La permanence de l’imaginaire et des représentations issues de la période de la résistance et de la guerre civile qui s’en est suivie sont en Grèce particulièrement frappantes. Un ouvrage publié récemment par les éditions de La Fabrique nous donne l’occasion de réaborder cette période.
L’auteure, Joëlle Fontaine, présente elle-même l’enjeu que représente cette question : « On ne peut comprendre ce qu’est la Grèce actuelle en ignorant toutes ces années de guerre et de dictatures qui ont laissé des traces profondes ».
Contre les nazis et contre les britanniques
Avant d’aborder la période de la Seconde Guerre mondiale, l’auteure brosse en introduction un bref mais utile portrait de l’histoire précédente de ce pays qui se trouve très tôt dans l’orbite d’influence de la Grande Bretagne. On y apprend qu’une semblable crise de la dette a frappé l’Etat grec, qui se déclare en faillite en 1932. Le Royaume-Uni demeure le principal créancier, ce qui va avoir des conséquences importantes par la suite. Joëlle Fontaine montre bien les tensions qui vont aller crescendo entre la résistance, qui se développe jusqu’à devenir un véritable mouvement de masse, et les autorités britanniques. Malgré le paravent de la grande alliance contre le fascisme, la répression est féroce à l’égard des membres de l’EAM (Front de libération nationale), en particulier ceux qui sont membres des forces armées grecques en Egypte.
Toute cette période est marquée par un double mouvement, qui n’est pas sans évoquer la situation actuelle : d’un côté, une implication de plus en plus forte et déterminée des couches populaires dans la résistance, malgré la féroce répression nazie et des conditions de vie terribles. La famine frappe durement la population des villes. L’armée de partisans, l’ELAS, se développe considérablement, jusqu’à devenir une structure de masse. Cette dynamique conduit à la mise en place de structures d’auto-organisation populaires, dans les villages et les quartiers. De l’autre, la puissance britannique qui s’efforce en permanence de trouver des solutions institutionnelles permettant de garantir son influence. C’est une valse continue de gouvernements, de cabinets, un jeu de marionnettes au cours duquel on sort de vieux notables du placard. Le seul mot d’ordre : tout sauf le pouvoir populaire !
La libération confisquée
Lors du retrait des troupes nazies, Churchill va tout faire pour imposer une solution qui favorise les intérêts de la Grande-Bretagne, faisant le choix de prélever des troupes sur le front italien pour assurer l’occupation d’Athènes. La manipulation ne connaît aucune limite, et c’est dans ce contexte que se déroulent les fameuses tractations avec Staline, qui livre la Grèce en échange de la Pologne. Une trahison que n’imaginent pas les militants communistes grecs, qui pensent également improbable un coup de force antidémocratique. Ces hésitations laissent les mains libres au nouvel occupant britannique et à ses alliés locaux, pour une part des transfuges du régime dictatorial de Métaxas. L’auteure se montre peu diserte sur la politique du parti communiste grec, le KKE. Elle ne fait qu’évoquer rapidement la répression des autres forces de gauche et sa chasse aux communistes hétérodoxes.
Malgré une trajectoire particulière, la période de la résistance et de la libération en Grèce évoque des problèmes communs à l’ensemble de l’Europe : maintien du pouvoir bourgeois ou transformation révolutionnaire de la société. Les forces bourgeoises se montrèrent les plus déterminées, prêtes à jeter aux orties les principes démocratiques qui leur servaient encore de drapeau la veille. Et la politique stalinienne, qui subordonnait les intérêts des classes populaires à ceux de l’URSS et des bureaucraties qui la servaient, a délibérément encadré et affaibli la force des peuples mobilisés. Cet ouvrage vient nous rappeler à juste titre, dans cette période troublée, que l’on ne saurait transiger sur le respect de la démocratie entendue comme la prise en mains de leurs propres affaires par les opprimés.
Voilà donc une lecture stimulante, que complèteront très utilement, pour ceux qui veulent prendre du recul, deux autres ouvrages : les Mémoires, de A. Stinas1, et le formidable roman de Stratis Tsirkas, Cités à la dérive2, fresque historique époustouflante.
Par Henri Clément
1. Vous pouvez trouver cet ouvrage, épuisé, à la librairie La Brèche.
2. Disponible en poche chez Points. Il est d’ailleurs surprenant que l’auteure n’y fasse pas du tout référence.