Le 7 avril, trois jours à peine après son arrivée à Petrograd, Lénine publiait dans la Pravda un article intitulé « Les tâches du prolétariat dans la présente révolution » qui sera plus tard désigné par le nom de « Thèses d’avril ».
Ce texte, publié sous le seul nom de Lénine, constituait un projet de résolution que le comité central des Bolcheviques venait de mettre très largement en minorité. Il constituait une critique radicale de l’orientation prise, sous l’impulsion de Kamenev et de Staline, par la direction russe des Bolcheviques, qui depuis la révolution de février avait de fait apporté son soutien au gouvernement provisoire, ce qui l’avait aussi amené à envisager de fusionner avec les mencheviques pour réunifier le Parti social-démocrate russe.
Fin des compromis
S’inscrivant en faux contre cette orientation, les Thèses d’avril affirmaient que le gouvernement provisoire ne constituait qu’un gouvernement bourgeois et que la guerre qu’il continuait à mener n’avait pas changé de nature en devenant une guerre de défense révolutionnaire, mais restait une guerre de brigandage impérialiste que les bolcheviques devaient radicalement combattre. Estimant que le temps des compromis était révolu, Lénine se prononçait contre toute conciliation avec les mencheviques et pour la rupture définitive avec la IIe Internationale et les centristes zimmerwaldiens, ce qui l’amenait à suggérer symboliquement aux bolcheviques de renoncer à leur référence à la « social-démocratie » pour créer un nouveau « parti communiste ».
En toute logique, cette politique d’opposition au gouvernement amenait Lénine à proposer de s’orienter vers une stratégie de conquête du pouvoir, ce qui constituait une rupture dans sa pensée stratégique, puisqu’il n’avait jusque-là guère pensé de marche vers un socialisme russe que dans le cadre d’une déflagration plus générale du capitalisme européen. Ce saut théorique était permis par la puissance acquise par les soviets, dans lequel il voyait le fondement d’un nouvel « État-Commune », autrement dit d’un État fondé sur les principes de la Commune de Paris.
Vers la république des soviets
En conséquence, Lénine proposait d’utiliser les possibilités ouvertes par l’installation d’une république démocratique pour se livrer à une vaste opération de propagande pour la création d’une république des soviets, qui reprendrait les acquis de la Commune de Paris en supprimant la police, l’armée et le corps des fonctionnaires. Il se refusait ainsi à toute tentative de mise en place prématurée d’une dictature ouvrière, s’orientant vers une conquête de l’hégémonie politique qui devait faire toute sa place aux masses paysannes. C’est dans cet esprit qu’il proposait un nouveau programme, faisant de la confiscation de la grande propriété foncière un axe prioritaire.
Si, à leur parution, les Thèses d’avril ne constituait au sein des Bolcheviques qu’une orientation très minoritaire, un mois plus tard elles étaient devenues hégémoniques dans le parti en raison de l’échec patent de la politique de défense révolutionnaire menée par le gouvernement provisoire. La réorientation imposée par Lénine avait scellé définitivement les projets de réunification du Parti social-démocrate russe et par là même le destin de la IIe Internationale.
Rejoignant la théorie de la « révolution permanente », les Thèses d’avril ouvraient en revanche la voie d’une fusion des Vieux-Bolcheviques avec le groupe de Trotski qui, à son arrivée en mai à Petrograd, fit le constat que plus rien ne le séparait de Lénine. La fusion fut actée en août, donnant ainsi naissance, sur un plan idéologique autant que pratique, au « Parti de Lénine et de Trotski »...
Laurent Ripart