On rencontre parmi nous des réticences à dénoncer clairement le terrorisme des fondamentalistes islamistes au même titre que le terrorisme impérialiste et libéral. Il y aurait un ennemi principal et un ennemi secondaire. Non, on ne peut combattre notre propre État sans combattre Daesh et réciproquement. Certes nos moyens sont limités, nous sommes pour beaucoup marginalisés mais notre politique s'inscrit dans une lutte globale contre les grandes puissances libérales et impérialistes et contre Daesh, les forces obscurantistes et réactionnaires qu'elles ont engendrées.
Nous devons formuler nos propres réponses à la question légitime que se posent les travailleurs, la population, comment combattre Daesh ? Nous ne craignons pas la question, elle ne nous met pas dans le même sac que le gouvernement loin s'en faut puisque nos réponses impliquent une lutte implacable contre celles du gouvernement et de l’État. Elles sont globales car on ne peut plus raisonner aujourd'hui comme à l'époque de l'impérialisme des années 70.
Répondre à la question, comment combattre le terrorisme ?
C'est poser la question de ses origines et de ce qu'il représente. Daesh est sur le fond la résultante à la fois des conséquences dramatiques de la politique des grandes puissances, de leurs guerres depuis l’Afghanistan jusqu'à la Syrie en passant par l'Irak et de la montée des forces réactionnaires contre les populations qui s'est accélérée au lendemain des révolutions arabes, forces obscurantistes financées et armées par l'Arabie saoudite et le Qatar.
Qualifier Daesh de fascisme n'a pas nécessairement grand sens si ce n'est comme une façon de dénoncer leurs méthodes fondées sur l'intolérance, les massacres et les viols de masse, la torture, l'embrigadement des jeunes. mais il n'empêche que la montée de l'extrême-droite en Europe et celle de l'islam politique, des intégrismes religieux au Moyen-Orient et au-delà participent d'un même processus à l'échelle internationale : la montée des forces réactionnaires, extrême-droite, fascismes, intégrisme religieux sur le terrain des décompositions sociales et du chaos international entraînés par les politiques libérales et impérialistes pour étouffer, mater, briser les aspirations et éventuelles révoltes populaires.
Les unes et les autres se nourrissent des peurs, du désespoir, de la misère, de l'absence de perspectives et des luttes acharnées pour le partage et la répartition des richesses qui deviennent de plus en plus tendus avec la stagnation du capitalisme. Dans ces luttes, extrême-droite et Islamisme politique sont dans le même camp.
Le terrorisme aveugle des fanatiques religieux frappe la population, et en premier lieu celles et ceux qui vivent dans le monde arabo-musulman, vise à faire taire, à faire peur. Il est, ici, le complément de l'extrême-droite dont il alimente la propagande de haine. Il en est le faire valoir stupide. Ils se complètent dans le sinistre travail pour diviser les peuples, dresser les opprimés les uns contre les autres par une propagande obscurantiste et raciste, la même volonté d'étouffer toute démocratie.
Les conséquences du 13 novembre en sont la démonstration évidente.
Et nous ne pouvons nous contenter de dénoncer les responsabilités du gouvernement, des grandes puissances. Il nous faut de dire comment nous comprenons le combat contre Daesh.
Ce combat politique contre les fondamentalismes islamistes est à l'opposé des réponses étatistes, militaristes et sécuritaires.
Il est démocratique, féministe, internationaliste fondé sur la solidarité entre les travailleurEs, les opprimés. Il participe d'un vaste travail pour reconstruire une conscience de classe dans le monde du travail, sur les lieux de travail, dans les quartiers, redonner à la jeunesse ouvrière des raisons de lutter et de se battre, ici, sur terre. Cette lutte, loin d’adopter la même grille de lecture que les organisations communautaristes, cherche à redonner vie aux idées de la lutte de classe, àreconstruire des réseaux militants, associatifs locaux pluralistes et interculturels, ouverts à la discussion, à la confrontation pour donner un cadre aux jeunes générations pour trouver les chemins de la lutte collective, de la démocratie, s'organiser.
Ce combat s'organise autour de revendications démocratiques, par exemple contre la guerre, l'état d'urgence, les droits des femmes, les droits des migrants mais aussi sociales contre le chômage, pour les salaires, le droit au logement... Son moteur ce sont les solidarités, la lutte de classe, la lutte féministe et la solidarité internationaliste.
