La notion de démocratie prend une part importante dans le débat autour des présidentielles. Mais chacun va avec sa compréhension et son usage dans un enjeu politique de première importance. Définissons là !La démocratie, qui a parait-il son origine sémantique chez les grecques, est synonyme de pouvoir du peuple ! Elle est au fait une forme de gestion des rapports entre les êtres humains composants la communauté. C’est une forme de gouvernance de la cité ou d’un état où se distribuent les biens matériels et immatériels produits par la société à un moment donné de son histoire. (insistons sur cette dernière idée). Autrement dit, cette forme de gouvernance évolue dans le temps et dans l’espace. Tant qu’il y a consensus social et culturel sur cette forme, on peut considérer qu’il y a « démocratie ». Dès que ce consensus se casse pour une raison ou autre, on invente un autre consensus, d’autres règles, donc une autre forme de gouvernance plus « démocratique » ! C’est l’histoire qui avance. La démocratie dans la gestion de la citéTajmâat, bien de chez nous, fut de ce point de vue une forme démocratique dans la gestion de la cité, limité au village ou peut être élargie au « Âarch », à la grande tribu. Mais elle le fut à un temps « T ». Cette forme de démocratie est appelée par certains sociologues (Bourdieu par exemple[1]) démocratie gentilice ! C’est la démocratie des notables du village où les femmes, les jeunes sont exclus. Comme c’était le cas pour les escalaves dans la cité grecque. Aujourd’hui elle est dépassée !Les arabes ont inventé « Schoura » comme une forme de gestion de la cité à la Mecque après l’émergence de l’Islam. Ils s’émancipent du pouvoir des notables Koreichites notamment celui de « Abou soufiane » comme tête de file au moment de la rupture historique avec la « Djahilia ». Mais la gouvernance est vite revenue à son fils « Moaouya ben Abi Soufiane » au début de l’ère Omeyyad après une sorte de « guerre civile » qui a vu l’assassinat des Khalifats et après avoir coupé les têtes des fils du quatrième Kalif Ali ben abi taleb !La démocratie la plus avancée aujourd’hui est ce qu’on appelle la démocratie bourgeoise ou la démocratie parlementaire. C'est-à-dire celle introduite par la révolution française dans sa forme la plus achevée, avec ses variantes typologiques, celle de l’Anglais Cromwell, de l’américain Abraham Lincoln, de l’allemand Bizmark ou encore de Garibaldi l’italien. Chacun dans sa propre histoire a unifié les peuples qui vont constituer les nations d’aujourd’hui sous la houlette de la démocratie…bourgeoise. Elle se veut universelle. Ces différentes expressions concourent vers une même version qu’on peut résumer par-1- le suffrage universel, 2- les libertés individuelles, 3-la laïcité et la liberté de conscience …..Les droits sociaux individuels et collectifs s’introduisent dans le débat (et le combat) sur la démocratie dès la révolution française, avec notamment les droits …de femmes. Car celles-ci étaient encore exclues du suffrage universel. Il fallait l’acquérir. C’est ce qu’elles ont fait au 20° siècle ! La démocratie, une dynamique historiqueY a-t-il une forme de démocratie supérieure que les être humains doivent découvrir ? Il y a eu la démocratie directe inventée par les communards parisiens en 1871. Elle a duré 3 mois. Il y a eu la démocratie des soviets inventée par le combat politique des travailleurs et paysans russes en 1917. Elle a vite dégénéré dans la dictature stalinienne après une affreuse guerre civile. Faut-il donc abandonner le combat ? Non !Il faut inventer de nouvelles formes démocratiques supérieures et universelles qui prennent en charges les aspirations collectives et individuelles de toutes les catégories sociales et culturelles à un moment donnée de leur histoire, avec aujourd’hui le droit au travail, droit au logement, droit à la ville, droit à la santé et à l’enseignement gratuit et de qualité, le droit à un environnement sain, le droit à l’esthétique, au loisir…etc. Mais cette invention ne peut être une création abstraite comme ce fut le cas dans l’Utopie de Thomas Moore au 15° siècle. Elle ne peut venir que de l’histoire réelle de chaque société. Comme le dit l’historien de…l’art et de l’architecture italien M. Tafuri « …on retrouvera toujours (…) la même opposition dialectique entre ceux qui tentent de se plonger au plus profond du réel pour en connaitre les valeurs et pour en assumer les misères, et ceux qui veulent se projeter au-delà du réel, pour construire ex novo des nouvelles réalités, fonder de nouvelles valeurs et ériger de nouveaux symboles publics »[2]. Assumer la réalité historique et ses misères ! Voila la tache difficile ! Nous sommes ici, sur le terrain philosophique, entre la cité idéale de Platon et l’univers d’Aristote. Pour Le premier aucun régime politique ne trouve grâce à ses yeux, surtout pas la démocratie toujours menacée par la corruption et la démagogie. Aristote lui, conçoit une autre organisation sociale. « Il part du principe que l’homme, par nature, est un animal politique et sociable. Il aspire fondamentalement à vivre en famille, dans un village et dans une société civile. Ces diverses communautés permettent à sa nature de se réaliser, d’exister non seulement en puissance mais en acte. Qu’importe