Moins de 24h après les élections primaires pour définir les candidats à la présidentielle d’octobre prochain, les salaires ont perdu 25% de leur valeur dans une dévaluation record orchestrée par les grands capitalistes du pays. La situation sociale se tend de plus en plus et des mobilisations font irruption dans différentes villes du pays, impulsées par les mouvements de chômeurs, des secteurs de jeunes et de travailleurs et par les organisations de la gauche révolutionnaire qui refusent de payer la crise.
La droite néo-libérale subit une importante défaite aux élections
Après 3 mois de campagne électorale et dans le contexte d’une crise économique et politique profonde qui traverse le pays, sous fond d’inflation et précarité, le président sortant Macri et la droite néo-libérale au pouvoir ont subi une importante défaite électorale face à l’opposition péroniste-kirchneriste qui portait la candidature d’Alberto Fernandez en ces élections.
Ces élections primaires, ouvertes, simultanées et obligatoires (PASO) ont de fait joué le rôle d’une anticipation des élections générales qui doivent avoir lieu en octobre prochain. La victoire de l’opposition péroniste pour plus de 15 points a bousculé la situation car aucun sondage n’avait prévu une telle déroute pour la coalition au pouvoir.
Une crise que les travailleurs et les secteurs populaires ne veulent pas payer
Le vote en ces primaires exprime donc une volonté de sanctionner et de rejeter toutes les politiques austéritaires menées par le gouvernement Macri, totalement subordonné à la volonté du FMI qui cherche à infliger des nouvelles attaques à l’ensemble de la population. Ce n’est pas pour rien que Macri a eu le soutien explicite de Trump lors de ces élections.
La longue transition jusqu’à l’élection du nouveau gouvernement, très probablement celui de l’actuelle opposition péroniste, qui n’assumera ses fonctions qu’au mois de décembre, est donc ouverte. Mais dès le lendemain de l’élection, un véritable chantage a été opéré par les grands capitalistes du pays, les grands banquiers et les grands patrons fonciers. Les conséquences pour la population sont sans appel : perte de 25% de la valeur des salaires suite à la dévaluation de la monnaie, de même que pour les retraites et les allocations pour les secteurs les plus précaires. Les prix ont fortement augmenté, et certains commerçants font même de la rétention de certains produits par peur de devoir les payer beaucoup plus cher aux fournisseurs. On a vu également plusieurs entreprises mettre au « chômage technique » les salariés, ou directement mettre la clé sous la porte en laissant sur le carreau des milliers de travailleurs.
Le sentiment généralisé de la population, notamment des secteurs populaires et précaires, est d’être encore une fois les dindons de la farce, et de devoir pour une énième fois payer pour une crise dont ils ne sont pas responsables. Les débats sur que faire face à cette situation inondent les réseaux sociaux, les lieux de travail et d’étude, les files d’attente aux supermarchés.
Quant à l’opposition péroniste, elle appelle à la responsabilité et à attendre tranquillement le mois de décembre, moment où la passation de pouvoir devrait avoir lieu. Elle affirme dès maintenant vouloir payer la dette mirobolante envers le FMI et respecter les engagements pris par le gouvernement Macri, ce qui ne pourra se faire qu’au prix d’infliger des nouvelles attaques contre les travailleurs et les secteurs les plus pauvres. Alors que des millions de travailleurs et de jeunes espèrent que le retour des péronistes au pouvoir ramène une certaine stabilité politique et des politiques favorables aux plus faibles, tout semble indiquer que la situation se dirige vers un scénario « à la Syriza ».
Un gouvernement déjà vaincu qui tente d’assurer une transition ordonnée
Suite aux premiers effets catastrophiques sur l’économie, et pour tenter d’empêcher une dégringolade majeure de la monnaie, la Banque Centrale argentine a injecté dans le marché plus de 13 milliards de dollars, dilapidant une partie importante des réserves en monnaie étrangère du pays. Une situation très inquiétante notamment pour un pays très endetté comme l’Argentine, dont des échéances importantes de paiement auront lieu l’année prochaine.
Dans ce contexte, le gouvernement a dû annoncer des mesures de contrôle du taux de change, qu’il avait refusé de prendre jusqu’alors, et un « défaut sélectif ». Le gouvernement a profité également pour annoncer son intention de renégocier les échéances des titres à moyen et long terme.
Mais rien n’a l’air d’assurer une transition ordonnée, et l’économie est plus en plus au bord de la débâcle totale, tant les problèmes sont structurels et difficilement traitables sans des mesures de fond.
Une alternative anticapitaliste et révolutionnaire
Dans ce contexte de polarisation sociale et politique, la gauche anticapitaliste et révolutionnaire est, quant à elle, très majoritairement réunie dans le Front de Gauche et des Travailleurs - Unité (FIT-U), une alliance électorale inédite du trotskisme argentin. Le Mouvement Socialiste des Travailleurs (MST) a récemment rejoint le FIT composé principalement du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS), du Parti Ouvrier (PO) et de la Gauche Socialiste (IS). Cette coalition anticapitaliste, qui défend dans son programme la nécessité d’un gouvernement des travailleurs et présente la candidature présidentielle de Nicolas del Caño du PTS, a enregistré près de 800 000 votes lors des primaires, arrivant en quatrième position dans un scénario hautement polarisé entre deux options bourgeoises.
Il s’agit d’un message fort adressé aux patrons dans ce contexte d’approfondissement brusque de la crise économique. Ces voix expriment le refus dans la rue comme au parlement, d’accepter les conditions d’austérité que propose le FMI, en refusant sa dette illégale, illégitime et frauduleuse. Le FIT-U défend l’idée que « nos vies valent plus que leurs profits » et l’incarne autour d’une série de mesures immédiates et urgentes comme par exemple le non-paiement de la dette au FMI, pour inverser les priorités et destiner l’argent à la santé, l’éducation, le logement, les retraites.
La coalition anticapitaliste défend également la nationalisation du système bancaire sous contrôle des travailleurs, avec une banque unique d’Etat pour éviter la fuite des capitaux mais aussi pour garantir la valeur des économies des petits épargnants ; ainsi que le monopole du commerce extérieur pour que l’entrée et la sortie de devises ne soient pas dans les mains des grandes entreprises qui spéculent. Le FIT-U défend également une augmentation générale des salaires et retraites, avec une actualisation automatique en fonction de l’inflation, l’interdiction des licenciements et du chômage partiel, l’occupation et mise en place du contrôle ouvrier de toute usine qui ferme, et l’annulation des fortes augmentations récentes des tarifs dans les services essentiels tels que le transport, l’énergie, entre autres mesures.
C’est également la seule alternative politique qui sera présente aux élections générales du mois d’octobre prochain qui défend clairement la lutte pour le droit à l’avortement légal, qui a fait l’objet d’énormes mobilisations de rue ces dernières années. D’ici octobre, son principal objectif sera avant tout de lancer une grande campagne et des mobilisations qui puissent incarner ce message, non seulement dans les urnes mais surtout dans la rue et dans la construction du rapport de forces contre les politiques de ce gouvernement et de celui à venir.
En ce sens, les mobilisations qui ont lieu actuellement dans plusieurs villes, impulsées par les mouvements de chômeurs, le syndicalisme combatif et des secteurs de travailleurs comme les enseignants, fonctionnaires et travailleurs du pétrole au sud de l’Argentine, ainsi que par les forces anticapitalistes et révolutionnaires, sont un point d’appui pour préparer un véritable mouvement d’ensemble.
Laura Varlet