Fin juin 2017, deux plaintes ont été déposées contre l’Etat français et la banque BNP-Paribas pour complicité de génocide avec le régime hutu qui, entre avril et juillet 1994, a fait massacrer 800 000 Tutsis au Rwanda. Selon celle déposée par trois associations concernant la BNP, cette dernière aurait financé « l’achat de 80 tonnes d’armes ayant servi à la perpétration du génocide » alors que « la banque ne pouvait douter des intentions génocidaires des autorités du pays pour qui elle a autorisé le transfert de fonds » en 1994. La seconde plainte vise à faire reconnaître « l’implication de politiques et militaires français dans la coopération avec le gouvernement rwandais avant, pendant et après le génocide ».
En quoi a donc consisté cette « coopération » ? Dès 1990, la France intervient au Rwanda afin d’aider le régime hutu de Juvénal Habyarimana face à l’offensive du Front patriotique rwandais (FPR), armée constituée de Tutsis ayant été expulsés du pays par le pouvoir raciste hutu. Dès cette époque, des notes émanant de l’ambassade de France à Kigali (capitale du Rwanda) attestent que les autorités françaises connaissent les intentions génocidaires du régime de Habyarimana. Cela n’empêche pas les militaires français, entre 1990 et 1993, d’encadrer l’armée rwandaise, de lui fournir des armes et de former les miliciens qui opèreront pendant le génocide : les sinistres Interahamwe (« ceux qui tuent ensemble »).
Puis, juste après l’assassinat de Habyarimana et le début du génocide, en avril 1994, la France lance l’opération Amaryllis dont le but officiel est d’exfiltrer ses ressortissants. Cette opération permet surtout d’assurer en sous-main la mise en place et la sécurité du nouveau gouvernement hutu, formé dans l’enceinte même de l’ambassade de France et dirigé par le colonel Bagosora, aujourd’hui emprisonné à vie pour crime contre l’humanité. La France sera le seul Etat au monde à reconnaître ce gouvernement !
Enfin, en juillet 1994, alors que le génocide s’achève avec la victoire militaire du FPR, l’Etat français déclenche l’opération Turquoise afin de « mettre fin aux massacres partout où cela sera possible ». En réalité, ce dispositif sert principalement à créer une zone de refuge dans l’ouest du pays pour les miliciens génocidaires hutus, lesquels sont réarmés et exfiltrés par l’armée française dans le pays voisin, l’actuelle République Démocratique du Congo.
Tous ces faits ont été largement décrits par des journalistes et des associations, et pourtant les militaires et hommes politiques engagés dans cette complicité de génocide n’ont jamais été inquiétés par la justice française.
Une commission d’enquête parlementaire, en 1998, ne conclut qu’à un « aveuglement coupable » de la France. En 2014, pour le 20e anniversaire du génocide, Hollande promet d’ouvrir les archives de l’Elysée, mais les hauts fonctionnaires chargés de faire le tri dans les documents préfèrent « refermer les cartons », expliquant « qu’il serait très problématique pour les personnes concernées que ces documents soient communiqués », rapporte Patrick de Saint-Exupéry dans un article pour la revue XXI.
Cette même année, la classe politique se fait unanime pour condamner les accusations de complicité de génocide du président rwandais Paul Kagamé. Le Parti de gauche s’illustre alors singulièrement et prétend – dans communiqué surréaliste intitulé Rwanda : les faits, tous les faits, rien que les faits – que l’armée française est « la seule armée qui a protégé des tutsis pendant le génocide ». Au même moment, le journal Le Monde publie le témoignage d’un gradé de l’armée française, Guillaume Ancelme, certifiant que les militaires français ont réarmé les milices génocidaires hutues en déroute, en juillet 1994.
Alors que le doute sur la complicité française dans le génocide tutsi n’est plus permis, il serait grand temps que la justice de ce pays brise l’omerta qui pèse sur l’un des plus grands crimes de la « Françafrique ».
Oscar Toussaint