Omar Alsoumi, porte-parole d’Urgence Palestine, aborde les enjeux du mouvement de solidarité avec la Palestine dans cette nouvelle phase du mouvement.
Selon toi, à quelle étape de la lutte on en est aujourd’hui ?
On est dans une étape extrêmement critique de la lutte du peuple palestinien. Après deux ans de génocide et d’une violence coloniale sans limite, les forces coloniales israéliennes ont réussi à maintenir une alliance très large de soutiens occidentaux, mais aussi régionaux, et à imposer un cessez-le-feu qui n’en est pas un.
Il est clair aujourd’hui, après le vote des Nations unies au Conseil de sécurité au début de la semaine dernière, que les Américains ont réussi à imposer les termes d’une Pax americana qui donne en réalité à Israël un rôle absolument central de gardien des intérêts impérialistes dans la région. Avec la complicité, hélas, de forces arabes et de pays à majorité musulmane, qui viennent cautionner ce plan avec l’espoir ou l’excuse de venir s’y insérer pour obtenir des concessions du maître américain et de la force coloniale israélienne. Ces concessions seraient la possible émergence d’un État palestinien comme aboutissement d’un processus qui est en réalité colonial, car il reste sur le terrain des objectifs stratégiques israéliens. L’occupant continue d’occuper la bande de Gaza, soumise à un siège dont les Israéliens ont les clés.
La situation dans la bande de Gaza est terrible : 90 % des personnes vivent comme des déplacéEs à l’intérieur du territoire, condamnées à vivre dans des habitats insalubres, de petites tentes ou d’autres abris de fortune. L’accord de cessez-le-feu, tel que décidé à Charm el-Cheikh, reste violé quotidiennement par les Israéliens : les camions d’aide sont des camions de commerçants, il y a très peu de produits de première nécessité, de nourriture, de médicaments, de matériel de construction, de tentes, de couvertures pour l’hiver. En réalité, très peu de choses échappent aux marchands de guerre.
On est passé d’un génocide de haute intensité à une logique de contrôle et de domination
Plus de la moitié de la bande de Gaza reste occupée par les Israéliens, qui continuent de bombarder quand et comme ils le souhaitent. Ils appliquent une mécanique similaire à celle qui a prévalu au Liban, où les Israéliens, avec leurs alliés américains, arrivent à imposer un nouvel ordre guerrier et colonial. On est passé d’un génocide de haute intensité à une logique de contrôle et de domination qui se traduit dans la bande de Gaza par une volonté très claire de continuer l’entreprise de destruction du peuple palestinien et de nettoyage ethnique.
Quels sont les enjeux de la solidarité internationale et du mouvement de libération de la Palestine ?
Avec le sacrifice terrible du peuple palestinien depuis le 7 octobre, il y a une prise de conscience nouvelle. À travers le monde, une génération entière s’est levée, des campus américains jusqu’en Europe et au-delà dans le monde arabe et le Sud global. Il est aujourd’hui de plus en plus évident qu’on a affaire à un régime colonial, génocidaire, allié de l’impérialisme.
Face à cela, il est nécessaire de combattre par tous les moyens nécessaires. La première tâche de la solidarité internationale, c’est de lire de façon lucide cette réalité qui s’impose : la guerre génocidaire continue et se prolonge par d’autres moyens, des moyens politiques, diplomatiques, économiques mais aussi militaires.
La première tâche, c’est de poursuivre la mobilisation pour obtenir ce que nous n’avons pas encore obtenu, malgré ces deux années de violences terribles, à savoir des sanctions qui permettent d’isoler et d’ébrécher la légitimité du régime colonial sioniste et de ce régime d’apartheid.
La guerre génocidaire continue et se prolonge par d’autres moyens
Cependant, les forces populaires mobilisées partout à travers le monde ont obtenu quelques victoires : l’expulsion de l’équipe israélienne du Tour d’Espagne, l’annulation de la Philharmonie israélienne en Belgique, l’annulation de la participation d’entreprises israéliennes au Forum du tourisme en Italie et l’annulation de la participation des entreprises israéliennes au Salon de l’armement Eurosatory en France. Ce sont des victoires obtenues grâce à la mobilisation des militantEs, des peuples, des syndicats, des organisations de la société civile.
L’enjeu, c’est d’intensifier, de structurer les outils qui vont nous permettre de mettre fin à cette impunité
En revanche, à l’échelle des États et à l’échelle de l’Union européenne, Israël continue de bénéficier d’une impunité totale. L’enjeu, c’est aussi de poursuivre, d’intensifier, de structurer les outils qui vont nous permettre de mettre fin à cette impunité terrible dont jouit le régime colonial sioniste. Le cadre général de cette action, c’est bien sûr celui de la campagne BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions), mais aussi des cadres qui sont nés de façon organique dans cette mobilisation transnationale, celui d’un embargo populaire dont le mot d’ordre est le désarmement d’Israël.
Et c’est un travail militant qui se décline partout, des États-Unis jusque dans les ports de Méditerranée, avec cet enjeu majeur de bloquer la logistique du régime génocidaire.
Un autre enjeu important est la lutte juridique contre l’impunité de l’armée de réserve constituée par tous ces binationaux qui vont et viennent entre la ligne de front et l’Europe, et la France singulièrement. Ce sont des criminels de guerre, présents de haut en bas de la pyramide de la chaîne de commandement de l’armée génocidaire, qui ont du sang sur les mains et qui doivent être poursuivis et rendre des comptes.
Dans le mouvement de solidarité, il y a un spectre très large. Comment tu vois ces débats ?
