Entretien avec Georges Waters, militant au NPA Jeunes.
Le rejet de la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) a suscité une mobilisation importante, mais celle-ci ne semble pas avoir été majoritaire, que ce soit en termes d’universités touchées ou du nombre d’étudiant·e·s ayant mené ou soutenu la lutte. Comment analyses-tu cette situation ? La droite traditionnelle, voire l’extrême droite, ont toujours eu une base chez les étudiants, mais quel peut y être aujourd’hui le poids du macronisme et de son idéologie ? Et celui de l’indifférence ou de la résignation ?
Il est vrai que contrairement aux grandes mobilisations étudiantes des dix dernières années, notamment celles contre le CPE, mais aussi dans une moindre mesure celle contre la loi Travail en 2016, la mobilisation contre la loi ORE n’a touché qu’une minorité de centres universitaires, avec des rythmes et des niveaux de mobilisations très disparates. Cependant, en conclure que la mobilisation était « minoritaire » serait à mon sens erroné. En avril, un sondage montrait que 50 % de la population était opposée à cette loi et ce chiffe montait à 61 % chez les jeunes de 18 à 25 ans, preuve que le projet macroniste pour l’université est loin de bénéficier d’un soutien majoritaire.
Cependant, le rejet massif de la sélection à l’université ne s’est pas concrétisé dans une mobilisation de masse à l’échelle nationale. Il faut tout de même noter que dans plusieurs universités (Le Mirail, Tolbiac, Rennes 2, Nanterre), le niveau de mobilisation était plus important que durant le CPE, avec des assemblées générales à 2000 à Nanterre et 3500 à Rennes 2, ce qui constitue des records. On était donc face à une bataille qui avait un fort potentiel hégémonique dans la jeunesse scolarisée et non scolarisée, mais qui n’a pas réussi à atteindre une masse critique suffisante pour obtenir le retrait de la réforme.
Pour moi, ce n’est pas dû à une importance des organisations de droite et d’extrême droite dans la jeunesse. À la présidentielle, les deux partis des 18-25 ans sont l’abstention et la France insoumise, preuve que le projet macroniste n’est pas soutenu par les jeunes. Donc ce n’est pas cela qui explique les disparités dans la mobilisation. En réalité, ce qui a manqué durant ce mouvement, c’est d’une direction capable d’incarner un projet contre-hégémonique face au macronisme, avec un projet alternatif pour l’université, et qui soit capable de proposer un plan de bataille contre le gouvernement.
La faiblesse des organisations militantes, notamment celles liées à l’UNEF et au PCF, ont joué dans cette absence de direction, leur crise liée à l’effondrement du PS ayant laissé le mouvement étudiant sans direction ni programme. Ce n’est donc pas de l’indifférence (à Tolbiac, le blocage était très largement soutenu par exemple), ni de la résignation, mais plutôt une absence de plan de bataille. Ce qui a poussé les étudiants à rester chez eux, c’est l’impasse entre une réforme dont ils ne voulaient pas et une mobilisation qui n’allait nulle part et était incapable de gagner.
Une caractéristique qui saute aux yeux, et détonne par rapport à tous les mouvements étudiants précédents, est la présence et l’influence, de fait majoritaire, de la mouvance autonome ou autonomiste. Avec comme expressions ou conséquences la réticence ou le refus de construire un mouvement national coordonné démocratiquement, d’élire des porte-parole responsables et mandatés (cf. les masques de carnaval et le « chien Guevara » lors de la fameuse conférence de presse de Tolbiac), de manifester sur la voie publique et de sortir du strict cadre de sa fac pour étendre le mouvement et converger avec d’autres secteurs mobilisés. Tout cela au nom de l’idéologie consistant à « faire des ZAD partout », dans ce cas à transformer les facultés occupées en « lieux de vie » alternatifs au lieu d’en faire des bastions pour la construction d’un mouvement national capable de battre la politique de Macron. Comment analyses-tu ce phénomène, quelles en ont été les conséquences, et quelle politique alternative les militant·e·s du NPA ont-ils et elles défendu ?
L’influence des autonomes était déjà très présente en 2016 contre la loi Travail, et s’était à l’époque beaucoup exprimée dans le phénomène du cortège de tête. Le fait principal qui a permis aux autonomes d’occuper une place majoritaire et de direction du mouvement, c’est le vide laissé par l’effondrement de l’UNEF et de ses organisations satellites (UEC, JC, UNL, jeunes écolos, jeunes socialistes). L’effondrement de l’UNEF, causé avant tout par la politique menée par le PS sous Hollande, a détruit ce qui a structuré pour un temps le mouvement étudiant français, et les autonomes, en partant d’une critique juste de la politique du PS, c’est-à-dire une politique anti-sociale accompagnée par ces organisations, notamment dans la jeunesse, en sont arrivés à plusieurs conclusions. D’abord, l’idée que ce n’est pas par les réformes que l’on peut changer la société, mais par un affrontement avec l’appareil d’État. La seconde conclusion a été que la nature bureaucratique des organisations étudiantes était par essence liée au fait que ce soit des organisations structurées nationalement.
