Beaucoup a déjà été écrit sur la capitulation du gouvernement Tsipras, ses conséquences et les risques qu’elle fait encourir. Il reste sans doute à mesurer pleinement ce qui vient de se produire. Mais pour cela, il faut d’abord répondre à ceux qui cherchent à ce gouvernement des excuses, en relativisant sa responsabilité et en laissant entendre qu’il pourrait encore prendre à l’avenir une autre voie si la situation devenait moins adverse (après tout, Tsipras a signé le nouveau mémorandum « un pistolet sur la tempe » et en affirmant qu’il n’y croyait pas…)
Un premier argument dans ce sens insiste sur l’énormité des pressions exercées par les dirigeants de l’Union européenne : Tsipras et la direction de Syriza voulaient réellement mener une autre politique mais, enfermés dans une stratégie erronée (celle du « bon euro »), ils ont été subjugués par l’imprévue et cruelle inhumanité de leurs interlocuteurs.
Mais la valeur d’un dirigeant et d’un parti se mesure précisément à leur capacité à agir dans des conditions difficiles et, par-dessus, quand vient le moment inévitable de l’affrontement à un capitalisme, impérialiste et néolibéral qui n’est ni « gentil », ni raisonnable et coopératif ! Comme l’écrit l’historien marxiste Perry Anderson, « en appelant à voter Non, et en exigeant un Oui docile moins d’une semaine après, Syriza a retourné sa veste aussi vite que les crédits de guerre avaient été votés par la social-démocratie en 1914, même si, cette fois-ci, une minorité du parti a sauvé son honneur ».
Stathis Kouvelakis, membre du comité central de Syriza et de sa Plateforme de gauche, note de son côté que « le mot capituler est sans doute faible » : « Syriza a choisi, dès le début, de s’adapter à l’européisme et d’avoir une stratégie électoraliste à court terme » ; défendre une autre orientation aurait demandé « un certain courage politique, chose dont Tsipras et la majorité de la direction de Syriza se sont révélés être totalement dépourvus. »
Eric Toussaint, qui a présidé aux travaux de la commission d’audit de la dette formée sur décision du parlement grec, porte un jugement terrible en racontant comment Tsipras et les principaux dirigeants de Syriza avaient été effarés de leur succès électoral de juin 2012, qui les avait placés à deux doigts du pouvoir alors même que leur programme de l’époque risquait de les entraîner dans une confrontation qu’ils ne voulaient pas avec l’UE et la bourgeoisie ; raison pour laquelle ils avaient délibérément choisi d’abaisser ce programme (à travers celui dit de Thessalonique) afin de le rendre compatible avec « les règles de l’Europe ».
Un autre argument, plus subtil, a été mis en avant par les dirigeants de Podemos en Espagne et du Parti de gauche en France. En gros, Syriza ne pouvait pas faire grand-chose car la Grèce ne représente que 1,5 % du PIB de l’UE (2 % de celui de la zone euro). Selon Pablo Iglesias, à 14 % de PIB de la zone euro (et 12 % de l’UE), l’Espagne sous un gouvernement Podemos ne pourrait pas non plus faire des merveilles, juste quelques réformes acceptables par les autres gouvernements européens ; et encore faudrait-il pour cela « tordre le bras » du PSOE (le parti socialiste) de façon à lui imposer un changement d’orientation et un accord de gouvernement.
Le Parti de gauche est plus optimiste. Après s’être demandés si Tsipras avait un autre choix, ses deux co-secrétaires nationaux, Eric Coquerel et Danielle Simonnet, affirment que « par contre, si nous gouvernons demain la France, deuxième puissance économique en Europe aux marges de manœuvre infiniment plus élevées que la Grèce, alors oui il serait une faute de ne pas prévoir de plan B. »
En partie juste quant aux capacités économiques, cette affirmation ne l’est nullement au niveau politique. Précisément parce que le poids de la France est bien plus important, la réaction de la bourgeoisie, française (avec son Etat) comme européenne et internationale (avec leurs institutions civiles et militaires), serait aussi ou plus violente – fuite de capitaux, sabotage économique, menaces et manœuvres de déstabilisation de tout type…
On a également entendu ça et là que le soutien européen ayant été déficient, nous aurions ici aussi une part de responsabilité. Il est vrai que la solidarité internationale est en fort recul, une situation que nous ne sommes pas à ce stade parvenus à modifier. Mais le soutien des travailleurs et des peuples à la Grèce ne pourra se développer que s’il y a une lutte, une volonté de confrontation, une perspective émancipatrice – tout ce qui a fait et fait défaut au gouvernement de Syriza et de ses alliés bourgeois du parti ANEL.
Aujourd’hui, cette solidarité doit et peut se manifester avec la gauche de résistance, fidèle au Non massif du 5 juillet 2015, représentée par la Plateforme de gauche de Syriza, par Antarsya et par toutes les forces du mouvement social qui se mobilisent contre le nouveau mémorandum de Tsipras.
Jean-Philippe Divès