Une consultation électorale a eu lieu en Slovénie le 3 juin 2018. Le parti ultraconservateur de Janez Janša a obtenu le plus haut score, avec 24,96% des voix. Il est suivi par un autre parti de droite qui réalise un score de 12,66%. Ce résultat important est largement le résultat d’une campagne démagogique anti-migrantEs. Mais le cumul de ces pourcentages n’est pas suffisant pour constituer un gouvernement majoritaire et, si Janez Janša veut gouverner, il devra trouver des partenaires dans la multitude des petits partis, ce qui inclut le parti anti-islam qui fait 4,20%. Il y a néanmoins des événements porteurs d’espoir. Le parti Levica (la Gauche) a obtenu 9,29%, à comparer avec le résultat du parti social-démocrate qui fait 9,92%. Entretien avec Marko Kržan, militant de Levica.
Pouvez-vous expliquer les circonstances dans lesquelles Levica est né et ce qu’il représente dans l’éventail des partis politiques en Slovénie ?
La fondation de Levica peut être retracée dans le mouvement massif de protestation qui a eu lieu en Slovénie en 2012 et 2013. Le motif des protestations était plutôt d’ordre moral (anticorruption), mais il y avait un groupe socialiste organisé qui a identifié des facteurs économiques objectifs sous leur aspect moralisateur. Ce groupe s’est organisé en IDS (Initiative pour un socialisme démocratique), un parti anticapitaliste qui, en 2014, a constitué une coalition électorale appelée Gauche unie, prédécesseur de Levica. Levica est le seul parti parlementaire en Slovénie avec des positions anticapitalistes, remettant en question la domination des classes dirigeantes slovènes et de leurs équivalents dans l’Union européenne et dans l’Otan. Levica n’a cependant pas été capable de se positionner comme force antisystème aux yeux d’un large public, qui voit en Levica le plus radical des partis de la gauche libérale. Levica est vu comme ne s’opposant pas à ces partis, ni au système capitaliste. Ceci est, jusqu’à un certain point, l’effet du travail du système parlementaire bourgeois ainsi que des médias qui essayent toujours de réduire le champ politique en deux pôles – libéral et conservateur – évacuant par ce moyen la lutte de classe des masses travailleuses contre l’exploitation quotidienne.
Quelle est la base électorale et millitante de Levica, ainsi que son implantation régionale ?
Levica a obtenu les résultats électoraux les plus élevés dans les centres urbains, spécialement dans la capitale Ljubljana. Il a le public le plus jeune et le mieux éduqué des forces parlementaires. Toutefois, cette base est petite-bourgeoise (travailleurEs des services publics, précaires) plutôt que strictement prolétarienne. Ceci est la conséquence du fait que le « populisme de droite » (comme Trump aux États-Unis et Orban en Hongrie) a été capable de s’imposer comme force antisystème prétendant représenter « le citoyen ordinaire », bien que sa politique économique fasse la promotion des intérêts du grand capital et bénéficient à la petite-bourgeoisie. La distance entre le parti et les masses est réfléchie par la distance entre la direction du parti (politiciens professionnels et cadres) et ses membres ordinaires (qui prennent le rôle de consommateurs de l’idéologie officielle plutôt que d’en être les créateurs et les auteurs). De ce point de vue, Levica reste une organisation petite-bourgeoise ordinaire sans formes socialistes spécifiques d’action politique et d’organisation.
Levica a-t-il participé à des conflits sociaux ?
Le plus grand problème de Levica et de la « gauche radicale » en général est sa faiblesse quant à la théorie radicale et le militantisme. Levica s’est définitivement intéressé à la situation des travailleurEs surexploités et a lutté pour diminuer le taux d’exploitation, en augmentant les salaires. Mais cela a été fait depuis le Parlement, et pas sur le terrain. En dépit de sa force électorale relative, Levica est encore incapable d’atteindre directement les masses dans leur combat. Ceci crée un danger constant d’opportunisme (les prises de position hors médias sont négligées et ne sont pas communiquées à un large public) et d’intégration dans l’appareil politique bourgeois.
Quels ont été les thèmes proposés par Levica dans la campagne électorale ?
Levica a fait la promotion des droits des travailleurEs, des sans--emploi et des retraitéEs contre les forces du capital. Cela comprend les revendications pour l’abolition des formes les plus précaires d’emploi, une augmentation des salaires, des pensions et des aides sociales, ainsi que des mesures pour réaliser ces objectifs comme la taxation du capital et des revenus élevés. Le deuxième thème majeur était que les mesures devaient bénéficier au bien-être de la population slovène plutôt qu’aux intérêts des puissances occidentales (UE, Otan). Une des revendications a été d’abandonner le plan d’investissement de 1,2 milliard d’euros d’équipement militaire qui sert à rendre l’armée plus utile pour les interventions de l’Otan à l’étranger.
Cependant, les médias, soutenus par le capital et ses représentants politiques, ont été ceux qui ont dicté la campagne. L’objectif de celle-ci était était d’exiger des exemptions fiscales et de favoriser les nantis.
Le tout imposé de concert avec l’inévitable « problème des migrants » et des questions imaginaires de « sécurité ». Ceci a été représenté comme la question décisive en dépit du fait que la Slovénie connaît une augmentation rapide du revenu national, qu’elle a les excédents [de sa balance des paiements] les plus importants dans l’Union européenne, que le niveau de taxation en Slovénie est en-dessous de la moyenne européenne. En bref, les capitalistes ont été en mesure de présenter leurs intérêts de classe comme formule de développement alors que les principaux économistes nous apprennent le contraire.
Quelle sera la politique de Levica au Parlement ?
Levica devrait immédiatement mettre la pression sur le capital domestique et ses défenseurs pour améliorer le statut et la situation des travailleurEs et pour utiliser les ressources publiques (prévues pour les dépenses militaires) au profit du système de santé et plus généralement d’une amélioration de la situation sociale.
Je n’ai pas beaucoup d’illusions sur le fait que Levica puisse gagner dans ce type de rapport de forces, mais cela pourrait radicaliser les masses et garder le parti dans la bonne direction, direction qui consiste à developper une force -politique qui dans des circonstances favorables, tiendrait le premier rôle de la transition au socialisme. Car en dépit de l’amélioration de la situation économique, il est évident que le mode de production capitaliste est dans une crise -profonde et doit être dépassé.
La tentation de participer à un nouveau gouvernement que l’on pourrait qualifier de centre-gauche pourrait être grande. Ne pensez-vous pas que cela pourrait conduire à des impasses et des situations comme ce qui s’est passé en Grèce ?
La comparaison avec la Grèce n’est pas très utile, car la situation courante de la Slovénie dans le capitalisme européen et dans l’Union européenne n’est pas la même. Il y a aussi le fait que Syriza était le parti majoritaire dans un gouvernement de deux partis, tandis que Levica serait un membre très minoritaire dans une coalition de 5 ou 6 partis. Ainsi, il aurait moins de force que Syriza dans une situation politique moins radicale. Le résultat le plus vraisemblable d’une telle coalition serait l’intégration de la direction du parti dans la classe politique et/ou la perte de son soutien. Les faiseurs d’opinion de la gauche libérale encouragent Levica à rejoindre le gouvernement, non pas pour promouvoir les intérêts de la classe ouvrière, mais pour empêcher la faction conservatrice de la classe politique de s’emparer du pouvoir au détriment de la faction libérale. Mais l’histoire nous enseigne que la participation à des gouvernements bourgeois n’a rien à voir avec la prise du pouvoir pour transformer le système, ce qui est la tâche des socialistes.
Propos recueillis par Lucien Perpette