Au lieu de s’affronter à l’UNEF comme organisation réformiste bureaucratique, les autonomes cherchent en réalité à mettre à bas toutes les traditions du mouvement étudiant français, même si celles-ci se sont souvent construites contre la direction de l’UNEF. La question de l’auto-organisation est ainsi centrale : durant le CPE, tous les foyers de mobilisation étudiante se sont regroupés autour d’une coordination nationale étudiante qui proposait une politique nationale et des rythmes pour tous les étudiants mobilisés. C’est cette stratégie qui a permis de faire gagner le mouvement. Comme ces coordinations, comme toutes les formes d’auto-organisations sont investies par les bureaucrates de tout poil pour prendre le contrôle du mouvement tout en le disant « auto-organisé », les autonomes ont refusé toute participation à ces cadres, sous prétexte de bureaucratisation des assemblées générales et des comités de mobilisation.
Evidemment, leurs incapacité à construire un mouvement national auto-organisé, liée par ailleurs à un scepticisme sur la capacité à gagner contre le gouvernement, pousse les autonomes à une forme de possibilisme et de repli sur le local, sous la forme des occupations et des squats, où il s’agirait d’organiser une société sans exploitation ni oppressions ici et maintenant, sans s’affronter réellement à l’appareil d’Etat, si ce n’est dans des formes spectacularisées et sans impact politique réel, comme le sont les black blocs.
Un autre débat avec les autonomes, c’est la question du sujet social capable de faire reculer le gouvernement. Même s’il y a des débats chez les autonomes sur la question, l’idée que seule la classe ouvrière a la capacité politique de s’affronter à l’Etat capitaliste a été abandonnée au profit de nouveaux sujets qu’ils disent révolutionnaires : les précaires, les quartiers populaires, les chômeurs, les jeunes… Pour certains, il n’y a même plus de sujet en soi, celui-ci se cantonnant à celles et ceux qui sont déjà en mouvement.
Il y a malgré tout eu quelques expériences notables de convergence avec le mouvement ouvrier, notamment à Paris 1-Tolbiac avec les cheminots en grève…
Tout à fait, c’est d’ailleurs une partie importante de la politique que nous avons menée à Tolbiac : tout d’abord, créer des liens de solidarité entre les étudiants et les cheminots, en faisant venir des grévistes à Tolbiac, puis en les impliquant concrètement dans la défense de Tolbiac face aux risques d’intervention policière. Finalement, nous avons porté l’idée d’une soirée de solidarité avec les grévistes, qui a permis de récolter 6000 euros pour les comités de grève d’Austerlitz, Paris Nord et Saint-Lazare. Il ne s’agissait pas seulement de construire une convergence abstraite comme peuvent le concevoir les autonomes dans une idée d’addition des luttes, mais bien de tenter de faire en sorte que le mouvement ouvrier prenne en charge la défense de l’université publique, comme une tâche démocratique.
Il n’y a qu’une classe qui soit vraiment intéressée par l’accès universel et gratuit à l’éducation : c’est la classe ouvrière. Bien sûr, il ne s’agit pas pour elle de défendre une université qui forme les techniciens du capitalisme, les ingénieurs qui organiseront l’exploitation, etc. Mais la classe ouvrière est disposée à défendre une université qui forme des avocats prêts à la défendre face aux patrons, des historiens qui raniment l’histoire du mouvement ouvrier, des ingénieurs qui réfléchissent pour rendre son travail moins fatiguant…
Voilà le sens du lien entre étudiants et ouvriers que nous avons cherché à construire. Si quelques ponts et relations se sont créés, ils ont été insuffisants, participant à l’isolement du mouvement étudiant, qui n’a par exemple pas du tout participé à la dénonciation de la politique des directions de la CGT cheminots, qui a emmené les cheminots dans le mur avec la stratégie du « 2/5 », et les étudiants avec. Il faut cependant remarquer par ailleurs que ce sont plutôt les cheminots qui sont allés aux étudiants que le contraire, preuve qu’il y avait les possibilités de renforcer ces liens.
