« Gaza est un terrain-vague constitué de gravats, d’ordures et de restes humains, où les survivants s’accrochent à la vie dans la famine et les maladies », ainsi s’exprime Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires occupés1.
À l’hôpital Kamal-Adwan, on ne distingue pas les blesséEs des morts dans le hall d’entrée. L’État génocidaire israélien cible les hôpitaux, les abris, les secours, les personnes qui restent, les personnes qui fuient.
Effondrement de l’ordre international
Les mots de Philippe Lazzarini de l’UNRWA : « L’ordre international basé sur le droit est en train de s’effondrer dans la répétition même des horreurs qui ont mené à la création des Nations unies, dans la violation flagrante des engagements pris pour empêcher qu’elles se reproduisent2 ». En effet, les témoignages qui nous parviennent de Beit Lahiya, décrivant l’armée d’occupation séparant les hommes des femmes, les femmes des enfants, résonnent comme de très sinistres échos.
L’ONU a dénombré sept « massacres majeurs » commis à Gaza entre le 24 et le 29 octobre3. Et cela continue : le 31 octobre, 200 Palestiniens ont été assassinés à Gaza, et 50 enfants rien que cette nuit. L’ONU évoque une « situation apocalyptique » : « L’ensemble de la population du nord de Gaza est en danger de mort imminente par maladie, famine et violence ». Les blessés et les patientEs sont tiréEs de leur lit d’hôpital, embarquéEs, ainsi que les médecins, vers des destinations inconnues. À Kamal-Adwan, l’armée d’occupation a enlevé 44 personnels médicaux, ne laissant que trois soignants sur le site. Selon, le Dr. Husam Abu Safiyeh : « Nous avons tout perdu dans cet hôpital, jusqu’à nos enfants. Ils ont brûlé nos cœurs et tué mon fils. L’hôpital est une zone de guerre. Je vois mes patients mourir un à un à cause du manque de ressources. Nous avons besoin de la protection internationale »4.
Trois résolutions de l’ONU pour le cessez-le-feu…
La protection internationale, parlons-en. En 1949, les nations n’ont-elles pas ratifié les conventions de Genève afin de graver dans le marbre la protection des civils ? L’OMS n’a-t-elle pas été créée en 1946 dans le souci d’assurer, de sanctuariser le droit à la santé et à l’accès aux soins ? Partout dans le monde, en cas de catastrophe ou de crise, ne dépêche-t-on pas de toute part des équipes médicales et humanitaires pour renforcer les équipes locales ?
À Gaza, au contraire, le monde entier assiste à l’anéantissement complet du système de soins, organisé par l’occupant, justifié par ses alliés. L’occupant qui vient d’exclure six ONG de Gaza, en plus de l’UNRWA, ce qui entraînera, d’après les ONG concernées, des milliers de morts en plus5.
Le droit international ne s’applique pas à Gaza. Israël y exerce son droit de tuer sans limites. À Jabaliya, la sécurité civile palestinienne a retrouvé dans une maison bombardée les corps d’une vieille femme et de trois bébés. On devine quelles circonstances tragiques avaient rassemblé ces quatre vies fragiles. Mais il n’y a plus personne pour raconter leur histoire. Dans une ambulance bombardée par Israël devant l’hôpital Kamal-Adwan, on a retrouvé, 24 heures plus tard, un nouveau-né, miraculé, avec sa jeune maman assassinée, son jeune papa assassiné, l’ambulancier assassiné. Il n’y a plus personne pour lui parler de ses parents.
Exercer des pressions sur Israël, des sanctions, imposer enfin un embargo sur les armes, ce n’est pas une faveur que nous ferions aux PalestinienNEs. C’est une obligation légale, inscrite dans la résolution votée par l’Assemblée générale des Nations-unies le 18 septembre. Le cessez-le-feu aussi s’impose. Il n’y a rien à négocier, il s’impose maintenant, c’est une obligation légale. Trois résolutions de l’ONU l’ordonnent : celle du 12 décembre 2023, du 25 mars et du 10 juin 2024. Les frontières de 1967 ne sont pas une revendication. C’est une concession.
Gaza, entre gravats et poussière
Qu’attendons-nous ? Les PalestinienNEs, dès 1948, ont accepté l’idée de négocier. Et à chaque négociation, ils ont perdu. Perdu encore du peu qui leur restait, et qui leur revenait de droit. À Gaza, il n’y a plus de villes, plus de villages, plus de quartiers, plus de rues, plus de boutiques, plus de restaurants, plus de vergers, plus de champs, plus de fleurs, plus de couleurs, plus de bibliothèques, plus de musées, plus d’églises, plus de mosquées, plus d’écoles, plus d’universités, plus d’hôpitaux, plus de cimetières. À Gaza, il n’y a plus que des charniers. Des vies malades, blessées, mutilées, torturées. Des vies brisées, dévastées. Livrées à la folie génocidaire de l’occupant. Abandonnées de tous, sacrifiées sur l’autel de la soumission à Israël. Négocier, encore ? Gaza n’est plus que gravats, poussière.
Ardi Imseis, juriste international : « [Israël va-t-il se plier au droit ?] La réponse est non. Les précédents sont clairs. S’il doit y avoir un changement, il viendra d’ailleurs. C’est-à-dire de vous. De nous tous. Si les mots “plus jamais ça” ont un sens, c’est maintenant, dans le ghetto de Gaza. C’est ce que demande le peuple palestinien. C’est ce qu’exige notre humanité.6 »
Je voudrais terminer par une pensée pour Maissa, qui a perdu ses deux fils, ses deux filles, et tous ses petits-enfants dans un bombardement à Beit Lahiya.
Marie Schwab, le 2 novembre 2024
- 1. United Nations Human Rights Council, 31 octobre 2024.
- 2. UNRWA chief calls on the UN General Assembly to intervene over Israel’s ban, Al Jazeera, 30 octobre 2024.
- 3. UN records seven ‘mass casualty incidents’ in Gaza in one week, Al Jazeera, 30octobre 2024. 4- Live : At least 84 killed in Gaza ; Israel resumes raids across Lebanon, Al Jazeera, 1 novembre 2024.
- 4. Director of North Gaza hospital won’t leave despite killing of his son, Al Jazeera, 30 octobre 2024.
- 5. Michael Arria, ‘Thousands of people will die’: Gaza doctors describe impact of Israel barring medical NGOs, Mondoweiss, 29 octobre 2024.
- 6. Ardi Imseis, The Nakba and the UN’s Permanent Responsibility for the Question of Palestine, United Nations Headquarters, NY, 17 mai 2024.