Publié le Vendredi 22 novembre 2013 à 20h19.

A nouvelles luttes, nouvelles méthodes

Dans la foulée des processus exigeant la chute des régimes, émergent les revendications des groupes opprimés de la région et aussi des luttes écologiques, qui questionnent y compris par leur forme les mouvements révolutionnaires et les organisations traditionnelles.

Femmes, homosexuels

En 2011 et 2012, des femmes d’Arabie Saoudite manifestent pour le droit à conduire, puis les étudiantes organisent des sit-in à l’Université d’Abha et à celle d’Al Ross. Les Egyptiennes manifestent en solidarité avec Samira Ibrahim qui avait dénoncé les tests de virginité, s’organisent et protestent à plusieurs reprises contre le harcèlement sexuel. Les Tunisiennes investissent la rue massivement les 13 août 2012 et 2013. Les Yéménites et les Libyennes créent des mouvements de femmes. Les homosexuels ont dorénavant leurs revues : Gay en Tunisie, Mithly au Maroc etMawaleh en Syrie.

Amazighs, immigrés, parias, minorités religieuses

Les Amazighs de Tunisie organisent une manifestation à Tunis pour que soient prises en compte leurs revendications dans la prochaine constitution et ceux de Libye revendiquent fortement leur participation au gouvernement libyen. A Oman, les travailleurs étrangers (80 % du secteur privé) organisent marches et grèves incessantes pour des impayés de salaires et des augmentations. Les sans papiers indonésiens d’Arabie Saoudite manifestent devant leur consulat à Djedda. 

Les parias que sont les « Akhdam » du Yémen, qui vivent dans les bidonvilles à la périphérie des villes, font une grève nationale du nettoyage de plusieurs mois en 2012 pour exiger des contrats de travail et rejoignent les révolutionnaires pour gagner une reconnaissance sociale. Les apatrides du Koweit dits « Bidun » manifestent les vendredis pour exiger leur citoyenneté. Les Noirs de Tunisie et les sans papiers au Maroc s’organisent contre le racisme. Les Toubous de Libye font cause commune avec les Amazighs pour que leurs droits soient respectés dans la constitution. Les sunnites d’Irak organisent des rassemblements pacifiques les vendredis pendant cinq mois en 2013 pour leurs droits.

Liberté de conscience

Au Maroc et en Algérie, les « dé-jeûneurs » revendiquent dans les lieux publics de ne pas respecter le ramadan. En Tunisie ils « dé-jeûnent » à visage découvert sur Internet.

Demandeurs d’asile

Les demandeurs d’asile de Choucha (Tunisie) manifestent à plusieurs reprises pour obtenir le statut de réfugié puis pour pouvoir vivre où bon leur semble. Les réfugiés syriens de Jordanie se révoltent, plusieurs fois également, dans le camp de Zaatari. Les réfugiés soudanais en Egypte protestent contre l’absence de protection. 

Les luttes écologiques

Elles sont initiées dès mai 2010 par 15 000 écoliers du Koweït qui restent à la maison pour dénoncer l’inaction du gouvernement contre la pollution industrielle. A Guellala en Tunisie, les digues cèdent sous les eaux usées et les égouts se répandent, les populations manifestent bruyamment contre un désastre écologique annoncé. En Egypte, les comités populaires d’Alexandrie lancent une campagne de propreté en envoyant les sacs de poubelles non ramassés devant la municipalité. A Assouan, les habitants tentent de s’organiser contre la pollution du canal de Kima qui déverse dans le Nil des eaux polluées, entraînant maladies et décès. A Damiette, les habitants s’affrontent aux chars de l’armée pendant deux semaines après avoir bloqué la ville pour protester contre la pollution par une usine chimique.

Les populations de Ghadhfan, à Oman, manifestent en 2012 et 2013 contre la pollution occasionnée par la zone industrielle et l’émission de gaz toxiques ayant entraîné maladies et décès. En 2012, des manifestations sont organisées par un collectif d’associations et de partis politiques en Tunisie contre l’autorisation donnée à Shell d’exploiter le gaz de schiste dans la région de Kairouan.

Ces luttes cumulent parfois plusieurs aspects : des populations entières au chômage, vivant à proximité de concentrations industrielles, se révoltent contre un système dont elles ne subissent que la pollution et ne retirent aucun avantage. A l’instar des luttes de Gafsa en Tunisie et de Ghadhfan à Oman, menées pour l’emploi et contre la pollution, la révolte d’Imider au Maroc mobilise pendant des mois, en 2013, des populations qui combinent trois types de revendications : pour l’eau (nappe phréatique polluée par la surproduction minière), pour l’emploi et en tant que qu’Amazighs. 

Nouvelles formes de luttes

De nouvelles attitudes, très minoritaires certes, se font jour : des femmes conduisent en Arabie saoudite, investissent les cimetières lors de l’enterrement de Choukri Belaïd en Tunisie ou pour enterrer les morts à Salamiyé (Syrie), enlèvent le haut (Tunisie) et le bas (Egypte). Les athées mangent en plein ramadan au Maroc, en Algérie ou en Tunisie. Le corollaire de ces comportements est l’émergence de mouvements anti-autoritaires (Maroc, Tunisie, Egypte, Syrie) qui n’ont pas l’intention d’attendre qu’on leur octroie des droits pour les exercer. 

LUIZA TOSCANE