D’autres forces politiques ou politico-syndicales sont intervenues dans le mouvement – UNEF, LFI ou encore LO. Quelles orientations ont-elles défendu, et quelles ont été nos convergences ou divergences avec elles ?
En ce qui concerne La France insoumise et l’UNEF, leur intervention a été extrêmement faible. Actuellement, à l’UNEF, la guerre factionnelle entre hamonistes et mélenchonistes empêche l’organisation d’avancer, les mélenchonistes étant implantés dans certains grands bastions du mouvement étudiant (Tolbiac notamment) et les hamonistes détenant l’appareil national. Pour la FI, il n’a jamais été question de proposer une politique pour le mouvement. En effet, afin d’éviter de se mettre à dos les autonomes, les insoumis ont tout simplement suivi leur politique de façon acritique, en tentant d’occuper les places de porte-parole médiatiques. En se mettant dans cette position d’observateur, ils ont pu s’attirer les bonnes grâces de certains autonomes (même si ce n’est pas sans générer certaines contradictions) contre notamment le NPA qui a refusé ce genre d’abstentionnisme qui laisse le mouvement aller dans le mur.
Pour ce qui est de Lutte ouvrière, son intervention a été inexistante, au mieux parasitaire : refusant toujours de considérer le mouvement étudiant comme une force sociale, ils ne lui proposent aucune politique, si ce n’est d’extraire les quelques étudiants qu’ils gagnent à leurs idées pour « aller aux travailleurs ».
Avant, on était confrontés dans les facs aux blocages bureaucratiques de l’appareil de l’UNEF – et éventuellement d’autres micro-appareils. Maintenant, on se retrouve face à l’idéologie post-moderne du repli sur soi des « ZAD partout ». L’impression que cela donne, en tout cas de l’extérieur, est que l’on a vu surgir au cours de ce printemps un nouveau mouvement étudiant, largement différent de ce que l’on connaissait dans le passé, très combatif mais posant de nouveaux problèmes, reflétant autant de nouveaux obstacles politiques. En termes plus généraux, ou « stratégiques », quelles réponses le NPA jeunes peut-il apporter ?
Ce qui est certain, c’est que « le vieux monde se meurt » comme le disait Gramsci. Quel sera le « nouveau monde », on ne peut pas encore le dire. Le mouvement étudiant se trouve dans une étape transitionnelle qui n’est pas encore achevée. Ce qui est prometteur, c’est que ce nouveau mouvement étudiant naît notamment d’une critique du réformisme type UNEF. Cependant, son obsession antibureaucratique pousse cette nouvelle génération à refuser toute forme d’organisation et d’auto-organisation.
De manière générale, c’est une forme d’immaturité qui s’exprime aujourd’hui dans la jeunesse, avec une tendance à chercher tout de suite des raccourcis dans la lutte contre l’appareil d’Etat. Cela s’exprime dans les black blocs, où l’on assimile l’insurrection à une émeute minoritaire de rue comme celle qu’on a vu à Paris le 1er mai, ou encore dans la logique des squats/ZAD : l’idée qu’on pourrait, ici et maintenant, partiellement, abattre le capitalisme dans un temps et un espace réduits.
Le problème central posé aux révolutionnaires dans ce contexte, c’est de lutter contre ce qui est en dernière instance une remise en cause de la possibilité de faire la révolution. C’est contre ce scepticisme que nous devons lutter, en montrant non seulement l’actualité de la révolution prolétarienne et le rôle que peuvent avoir les étudiants dans celle-ci, mais aussi en prouvant qu’il y a une stratégie en capacité de préparer la révolution en France. Le scepticisme ambiant, qui n’est autre qu’une forme de victoire de l’idéologie bourgeoise sur les franges les plus radicalités de la société, comme les autonomes, doit être notre principal adversaire. Ce scepticisme s’exprime aussi dans la popularité nouvelle des idées mélenchoniennes qui, si elles n’ont pas encore énormément de prise sur le mouvement étudiant, pourrait postuler au remplacement de l’UNEF dans la prochaine période.
Le NPA Jeunes, à mon sens, doit être à l’avant garde d’un discours pro-ouvrier qui replace la lutte des classes au centre de l’analyse politique, et qui doit tout faire pour construire une jeunesse communiste et révolutionnaire, convaincue de la nécessité de la construction d’un parti pour la révolution. Dans l’immédiat, il faudra réussir à populariser et convaincre le plus de personnes de ce bilan de la mobilisation, qui est la première pierre pour que le mouvement étudiant sorte de sa léthargie organisationnelle et politique.
Propos recueillis par Jean-Philippe Divès