Suite à la tentative de suicide par immolation d’Anas, c’est la première fois depuis le CPE que le mouvement étudiant se focalise sur les conditions d’existences des étudiantEs et non pas sur les questions de réforme de structure à l’Université (LRU, fusions, sélection). Cela est particulièrement intéressant car dans ce type de mobilisations, les étudiantEs se déterminent plus facilement comme travailleurs.euses précaires en formation. En ce sens, comme pour le CPE, les sites qui pourraient constituer les principaux bataillons d’un mouvement pourrait se décaler des milieux les plus intellectuels ou secteurs populaires de la jeunesse. On touche au nœud du problème. Après 20 ans de réforme de l’Université en France, seuls les enfants des couches les plus aisées peuvent facilement suivre des études. Les autres sont condamnés à la précarité, aux sacrifices ou à l’abandon des études. Si on ajoute à cela la sélection à l’entrée des études supérieures, ce sont des centaines de milliers de jeunes qui sont en situation de déclassement. Ils vivront moins bien que leurs parents !
Les premières réactions du milieu étudiant sont encourageantes, avec une participation non négligeable, un degré de combativité élevé et une certaine spontanéité. En effet, aucun mouvement dans la jeunesse depuis le début des années 2000 n’a été massif en quelques jours. Il faut nécessairement une phase d’ancrage et de construction. Une des erreurs pour les secteurs militants serait de temporiser, d’attendre le 5 décembre pour coller à l’appel à la grève des confédérations syndicales. Plus grave encore serait l’erreur de ne pas avoir suffisamment confiance dans les capacités du milieu à changer brutalement dans sa disponibilité à lutter et de ne rien proposer d’ambitieux. Il faut briser les rythmes, accélérer, donner des perspectives. Le mouvement étudiant à ses rythmes propres !
Contrairement à la période précédente, les équipes militantes sont très affaiblies
Les courants réformistes en quasi mort clinique. Ceci laisse un espace disproportionné aux courants gauchistes qui sont à cette étape un obstacle à la construction d’une mobilisation majoritaire dans la jeunesse. Cela prend plusieurs symptômes : le rejet des quelques organisations qui ont résisté au reflux, une conception idéalisée de l’auto-organisation comme un a priori et non pas comme une nécessité pour le mouvement, le suivisme vis-à-vis des rythmes du mouvement ouvrier à l’approche du 5 décembre…
Les étudiantEs sont plus disponibles à la lutte par nature. Ils ne connaissent pas les défaites du passé comme les travailleurs.euses (à part quelques militantEs qui sont restéEs organiséEs entre deux mobilisations), ils réapprennent à chaque mobilisation. Mais la masse des étudiantEs, celle qui ne s’est pas mobilisée depuis 2006 (CPE), à un niveau de conscience qui peut évoluer très vite mais qui est cependant limité. Dans la phase de construction du mouvement, il faut les convaincre de la justesse du combat. Cela requiert une politique juste sur au moins 3 aspects : l’unité des organisations de jeunesse (parfois jusqu’aux corpos « de gauche »), la matérialisation d’une plateforme de revendication qui répond au problème posé, la volonté des équipes militantes et des étudiantEs actifs.ves de convaincre toujours plus d’étudiantEs, de s’élargir pour être majoritaires dans le milieu.
L’unité d’abord
S’il n’y a pas un accord entre la plupart des courants pour mobiliser le milieu, alors les étudiantEs se détournerons plus facilement du mouvement. Les luttes intestines entre petites fraction radicales sont incompréhensibles par les masses. Elles ne peuvent que les jeter du côté de l’idéologie dominante. A l’inverse, un accord entre toutes les fractions sera un élément donnant confiance aux étudiantEs pour aller à la bagarre. Cela permettra également, en unissant les forces disponibles, de développer le mouvement en dehors de certains bastions (combatifs mais très minoritaires si on prend en compte l’ensemble du milieu étudiant). C’est ce qui a été fait en 2006 au début du mouvement avec le collectif « Stop CPE » qui regroupait la quasi-totalité des organisations de jeunesse et avait été un fort point d’appui pour initier la mobilisation à une échelle jamais reproduite depuis.
Sur les revendications
C’est un des problèmes majeurs des milieux les plus gauchistes. Les étudiantEs ne se mobilisent pas uniquement sur l’émotion et très peu par la théorie. La solidarité avec les travailleurs.euses, le rejet du capitalisme, la convergence des luttes, la révolution sont les éléments de propagande indispensables. Ils ne servent à pas grand-chose pour une agitation de masse dans la phase de construction d’un mouvement, si ce n’est à gagner des unités dans les différents groupes qui se concurrences.
Au contraire, les étudiantEs peuvent être disposéEs, face à la précarité qui tue, à défendre des revendications transitoires pour un présalaire à hauteur du SMIC, financé par la part socialisée du salaire des travailleurs, pour la gratuité du logement et des transports en commun, pour l’intégration des années d’étude dans les annuités pour la retraite…
La perspective d’un mouvement majoritaire
C’est la question clef. 10 ans de reculs du mouvement étudiant ont fait perdre cette perspective aux jeunes militantEs (de façon caricaturale dans les courants dits autonomes). Blocages prématurés qui renvoient la masse des étudiantEs à la maison, négligence sur la préparation d’échéances de rue massives qui donnent confiance au-delà des minorités qui participent aux AG, faiblesse dans les capacités de convaincre par un discours trop propagandiste (qui fait primer la théorie sur la défense de revendications concrètes) … la liste est longue des impasses dans lesquelles le mouvement étudiant peut s’égarer.
Un débat existe également avec certains courants qui voudraient utiliser le mouvement étudiant pour aller mobiliser les travailleurs.euses, devant les lieux de travail et de façon mécanique. Pour elles/eux, construire un mouvement majoritaire est bien secondaire. Surtout, ils ne comprennent pas le rôle que joue le mouvement étudiant sous le capitalisme avancé.
S’il a une influence sur les travailleurs.euses, ce n’est pas en leur apportant « de l’extérieur » la conscience. S’il a une influence c’est parce qu’il modifie de fait, par sa massivité et sa combativité, la situation politique. Il met à l’ordre du jour l’affrontement avec le gouvernement et le patronat. Avant-garde tactique, il est la plaque sensible, aux côtés du reste de la jeunesse, de la révolution.
La question de l’auto-organisation
Elle est pour nous indispensable pour construire un mouvement fort qui soit en capacité de gagner. Un mouvement contrôler par les étudiantEs elles/eux-mêmes. Mais trop souvent les courants gauchistes confondent auto-organisation et autogestion et tentent de l’imposer par en haut, par la théorie. Il faut comprendre que c’est par l’action, par les nécessités de la lutte que l’auto-organisation progresse. Dans le cas contraire on aboutit à une « auto-organisation » excluante, pas seulement des autres courants politiques, mais également de la grande masse des étudiantEs. Il y a un enjeu particulier pour l’unité et la cohésion du milieu que les organisations soient inclues dans la construction de l’auto-organisation. Cela avait été le cas dans la coordination étudiante lors du mouvement contre le CPE où les JCR et la direction de l’UNEF avait été les principaux initiateurs de la centralisation des cadres auto-organisés contre les courants les plus gauchistes comme les plus droitiers (FAGE, Confédération étudiante).
Sylvain Pyro