« Nous sommes déterminés à changer la politique économique qui a été imposée pendant les 36 dernières années » a déclaré Andres Manuel Lopez Obrador, président du Mexique depuis la fin 2018, mais la rupture reste très partielle, tant sur le plan économique que social. (Note de la rédaction)
La fraude électorale de 2006, perpétrée par le Parti d’Action Nationale avec la complicité du Parti Révolutionnaire Institutionnel1 contre Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO), a empêché le Mexique de faire partie de la vague de « gouvernements progressistes » de cette époque et de bénéficier des prix élevés du pétrole. Cette fraude est caractéristique du type de régime autoritaire, corrompu et oligarchique que connaissait le Mexique. AMLO a été investi comme président le 1er décembre 2018 après avoir remporté largement l’élection.
Au cours de pratiquement une année de gouvernement de Lopez Obrador d’importantes mesures indiquent une évolution sensible par rapport au régime antérieur.
Des mesures disparates
Certes, son gouvernement ne fait pas partie de cette oligarchie qui contrôlait tous les ressorts du pouvoir et était liée au narcotrafic. Son premier acte gouvernemental fût de suspendre la construction du nouvel aéroport de la ville de Mexico (CDMX), projet pharaonique et écocide, ce qui signifiait un coup dur pour les intérêts du groupe d’entreprise « Atlacomulco » et ses partenaires. Il a introduit des programmes d’assistance comme la pension de retraite universelle pour tous les adultes de plus de 65 ans (70 dollars mensuels), des bourses pour tous les jeunes qui étudient ou commencent des périodes en apprentissage, des aides pour les mères célibataires et les handicapés et pris un décret d’augmentation de 16 % du salaire minimum, 100 % dans la région frontalière.
Lopez Obrador a pris d’autres décisions, à fort impact médiatique, comme de réduire de moitié les salaires des hauts fonctionnaires publics et de leur supprimer tout une série de prébendes (automobiles de luxe, gardes du corps, médecine privée, etc.), il a vendu le luxueux « avion présidentiel » et se déplace en avion de ligne commerciale, il a combattu la corruption en instruisant des procès à quelques-unes des personnalités importantes du gouvernement précédent, garanti une réelle liberté de la presse et il a maintenu un planning de travail qui lui fait rencontrer de larges secteurs de la population.
En matière de droit du travail la réforme adoptée s’attaque au pouvoir des mafias syndicales, clé de voute du régime corporatiste qui domestique les travailleurs et fait du chantage aux patrons, et élimine les « contrats de protection patronale ». Mais sur ce terrain social de nombreuses choses sont contestables : les licenciements de milliers de travailleurs du secteur public, au nom de « l’austérité républicaine », le maintien des plafonds salariaux, la « liberté » pour les syndiqués de payer ou pas leurs cotisations à leur branche ou le fait de ne pas règlementer l’externalisation des entreprises et des emplois.
Sur le plan économique il n’y a pas eu de rupture radicale avec la politique néolibérale, on a même confirmé le Traité de Libre Commerce Mexique-États-Unis et Canada (TMEC, ex « ALENA » en Français) et le paiement de la dette publique.
D’un autre côté il y a un renforcement des entreprises publiques Petroleos Mexicanos (PEMEX) et Comision Federal de Electricidad (CFE) en freinant leur processus de privatisation, en s’attaquant à la corruption et au vol de pétrole et de gaz et en investissant pour assainir leurs finances. Il y a eu des mesures pour éliminer les privilèges et les fraudes fiscales des chefs d’entreprises, mais aucune réforme fiscale progressive. Toutes ces mesures destinées à renforcer le marché intérieur n’ont pas été suffisantes pour contenir les effets du ralentissement mondial et récupérer la croissance économique, dont l’indicateur pour les deux derniers trimestres est proche du 0%.
