Le 6 février 2018, après des mouvements de grève d’une ampleur inédite depuis des années, la puissante fédération syndicale de la métallurgie IG Metall, affiliée à la confédération hégémonique DGB, et le patronat se sont mis d’accord sur un nouveau « contrat tarifaire » (à peu près équivalent à une convention collective en droit français). Que contient-il et quel bilan en tirer ?
Comme de coutume, ce contrat collectif ne vaudra d’abord que pour le Bade-Wurtemberg, région prospère du sud-ouest de l’Allemagne où se trouve concentrée une bonne part de l’industrie automobile. Ses contenus devraient être étendus ensuite à d’autres régions, dans des conditions dépendant des rapports de forces du moment.
La négociation s’annonçait cette fois plus compliquée que d’habitude. Des débrayages puis des grèves «d’avertissement » avaient eu lieu en janvier, et le conflit s’était durci en fin de mois avec des grèves partielles. Pour la première fois depuis des décennies, IG Metall ne se contentait pas d’appels à des grèves de quelques heures, mais lançait des mots d’ordre d’au moins 24 heures. Environ 500 000 salariés y ont participé, fin janvier et début février 2018. La « perte de production » pour les entreprises a été chiffrée entre 770 et 980 millions d’euros.
IG Metall affichait des revendications substantielles : une augmentation salariale de l’ordre de 8 % – c’est en gros la moitié qui a été obtenu – et le passage à une semaine de travail de 28 heures (au lieu de 35) pendant deux ans pour les parents ou les personnes soignant des membres de leur famille âgés ou dépendants.
A l’arrivée, IG Metall revendique un succès : oui, les groupes concernés, tout comme les travailleurs en 3 x 8, pourront passer à 28 heures sur une durée comprise entre six et vingt-quatre mois. Toutefois, contrairement à ce qui avait été demandé, cette réduction du temps de travail ne se fera pas à salaire constant : il s’agit d’un simple passage d’un temps complet à un (gros) temps partiel, avec réduction correspondante du salaire. IG Metall célèbre cependant cette mesure comme « une prise en compte des rythmes de la vie, qui ne passent plus systématiquement derrière les rythmes de travail ».
Toujours est-il que l’employeur pourra refuser toute demande individuelle de passage aux 28 heures si plus de 10 % du personnel sont déjà concernés par un tel mécanisme, ou encore si 18 % travaillent déjà à temps partiel (au sens classique, hors semaine des 28 heures). Par ailleurs et surtout, le patronat a aussi obtenu qu’en parallèle, les employeurs puissent augmenter le temps de travail pour d’autres groupes de salariés qui l’accepteront. Jusqu’à 18 % du personnel pourront ainsi travailler régulièrement 40 heures au lieu de 35 – sans majoration des heures supplémentaires. Ce n’est qu’à partir d’une proportion de 22 % que le « Betriebsrat » (conseil d’établissement), organe élu des salariés, pourra exercer un droit d’opposition s’il le souhaite. Et ce sont même 30 % du personnel qui pourront travailler 40 heures hebdomadaires en cas de « pénurie de personnels qualifiés », voire 50 % dans les entreprises « à forte proportion de rémunérations élevées » (quand au moins la moitié du personnel gagne 5500 euros bruts ou plus), ce qui concerne les secteurs de pointe les plus tournés vers l’exportation et employant le plus de personnel qualifié.
Alors que le magazine Der Spiegel juge qu’« à la fois » la fédération IG Metall et le patronat auraient imposé leur point de vue, il y a surtout à retenir que la flexibilisation du temps de travail – parfois sur demande des salariés eux-mêmes (mais avec perte correspondante de rémunération), mais bien souvent dans l’intérêt de l’employeur – a gagné du terrain. Un hebdomadaire de gauche berlinois a trouvé cette formule, pour titrer un article sur le sujet : « la flexibilité au lieu de la lutte de classe. »1
Il est vrai qu’IG Metall avait tenté de coller au plus près possible des aspirations de sa base : avant l’ouverture des négociations, elle avait distribué un questionnaire pour connaître les souhaits des salariés. 680 000 travailleurs et travailleuses y avaient répondu. Il en ressortait qu’une plus grande compatibilité entre vie familiale et travail, surtout sous forme d’une réduction temporaire du temps de travail après une naissance (plébiscitée par 82 % des personnes ayant répondu), était largement souhaitée.
Mais si cette demande a partiellement abouti (au prix d’une diminution du salaire), cela a aussi et surtout été obtenu dans le cadre d’un « échange » contre une flexibilisation du temps de travail favorable aux employeurs. La réduction du temps de travail hebdomadaire se fera par ailleurs sur demande individuelle, en dehors de toute logique de réduction plus ou moins massive du temps de travail collectif.
Bertold du Ryon
- 1. Voir https ://jungle.world/artikel/2018/07/flexibilitaet-statt-klassenkampf