Si Donald Trump a remporté l’élection présidentielle de 2016, c’est qu’il a réussi à persuader une partie non négligeable de l’électorat ouvrier – et même, comme le montrent les sondages, de l’électorat syndiqué – que son programme allait servir leurs intérêts. La grande centrale syndicale AFL-CIO a eu beau soutenir Hillary Clinton, la candidate démocrate, la promesse de Trump de rendre « l’Amérique grande à nouveau », version à peine retravaillée de « l’Amérique d’abord » a séduit une partie de l’électorat ouvrier blanc.
Le nom de Clinton est associé pour beaucoup aux coupes sombres dans les budgets sociaux opérées par son mari lorsqu’il était président, et à un gouvernement des riches. Elle a refusé de se saisir, lors de la campagne ,de la question sociale, préférant attaquer son adversaire sur des questions de forme. Trump, qui n’était pas le favori des Républicains au début, a su se faire passer pour un self-made man luttant aux côtés des petits contre les gros.
Le 23 janvier 2017, dans le bureau ovale de la Maison Blanche, une douzaine de leaders syndicaux des syndicats du bâtiment rencontraient le président Trump et le félicitaient de s’être retiré du Traité de partenariat économique transpacifique (TPP). Cependant, l’attitude du mouvement syndical, traditionnellement démocrate, à l’égard de Trump, est plus contrastée. Certains pactisent. Certains font le dos rond et attendent que la tempête passe. Certains restent pieds et poings liés à la bureaucratie démocrate qui a, par le passé, tant de fois trahi le mouvement syndical, par exemple sur l’immigration : le renforcement drastique des frontières avait commencé sous Obama, bien avant Trump, même si celui-ci a porté la politique anti-immigréEs jusqu’à la caricature. Mais d’autres, dans le mouvement syndical, résistent.
Protectionnisme et attaques contre les syndicats du public
Ce qui a séduit la classe ouvrière blanche dans le programme de Trump, c’est que, contrairement aux Démocrates qui se contentaient d’attaquer Trump bêtement pour son côté rustre, l’affublant de surnoms ridicules ou le comparant à Hitler, celui-ci a promis à l’électorat ouvrier ce qu’il désirait le plus : des emplois, et de surcroît bien payés. Ce sont ces emplois qui ont disparu avec la crise de 2008 et qui ne sont pas réapparus, malgré la reprise timide des dernières années. Des emplois mieux payés, grâce aux syndicats, qui garantissaient un certain revenu permettant de se sentir membre d’une hypothétique « classe moyenne ». Les créations d’emplois de la reprise se font dans le secteur tertiaire où il faut un, deux, trois emplois pour survivre. Ainsi, de nombreuses usines ont fermé dans le quart Nord-est, notamment dans l’automobile, mais toutes n’ont pas été délocalisées au Mexique. De nombreuses usines ont ouvert leurs portes dans le Sud des États-Unis où des lois anti-syndicales féroces rendent difficile l’implantation de syndicats et donc des salaires corrects. Le secteur de la logistique s’est beaucoup développé et emploie des millions de travailleurs dans de très grands entrepôts où l’exploitation est importante et les syndicats inexistants : par exemple les entrepôts Amazon où les employéEs sont obligés de porter des couches au travail car ils n’ont pas de pause pour aller aux toilettes.
Ce sont de « bons emplois » que Trump propose de ramener en Amérique, avec une combinaison de politique protectionniste et de soutien aux énergies fossiles entraînant des constructions d’infrastructures importantes. Le protectionnisme n’est en rien une solution aux licenciements car il ne pose pas la question du contrôle de la politique industrielle par les travailleurs. Mais Trump n’a pas vraiment épousé une politique protectionniste et en a seulement pris la rhétorique dans une ère du temps hostile aux élites mondialisées. Il a pris des mesures symboliques contre les importations d’acier et de pièces automobiles, mais de nombreux produits en sont exemptés, ceux qui arrangent les grandes compagnies de l’automobile. Un exemple parlant de la politique de Trump est l’affaire Carrier. En novembre 2016, pendant la campagne présidentielle, le fabricant d’appareils de chauffage et de climatisation Carrier a annoncé être prêt à délocaliser 1400 emplois de son usine de l’Indiana vers le Mexique. Le candidat Trump a sauté sur l’occasion et a exigé des dirigeants de Carrier qu’ils renoncent à leur plan de délocalisation contre de grasses aides publiques (7 millions de dollars de l’État de l’Indiana sous forme de baisses d’impôts). Cinq mois plus tard, le plan de licenciements prévu aura quand même lieu et touchera plus de 700 salariés... Et le président de la section syndicale locale, au lieu d’organiser la lutte contre les licenciements, a remercié Trump des emplois qu’il avait sauvés...