En fait, il y a un dégradé de positions qui correspond au niveau d’attachement à la centralité des PalestinienNEs et de leur autodétermination. Force est de constater qu’en Europe et notamment en France, qui restent profondément marquées par des cadres de pensée liés à l’histoire coloniale de ce pays et de ce continent, il y a une difficulté à centrer la discussion sur l’autodétermination du peuple palestinien. Celleux qui sont engagéEs avec cette boussole se battent pour la libération de la Palestine et la fin du régime d’apartheid israélien. D’autres se détachent plus ou moins de ces revendications au nom d’une forme de pragmatisme qui, en réalité, est une défense de l’ordre colonial existant.
En Europe et en France, marquées l’histoire coloniale, il y a une difficulté à centrer la discussion sur l’autodétermination du peuple palestinien
C’est la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne qui sont en fait les auteurs du projet sioniste et de l’implantation de cet État suprémaciste expansionniste sur la terre de Palestine. On peut déplorer que des organisations qui se revendiquent comme étant progressistes peinent à se mobiliser dans une solidarité pleine et entière avec le peuple palestinien.
Mais mon constat aujourd’hui, c’est que notre voix, celle des PalestinienNEs en lutte, celle de la résistance anticoloniale plus que centenaire de notre peuple, est aujourd’hui dans une situation offensive : il y a un intérêt sans précédent pour la question palestinienne, un enjeu très fort à continuer à défendre la légitimité de cette cause et la nécessité de la décolonisation de la Palestine, qui est aussi une décolonisation des esprits, des consciences, des structures sociales et politiques de la France et de l’Europe.
C’est donc une bataille qui peut sembler incommensurable, on peut se dire que ce sont des objectifs politiques extrêmement ambitieux quand on voit combien on peut se sentir petitEs et démuniEs, mais la réalité est que le peuple palestinien aujourd’hui est dans un état d’esprit où la seule façon de donner un sens au sacrifice terrible du peuple palestinien à Gaza et dans tout le reste de la Palestine, c’est de se retrousser les manches et de faire ce travail politique et militant qui est la seule façon d’être fidèle à la mémoire de nos martyrs et au sacrifice de nos prisonnierEs.
Quelle est la place d’Urgence Palestine dans cette bataille ?
Urgence Palestine est l’expression en France d’une situation presque globale : partout les diasporas palestiniennes ont ouvert des brèches dans le paradigme dominant, celui des accords d’Oslo, des solutions à deux États imposées au peuple palestinien. Partout, en Europe notamment, des voix palestiniennes émergent pour organiser la solidarité avec le peuple palestinien sur des bases anticoloniales. Et ça se traduit notamment en Belgique, en Italie, en Espagne et au-delà.
La reconfiguration du mouvement de solidarité avec la Palestine est une responsabilité en France, malgré les freins et les blocages spécifiques à cette société et à ce moment politique dans lequel on continue le combat et la lutte.
Partout, des voix palestiniennes émergent pour organiser la solidarité avec le peuple palestinien sur des bases anticoloniales
Urgence Palestine est une organisation populaire anticoloniale qui s’est construite autour des PalestinienNEs et qui a pour vocation d’assurer que la Palestine joue son rôle de fer de lance de la lutte anticoloniale et antiraciste. C’est une mission historique particulièrement importante à l’heure de la montée du fascisme, de cet imaginaire génocidaire de plus en plus assumé des extrêmes droites, de ces milliardaires qui prétendent diriger le monde.
Et notre conviction, c’est qu’on peut encore largement contribuer à organiser la résistance anticoloniale, antiraciste et donc antifasciste en France avec pour boussole et inspiration la résistance farouche du peuple palestinien.
Quel est le rôle du Forum pour une Palestine libre dans ce cadre-là ?
Après deux années d’une lutte d’urgence extrêmement intensive contre le génocide, avec l’arrivée de ce cessez-le-feu, il est nécessaire d’ouvrir l’espace de la discussion stratégique, de la discussion politique, du bilan mais aussi des perspectives de cette lutte extraordinaire qui a été celle des masses populaires en France et en Europe, aux côtés du peuple palestinien.
L’objectif du Forum pour une Palestine libre qui se tient en région parisienne, à Ivry, du 28 au 30 novembre, c’est de permettre aux personnes solidaires du peuple palestinien de participer aux discussions et aux échanges, avec notamment des invitéEs palestinienNEs de partout, de Palestine jusqu’à New York en passant par différentes capitales européennes, et de participer ainsi à poser le cap et les orientations stratégiques du mouvement pour les mois et les années qui viennent.
Peux-tu nous parler de l’acharnement répressif contre toi mais plus largement contre le mouvement ?
Je suis toujours réticent à parler de la répression dont on fait l’objet quand on doit centrer la discussion en réalité sur l’immensité du sacrifice du peuple palestinien : la situation des personnes qui, après les premières pluies aujourd’hui, se retrouvent inondéEs dans leur tente, dans la bande de Gaza, les attaques constantes de colons partout en Cisjordanie, etc.
Et en même temps, il faut remarquer la réalité d’un continuum colonial qui, de la bande de Gaza jusqu’aux capitales des démocraties soi-disant libérales, tente d’anéantir toutes les voix de la résistance palestinienne et des résistances anticoloniales en général.
Il y a un raidissement de l’ordre dominant qui s’exprime par cette répression orchestrée par des bourgeoisies alliées aux sionistes qui n’ont plus que la matraque pour faire régner leur domination.
Il y a un continuum colonial qui tente d’anéantir toutes les voix des résistances anticoloniales
Et en France, c’est cette complicité structurelle du gouvernement français – et même de l’État français – qui se traduit par l’alignement politique avec le régime génocidaire et par l’impunité qui lui est offerte d’une part, et, de l’autre côté, la répression du mouvement de solidarité avec la Palestine et singulièrement des voix palestiniennes en son sein.
Propos recueillis par Antoine Larrache le 24 novembre 2025