Dans son dernier ouvrage, Abdellali Hajjat montre que les frontières de l’ « identité nationale » sont mouvantes dans l’histoire. Il propose d’abord une socio-histoire du concept d’assimilation, revenant sur la façon dont la politique d’assimilation a prolongé la théorie de la guerre de races, et comment elle a été l’instrument d’une « guerre menée par d’autres moyens ». Ensuite, l’auteur aborde la notion d’« intégration », qui prédomine après les décolonisations dans les discours de la gauche et de la droite parlementaires tandis que l’extrême droite continue de parler d’assimilation. Abdellali Hajjat montre que, dans le même temps, la race est remplacée par des critères socio-culturels et comment en particulier la République devient une « citadelle assiégée devant la montée de l’islamisme. » Il s’engage alors dans une étude ethnographique dans les bureaux de l’administration montrant comment les injonctions gouvernementales autour de la naturalisation sont mises en œuvre au quotidien.
Il constate que dans les coulisses de l’État, les personnels de préfecture utilisent les marges de manœuvre que leur permettent les instructions officielles, les « profils » des salariéEs de l’administration ayant des implications dans les naturalisations. Parmi les questions saillantes, le sociologue s’intéresse particulièrement à la façon dont le hijab ou la polygamie sont devenus des critères dans la naturalisation et la difficulté qu’il y a à distinguer, comme le voudrait le gouvernement, les « bons » des « mauvais » musulmans. Il revient sur le flou des directives, les agents étant censés différencier le voile du foulard, par exemple, mais ne mettant pas forcément les même définitions derrière. Enfin, Hajjat compare les juridictions coloniales et postcoloniales et montre que si la sexualité est toujours un enjeu dans les relations de pouvoir, les deux systèmes sont de nature différente puisque « les candidats en question ont non seulement la possibilité de demander la nationalité française, mais ils disposent de ressources pour contester une décision négative de l’administration. » Alors que l’islamophobie est une des nouvelles formes que prend le racisme, cet ouvrage est indispensable pour comprendre les ressorts idéologiques qui l’informent et les logiques institutionnelles qui le constituent.
Vincent Gay, Lisbeth Sal
La Découverte, 337 pages, 25 euros