Une Garde nationale militarisée
La partie la plus contestée de l’action du gouvernement de Lopez Obrador est sa politique sécuritaire de combat contre le crime organisé. La création d’une Garde Nationale, sous commandement militaire, est la continuation de la politique militariste antérieure. Même si, au moins jusqu’à présent, il n’a pas utilisé cette force pour réprimer les mouvements sociaux, il n’y a aucune garantie que ce risque ne se concrétise pas avec ce gouvernement ou avec d’autres dans le futur.
Face à l’énorme puissance de feu des groupes criminels et leur domination territoriale, le gouvernement de Lopez Obrador a opté pour « retirer l’eau du vivier », en entamant le processus de légalisation de la marijuana, en bloquant les comptes de narcotrafiquants (au 14 octobre 2019, 2000 comptes en banque d’un montant de 473 millions de dollars) et en offrant des cultures alternatives aux paysans et des bourses aux jeunes.
Le gouvernement de Lopez Obrador est également contesté parce qu’il ne consulte pas réellement les peuples dont le territoire sera utilisé pour réaliser des méga-projets comme celui du train interocéanique, ou « train Maya ». Ce n’est que le 15 novembre 2019 qu’il a annoncé une consultation des populations des municipalités où on a projeté le tracé du train Maya. La « phase informative » aura lieu les 29 et 30 novembre et la « phase consultative » les 14 et 15 décembre…
En ce qui concerne la politique extérieure, on a critiqué à juste titre l’utilisation de la Garde nationale pour servir de police migratoire de Donald Trump. Cela sous la menace d’appliquer de lourdes taxes à nos exportations vers les États-Unis. […]
Un point bien différent est la politique envers le reste de l’Amérique Latine et de la Caraïbe. Sur ce plan AMLO a repris le rôle leader du Mexique pour contenir la politique interventionniste des États-Unis. Ce fut d’abord le refus de reconnaître la marionnette Juan Guaido comme président du Vénézuéla et le rejet de la menace d’intervention qui lui était liée. A présent, de façon claire et sans ambigüité, c’est la condamnation du coup d’État en Bolivie et le droit d’asile offert à Evo Morales.
L’impact des réformes de Lopez Obrador se reflète dans divers sondages. Alors qu’il a été élu avec 30 millions 113 mille voix, 53,19% des exprimés, actuellement le niveau d’acceptation du gouvernement oscille entre 70 et 80%.
De nouveaux processus de mobilisation
Pour un pays qui connaissait un régime corrompu, autoritaire et ultra néolibéral en décomposition, ces changements, ne sont pas peu de chose. Ils marquent une rupture qui peut cimenter les fondations de la structure industrielle et peuvent créer de meilleures conditions pour la lutte démocratique pour inverser les effets les plus nocifs de la politique néolibérale. Ce n’est pas un hasard si nous pouvons commencer à percevoir de nouveaux processus de mobilisation et de recomposition de la lutte syndicale.
Le gouvernement de Lopez Obrador n’est pas de même nature que celui du PRI et du PAN, même s’il n’est pas du tout un régime révolutionnaire. C’est un gouvernement de type nationaliste bourgeois démocratique dont on ne peut ni accepter ni repousser en bloc la politique. Surtout maintenant, à l’heure où l’ultra droite golpiste relève la tête, il est nécessaire que nous apprenions à distinguer parmi les politiques progressistes ce que nous devons contester et ce que nous ne pouvons pas contester.
*José Luis Hernández Ayala est Membre de la Coordinadora Socialista Revolucionaria (Mexique).
- 1. PRI : parti révolutionnaire institutionnel. Créé en 1929, originellement nationaliste et de gauche, le PRI se tourne vers le centre droit et le néolibéralisme à partir des années 1980. De plus en plus corrompu, il a détenu sans interruption la présidence du Mexique jusqu’en 2000. PAN : parti Action nationale. Droite conservatrice. Alterne à la présidence avec le PRI depuis 2000.