Le mouvement ouvrier, syndical, associatif, politique et féministe aurait dû prendre l'initiative de manifestations d'hommage aux victimes du 13 novembre, de solidarité, contre le terrorisme et la guerre, contre le racisme, en tout indépendance de l’État et de l’union nationale. Face à lui, à la politique des classes dominantes, il doit être en mesure de développer sa propre politique, de porter une perspective pour l'ensemble de la société. C'est notre tâche à nous de formuler, défendre cette perspective.
Marxisme verbal et résignation...
Un camarade d’Ensemble, Claude Gabriel a critiqué explicitement notre position suite aux attentatsdans son article « Après les attentats du 13 novembre à Paris : La guerre et le risque d’un « marxisme purement verbal ». Il part d'un constat pour poser une question :« S’il ne fait aucun doute pour moi que nous devons rester à l’écart de toute « union nationale », c’est bien d’une guerre qu’il s’agit. Une guerre sans doute très longue.
Aussi les dénonciations de la barbarie et de la responsabilité impérialiste ne servent à rien si nous ne définissons pas des tâches pratiques. Envers les réfugiés, envers les quelques forces laïques opérant sur le terrain du conflit direct avec Daesh et envers les forces les plus progressistes dans la région du Moyen-Orient. Ce devrait aussi être notre tâche d’intervenir massivement dans les quartiers déshérités pour organiser la jeunesse et populariser nos principes de démocratie sociale, de laïcité et d’antiracisme. Mais en avons-nous les forces et les moyens ? » Et poursuit en critiquant le communiqué du NPA.
« En effet, aussi loin que l’on puisse remonter, il est loisible de dire que Daesh et ses cousins sont les rejetons d’une histoire dans laquelle les Etats impérialistes ont une responsabilité majeure. Si ce n’est aujourd’hui, c’est hier quand ils soutenaient Saddam et Bashar. Si ce n’était cela, ce serait les responsabilités franco-britanniques dans la région à partir du démantèlement de l’empire ottoman… C’est toujours un truisme que de souligner les responsabilités générales de l’impérialisme dans un contexte séculaire de domination mondiale des États impérialistes. Si Daesh ne fait que répondre coup par coup aux agressions impérialistes, alors sa responsabilité est bien moindre. Tout comme Hitler, Daesh n’est que le fruit de l’histoire impérialiste : circulez, il n’y a plus rien à discuter.
Le second problème de ce communiqué consiste à vouloir boucler sur le pétrole… Il fallait bien trouver un argument sonnant et trébuchant impliquant la voracité des multinationales . « Pour mettre fin au terrorisme, il faut mettre fin aux guerres impérialistes qui visent à perpétuer le pillage des richesses des peuples dominés par les multinationales ». Chers camarades du NPA, il ne reste plus qu’une feuille de papier à cigarette entre votre analyse et une valorisation anti-impérialiste de Daesh ; vous en rendez-vous compte ? »
Les « tâches pratiques » que Claude Gabriel avance comme façons de mener la guerre contre Daesh sont démocratiques et de long terme, mais sous couvert que nous n’aurions pas la force de les mener, il faudrait, si on comprend bien l’implicite de son raisonnement, refuser de dénoncer « les responsabilités générales de l’impérialisme », « sa domination séculaire », « la voracité des multinationales », un « truisme », dit-il, que bien peu dénoncent pourtant. C’est un raisonnement très proche des raisonnements de « bon sens » de beaucoup de travailleurs qui se disent qu’ils ne peuvent rien faire d’autre que de laisser faire le gouvernement.
D'autres nous ont attaqués de la même façon, en enlevant la feuille de cigarette, mais ils étaient non pas proches de nous mais proches du pouvoir ou de l'extrême-droite. Quant à Claude Gabriel, son raisonnement l’amènent à une « feuille de cigarette » de l’union nationale qu’il veut pourtant combattre.
Il poursuit en s'interrogeant : « Qu’est donc Daesh ? L’emploi systématique du mot « barbarie » pour qualifier ses actes n’est pas une définition. La barbarie stalinienne, la barbarie nazie, celle des américains au Vietnam, celle des Hutus contre les Tutsi (et toutes les autres) n’ont pas d’autres points communs qu’une violence aveugle, massive, paranoïaque. L’essentiel est ailleurs et relève du contenu social. A l’encontre des populations sous son contrôle, les islamistes de ce type exercent une totale oppression, s’opposent à toute forme d’expression libre en dehors de la leur, tuent sur la base de discriminations religieuses et mènent une guerre générale contre les femmes. En leur sein, tout cela fonctionne sans doute comme une nouvelle forme de bureaucratie, par cooptation et sur la base d’un partage discrétionnaire des biens, des femmes et des postes hiérarchiques qui vous éloignent des combats et des « postes » de kamikazes. Bureaucratie mafieuse, mercenaire. Pour moi c’est un fascisme, une monstruosité spécifique. » Qu'est-ce donc qu'une « monstruosité spécifique », si ce n'est un effet verbal pour justifier l’abandon d’une grille de lecture marxiste.
