pouvoir, instaurer le socialisme…
Mais il y avait un revers à cette médaille, la menace que constituait pour le mouvement ouvrier international l’évolution de l’URSS et du mouvement communiste sous le joug de la bureaucratie stalinienne. En 1931, Trotski écrivait dans La révolution espagnole et les dangers qui la menacent : « Les ouvriers espagnols se tournent avec confiance vers l’Union soviétique née de la révolution d’Octobre. Cet état d’esprit constitue un capital précieux pour le communisme. […] Mais il ne faut pas permettre que l’on abuse de la fidélité des ouvriers à la révolution d’Octobre pour leur imposer une politique qui va à l’encontre de toutes les leçons et enseignements légués par Octobre. Il faut parler clairement. […] Un danger immédiat menace la révolution prolétarienne en Espagne, qui vient de la direction actuelle de l’Internationale communiste... »
Un danger qui se concrétisera dès 1935 avec le virage de Staline vers la politique de « main tendue aux démocraties », d’où émergera la politique de Front populaire. C’est cette politique qui est derrière la contre-révolution républicaine menée en Espagne par le pouvoir républicain.
D. M.