Mais le secteur privé n’est pas le seul à être victime des attaques patronales et gouvernementales. Dans le secteur public, un récent arrêt de la Cour Suprême est annonciateur de nombreuses attaques. Aux États-Unis, quand un lieu de travail est syndiqué, touTEs les employéEs sont couverts par un accord collectif, le contrat. En échange, touTEs les salariéEs versent une partie de leur salaire au syndicat sous forme de cotisations. Mais un employé de l’État, Marc Janus, a attaqué son syndicat AFSCME, prétextant que les cotisations qu’il devait verser était contraires au Premier amendement de la Constitution (la liberté d’expression) et qu’il souhaitait quand même bénéficier des avantages contractuels. La Cour Suprême lui a donné raison. L’arrêt est récent, donc les conséquences sont pour l’instant hypothétiques, mais cela peut signifier un tremblement de terre pour les syndicats du public qui sont un des bastions du mouvement syndical. En effet, pourquoi être membre du syndicat si tous les avantages des syndiquéEs vous sont acquis sans être membre ? Des instituts privés démarchent d’ores et déjà les enseignantEs en diffusant des kits « Comment quitter mon syndicat ? ». Il y a un risque d’effondrement des syndicats du public, qui risque d’entraîner le reste du mouvement syndical avec eux. Certains disent : tant mieux ! Ce système rendait les syndicats trop indépendants de la base avec un financement automatique, et ce financement n’était utilisé qu’à financer les campagnes électorales de politiciens démocrates qui ne servent pas le mouvement syndical. En tout cas, cet arrêt va signifier une chose ou l’autre : soit les syndicats du publics deviennent plus militants et organisent leurs membres pour se défendre collectivement, soit ils périssent.
Unir les bagarres… ou suivre la « Résistance » ?
Les enseignantEs, eux, ont fait leur choix. Depuis six mois, dans de nombreux États « rouges » (Républicains), des grèves massives – et victorieuses – d’enseignantEs donnent des pistes au mouvement syndical pour résister, et des raisons d’espérer. Dans un contexte de baisse drastique des budgets de l’éducation par les États, d’attaques contre l’éducation (privatisations, etc.) et de racisme, les personnels de l’éducation de Virginie Occidentale, du Kentucky, d’Oklahoma, d’Arizona et de Caroline du Nord se sont mis en grève et ont obtenu des augmentations de salaires. Plus important encore, ces grèves ont été le fait de comités de mobilisation de base dans les établissements, avec le soutien des appareils syndicaux (American Federation of Teachers et National Education Association) mais hors de leur contrôle et parfois même dans la défiance face à la bureaucratie syndicale. Une fois la grève finie, des enseignantEs ont même décidé, comme en Virginie Occidentale, de créer des tendances oppositionnelles dans les syndicats afin de remettre en cause la bureaucratie qui était responsable de la situation qui a conduit à la grève. De nombreuses tendances oppositionnelles ont certes sombré, par le passé, en passant des deals avec la bureaucratie dans un contexte d’absence de contrôle de la base et du caractère épisodique des luttes, mais cette création de tendance est encourageante. À côté des enseignants, il existe des équipes syndicales combatives, qui se regroupent tous les deux ans lors de la conférence du magazine Labor Notes, et qui font aujourd’hui état des stratégies qui marchent face à Trump comme face à tout autre politicien bourgeois : contrôle de la base et radicalité.
Cependant, ce n’est pas la route que prend actuellement le reste du mouvement syndical. En effet, la principale perspective politique tracée par la bureaucratie sont les élections de mi-mandat en novembre, à savoir dépenser leur temps et leurs ressources pour faire élire des Démocrates qui mèneront (ou pas) une politique favorable aux travailleurEs. Cela même alors que les Démocrates n’ont jamais été aussi à droite. La formule politique actuelle des Démocrates consiste à unir la « Résistance » (sic), c’est à dire créer un front anti-Trump, y compris avec les Républicains dits « modérés » comme George Bush ou feu John Mc Cain. Le mouvement pour les 15 dollars de l’heure et le droit à un syndicat dans les fast food (Fight for Fifteen) est un exemple de cette impasse. Au lieu d’effectuer un patient travail de construction, restaurant par restaurant, en remportant des contrats, Fight For Fifteen repose intégralement sur une stratégie alinskienne1 d’interpellation des pouvoirs publics. Ainsi des ordonnances locales ont été prises pour augmenter les salaires, mais étalées dans le temps, juste assez pour que les syndicats ne perdent pas la face en demandant à nouveau à leurs adhérents de faire confiance aux Démocrates.
Si Trump et ses panacées nationalistes ne sont pas le remède suprême, des années et des années d’inféodation aux Démocrates n’ont rien rapporté au mouvement syndical étatsunien. Pour le futur il y a différentes possibilités : soit le mouvement syndical continue de décliner, soit un sursaut des luttes le mène à rechercher l’indépendance politique. Cette indépendance politique de la classe ouvrière peut prendre plusieurs formes : soit un parti ouvrier basé sur les syndicats de type « Labor » anglais, ce qui n’a jamais réellement existé aux Etats Unis, soit une organisation révolutionnaire de masse. Il existe aux Etats-Unis une radicalisation de la jeunesse actuellement sur des bases socialistes, même si ce socialisme va de Bernie Sanders à Boots Riley2. Les Democratic Socialists of America disent avoir atteint 50 000 membres. Le fait de tourner l’organisation vers les luttes et le monde du travail plutôt qu’être la énième roue du carrosse des Démocrates permettrait à coup sur de radicaliser celui-ci. Il faut que le mouvement syndical en entier reprenne le chant des enseignants grévistes : « We’re not gonna take it ! »3
Stan Miller
- 1. Saul Alinsky (1909-1972) : militant social-démocrate étatsunien et théoricien des mouvements sociaux.
- 2. Boots Riley : réalisateur du film Sorry to Bother you, ouvertement communiste.
- 3. We’re not gonna take it (On ne va plus l’accepter) des Twister Sister, est l’un des hymnes des enseignantEs grévistes.