« Bien sûr, aujourd’hui nous devons faire valoir notre indépendance politique. Les effets de manches de Hollande ne nous touchent en rien. Gardons ce cap, les uns comme les autres. Mais, notre paralysie, due sans doute en grande partie à notre marginalité politique et sociale, n’a pas besoin de se chercher des excuses en épaississant le trait et en distordant le réel. Cela nous desservira, car les gens perçoivent les gesticulations quand les mots ne servent finalement qu’à dissimuler une impuissance.
« Face à cette folie religieuse et mafieuse, les Etats occidentaux et la Russie ont la main, pas le mouvement ouvrier. La période va donc être dure pour nous tous. Et si cette guerre pouvait se transformer en révolution comme le souhaitait Trotsky en 1940 ? Nous en doutons n’est-ce pas ? Mais si, tout de même, cette dernière survenait, elle ne naîtrait pas de la seule dénonciation des responsabilités historiques de l’Occident impérialiste au Moyen-Orient. »
Tout ça pour dire, on ne peut rien faire, alors autant le dire... Voilà bien le fond du raisonnement de notre critique. Les grandes puissances ont la main, pas le mouvement ouvrier, alors, restons à l'écart. La révolution, qui y croit ? Mais, quand même, la résignation n'oublie pas d'attaquer celles et ceux qui ne se résignent pas, y compris par la grossière calomnie.
La démoralisation a besoin de se rassurer contre celles et ceux qui entendent continuer le combat sans se résigner à ce que le mouvement ouvrier n'ait pas la main. Le fait que ce soit les États des grandes puissances capitalistes qui l'aient ferme la porte à toute solution pour et entraîner le monde dans une exacerbation des tensions et des guerres au point de menacer toute la société.
Mais Claude Gabriel se rassure...en attaquant le NPA !
Le chaos libéral et impérialiste
Ces discussions expriment à quel point nous avons du mal à intégrer dans nos raisonnement le caractère inédit et nouveau de la phase actuelle de développement libéral et impérialiste du capitalisme, le chaos qu'elle engendre. Une forme de volontarisme révolutionnaire s'exprime dans la dénonciation de l'impérialisme, non à la guerre, dans une sorte de campisme plus faux que jamais. Les esprits dépassés par l'évolution du monde se réfugient dans le verbe pour critiquer les révolutionnaires qui rediraient toujours les mêmes choses simplistes. Il nous reste cependant une boussole et une arme, la boussole, c'est la classe ouvrière, notre camp social, notre arme, le marxisme militant, révolutionnaire, vivant.
Les attentats terroristes, le développement de l’État islamique, la guerre dans laquelle s’engagent les grandes puissances ne sont pas un simple épisode ou un conflit localisé même à une région du monde aussi importante que le Moyen Orient. Ils constituent bien une nouvelle étape de la décomposition des relations internationales qui commence, une guerre qui ne connaît pas de frontière ni de limite, d'un processus de déstabilisation des vieux États nationaux dont les bases mêmes sont sapées par le développement du capitalisme.
Les États perdent leur assise nationale au fur et à mesure que s’accroît leur soumission aux banques sans patrie et que les multinationales se jouent des frontières sans que l'oligarchie financière qui dirige le monde ait la moindre capacité à garantir la stabilité des institutions, des relations internationales comme de la production et des échanges, bien au contraire.
Pour des raisons qui tiennent à l'histoire, le Moyen Orient et l’Europe sont les deux centres les plus avancés dans cette évolution à travers laquelle seule la classe ouvrière est à même de prendre la main pour construire un nouvel ordre mondial démocratique, respectueux des droits des peuples.
Face à ce processus de décomposition sociale en cours, il est tout aussi absurde de tenter vainement de séparer la lutte contre la guerre de la lutte contre Daesh que de vouloir échapper aux politiques d'austérité en se repliant sur les frontières nationales sous couvert de rupture avec l'euro.
Le recul du mouvement révolutionnaire nous renvoie de trop dans nos localismes, nous avons besoin collectivement de nous forger réellement une pensée internationaliste, et une action en fonction de nos « forces et moyens ». Vaste travail...
Le 20/11/2015, Yvan Lemaître