le régime politique proprement dit ! L’aristocratie, la monarchie, l’oligarchie, la démocratie ne sont pas bonnes ni mauvaises en soi. Elles ne sont que se qu’en font les gouvernants. (…) toutes recèlent des germes de perversion, l’essentiel réside dans des lois voulues par les citoyens »[3]. Ces lois passent par ce qu’on appelle, depuis l’époque moderne, l’assemblée constituante comme point de départ d’un nouvel équilibre social. L’enjeu algérien. En Algérie, nous avons connu dans un passé récent la critique islamiste. Partant d’une vision culturaliste et essentialiste de l’histoire, elle considère la démocratie comme une valeur occidentale, donc impie ! Elle déclare que la démocratie est Kofr ! (apostat). Abbassi Madani, le principal dirigeant du FIS de l’époque déclarait, pour corriger, que « la démocratie n’est qu’un moyen » pour instaurer une société islamique « régie par les lois de Dieu » ! Face à la crise d’aujourd’hui nous assistons à d’autres types de critiques. La critique libérale (économiquement parlant) surf sur l’indignation populaire, légitime vue les manœuvres du pouvoir, pour ramener le débat sur une transition négociée en faisant des offres de services aux « notables des temps modernes » et en tournant le dos aux droits sociaux et culturel élémentaires de la population, sous prétexte que le peuple n’est pas disposé à la démocratie. Cette critique fait en réalité l’impasse sur les causes de la crise actuelle. Elle concentre son attention sur des contradictions et problèmes internes au régime. Elle oublie que l’opposition libérale, avant de passer à l’opposition, a laissé son cheval de Troie idéologique à l’intérieur de ce même pouvoir. Ghoul et Ben younes, les plus ostentatoires sur ce terrain, n’en sont que leurs avatars. Le divorce est renvoyé au niveau de l’éthique des personnes citées (Cheyyatine et ma yehcmouche, dira-t-on en arabe algérien!). Cette critique cherche un compromis entre les protestataires et les conservateurs afin de consolider l’option économique libérale en cours.La deuxième critique qui se veut patriotique réduit le combat démocratique à sa valeur bourgeoise et dénonce toute revendication démocratique comme complot impérialiste occidental ! Cette critique neutralise les adversaires de Bouteflika et apporte de l’eau au moulin de ce dernier. Cette critique semble refuser de s’inscrire dans le réel et se refugie derrière des masques idéologiques de plus en plus ambigus. Car refuser le combat démocratique d’aujourd’hui sous prétexte qu’elle n’est qu’une « valeur bourgeoise » entre les mains des manipulateurs impérialistes, c’est faire le lit de Amara Ben Younes, Amar Ghoul et de Bouteflika, C’est rester aveugle sur les possibilités d’une ouverture de l’histoire de l’Algérie… car tout se joue au présent ! Comme le dit le philosophe français Daniel Bensaid « le présent est la catégorie temporelle d’une histoire ouverte »[4]. Pour une critique intempestive.Quand, à gauche, Louisa Hanoune, menant une campagne anti libérale et anti impérialiste, conditionne la convocation d’une assemblée constituante, comme point de mire d’une transition vers ce qu’elle désigne comme 2° république, par la réunion de « conditions politiques » nécessaires – « s'il y a une mobilisation politique populaire à l'échelle nationale, alors on pourra démarrer un processus politique constituant. Mais ce n'est pas le cas à présent »[5], dit-elle -, elle reste dans un temps mécanique. Elle procède par une logique formelle et statique. Car la dialectique et la dynamique de l’histoire veut qu’on combine l’action politique et la mobilisation populaire. C’est l’action politique qui éclaire cette mobilisation. Louisa rejette toutes actions populaires de masse, depuis 2001 en Kabylie à aujourd’hui, sous prétexte qu’elles sont porteuses de germes de déstabilisation du pays, autrement dit du pouvoir. En tournant le dos à « l’émeute », elle annule de fait la dimension démocratique de son combat.Une transition, qui semble être admise par tous les acteurs, pour qu’elle soit démocratique ne peut faire l’économie d’une assemblée constituante comme point de départ d’un débat nationale où toutes les composantes de la société soient représentées. Y a t-il un risque d’une déstabilisation étrangère ? S’agit-il d’un saut vers l’inconnu ? « L’agir révolutionnaire » nous dira le philosophe français BenSaid, « n’est pas l’impératif d’une capacité maitrisée à faire l’histoire mais l’engagement dans un conflit à l’issue incertaine. Hypothétique et conditionnelle, hérissée et discontinuités, la totalisation impossible du devenir historique s’ouvre sur une pluralité de passées et de lendemains. Pour chaque époque, le présent historique représente l’aboutissement d’une histoire accomplie et la force inaugurale d’une aventure qui (re)commence »[6].Nadir DJERMOUNELe 16-04-2014 [1] Voire à ce propos, P. BOURDIEU, Sociologie de l’Algérie, Edit. PUF, collection « Que sais-je ».[2] M.TAFURI, Projet et utopie, Dunod, Paris, 1979 ; P14[3] M. JIMENEZ ; qu’est-ce que l’esthétique, Gallimard, 1997, P. 238 ;[4] D. BENSAID, Marx l’intempestif, Fayard, Paris, 1995, P. 89[5]L. HANOUNE, in le journal « L’expression » du 10 avril 2014 ;[6] D. BENSAID, op.cit.
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