Les années 1960 sont marquées par une hausse des effectifs de l’enseignement supérieur, le nombre d’étudiantEs passant de 215 000 en 1960-1961 à 500 000 en mai 1968, soit une croissance annuelle de 40 000 étudiantEs. Ni les locaux ni le personnel ne suivent. La nouvelle faculté de Nanterre devant désengorger la Sorbonne est représentative d’une situation générale : problèmes matériels, inégalités et inquiétude sur l’avenir car si on parle de la dévalorisation des diplômes, la société se préoccupe à nouveau du chômage car il augmente, notamment chez les jeunes. Les dispositions de la réforme Fouchet, ministre de l’Éducation nationale devenant ministre de l’Intérieur en 1968, doivent entrer en vigueur à la rentrée 1968-1969. Au conseil des ministres, avec l’appui du général-président De Gaulle, la sélection à l’entrée des universités est mise à l’ordre du jour.
Ce terreau est fertile pour une remontée des luttes étudiantes. Le 6 novembre 1967, jour de la « rentrée solennelle » de l’université à la Sorbonne, un imposant cortège défile, à l’appel de l’Unef, boulevard Saint-Michel et s’affronte – déjà – avec la police ; les gardiens de la paix sont surpris par la détermination des jeunes. En janvier 1968, à Caen, de nombreux étudiantEs participent avec les travailleurs de la Saviem, notamment les jeunes ouvriers, aux manifestations et aux affrontements avec les CRS et les gardes mobiles. Le syndicat étudiant, l’Unef, qui à la fin de la guerre d’Algérie syndiquait un étudiant sur deux, est affaibli. Elle est privée d’une partie de sa fonction syndicale, ostracisée par un gouvernement désireux de lui faire payer son engagement anticolonialiste. L’Unef est divisée, hésitant entre diverses options, et la crise qui a frappé en 1965 les organisations de jeunesse politiques ou confessionnelles se réfracte en son sein.
De l’UEC sont sorties la JCR (ancêtre de la LCR) et les maoïstes de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJCML). La Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) a été épurée de ses dissidents. Les Étudiants socialistes unifiés (ESU), les libertaires, la Fédération des étudiants révolutionnaires (FER) se développent. L’Unef est en partie le théâtre des débats entre ces différents courants. Toutefois dans beaucoup d’AGE (structure de base par ville) ou « corpos » (sections de faculté ou de discipline), notamment en province, l’Unef demeure un lieu de socialisation, avec un rôle de gestionnaire de services. Quand en 1967 les étudiantEs du PSU en prennent la direction, elle regroupe encore unE étudiantE sur dix. En avril 1968 Jacques Sauvageot remplace provisoirement le président démissionnaire.
Malgré ses difficultés l’Unef demeure un cadre fédérateur et reconnu dans le mouvement ouvrier. Elle participe de l’intersyndicalisme, présente dans la manifestation CGT-CFDT du 13 décembre 1967 contre les ordonnances sur la Sécurité sociale. En l’absence d’unité syndicale elle ne défile pas avec la seule CGT le 1er mai 1968. Les étudiantEs qui essayent de s’intégrer dans ce défilé au prix de frictions avec le service d’ordre syndical sont ceux de l’UJCML qui veulent « servir le peuple », et celui d’étudiantEs de Nanterre qui viennent de constituer un « Mouvement du 22 mars » regroupant syndiqués et non-syndiqués.
C’est dans ces conditions que le mouvement étudiant aborde le 3 mai 1968, qui va constituer la première phase de la « révolution de Mai ».
Robi Morder