Entretien. Le nombre de personne sans domicile a doublé en dix ans, selon la Fondation Abbé-Pierre. Plusieurs personnes sont mortes début janvier de vivre dehors ou dans des abris de fortune. Raphaël, porte-parole de la fédération de Droit au logement (DAL) pour le Sud-Est revient sur l’état du logement en France et les politiques qui vont à l’encontre de ce droit essentiel d’avoir un toit !
Quelle analyse fais-tu de la crise actuelle du logement ?
La crise sociale du logement est de plus en plus forte, en raison des choix politiques et budgétaires : disparition de l’aide à la pierre pour la construction et la rénovation publique, ponction dans les budgets des bailleurs sociaux, soutien aux milieux de l’immobilier, à ceux du sur tourisme et aux projets de rénovation urbaine dans les quartiers populaires aux effets désastreux. Les conséquences directes sur les populations les plus précarisées sont terribles. Le nombre de demandeurEs de logement social est inédit. Ce sont les victimes de la crise du logement cher qui ne peuvent plus se loger dans le parc privé, qui sont menacées d’expulsion pour dettes, qui cherchent à « quitter le quartier » sans y parvenir. Le nombre de personnes sans-logis a doublé en dix ans. Survivent dans la rue au moins 3 000 enfants. Le nombre de logements sociaux produits est au plus bas, sans parler de ceux vendus à la découpe ou démolis. Le nombre de personnes prioritaires Dalo non relogées a explosé…
Parallèlement, alors que le nombre de sans-logis est estimé à 400 000 personnes, le nombre de logements vides n’a jamais été aussi élevé : 3,3 millions… et presque autant sont à louer sur la plateforme Airbnb.
Comment la loi Kasbarian, dite « antisquat » a-t-elle aggravé la situation ?
Cette loi est en réalité une loi « antipauvres », elle s’attaque en effet aux conséquences de cette crise…mais pour sauvegarder les intérêts des propriétaires ! Par un paquet de mesures administratives ou judiciaires : possibilité d’expulser plus vite les « mauvais payeurs » ; peines de prison pour les squatteurs ; instauration d’un nouveau délit de maintien dans son logement une fois l’expulsion prononcée… Il s’agit de la loi la plus répressive contre les mal-logéEs jamais votée, et qui s’articule malheureusement parfaitement avec le vote de la récente loi Darmanin et son volet « logement ».
Comment les deux lois sont-elles liées ?
Avec la loi Darmanin, la priorité nationale est entrée dans ce pays ! Elle devrait s’appliquer pour les APL, l’hébergement d’urgence, le Dalo, les prestations familiales, mettant quasiment fin à la possibilité déjà mince d’accéder à un logement pour les familles sans carte d’identité française. Dans le même temps, c’est la suppression de l’automaticité du droit du sol pour les enfants néEs en France de parents étrangers. C’est aussi le durcissement de l’accès et du renouvellement d’un titre de séjour dans un climat raciste et islamophobe…
Ces deux lois, ainsi que les menaces de l’ex-Première ministre Élisabeth Borne concernant la fin de l’attribution de logements HLM aux prioritaires Dalo dans les quartiers populaires où aujourd’hui se concentrent la plupart des logements à bas loyers, visent les mêmes objectifs.
Il s’agit de rassurer les multipropriétaires inquiets de voir baisser leur rente tirée des loyers face à l’inflation subie de plein fouet par les locataires et de désigner des boucs émissaires (mauvais locataires, mauvais payeurs, mauvais parents...) pour masquer l’absence de volonté de la part du gouvernement d’endiguer la crise sociale et détourner l’attention des vrais responsables du mal-logement : les financiers, les promoteurs, les maxi-propriétaires, les spéculateurs. La fin de l’inconditionnalité de l’hébergement et la criminalisation des squats vont forcer les personnes migrantes en situation irrégulière à faire un choix : mourir à la rue ou « re-migrer », en attendant le « débat » sur la fin de l’Aide médicale d’État. Faire du Zemmour sans le dire, c’est à ça qu’on reconnaît ce gouvernement.
Comment lutter contre ces lois antisociales et autoritaires ?
Quand on attaque les droits des catégories marginalisées comme les habitantEs des quartiers populaires, les squatters, les personnes migrantes, on attaque les droits de toutes et tous. C’est donc avec une réponse globale qu’il faut réagir, en nommant les responsables et les irresponsables, dans l’unité et par la lutte sociale.
Face à un déferlement raciste et antisocial de cette ampleur, et dans le climat anxiogène de la guerre si proche en Ukraine et du massacre génocidaire des PalestinienNEs comment contre-attaquer ?
En s’appuyant sur les mouvements en cours : dans beaucoup de grandes villes, parents d’élèves et enseignantEs « désobéissent » et constituent une ligne de front contre les lois Darmanin et Kasbarian, en occupant les écoles pour mettre à l’abri les enfants scolarisés et leurs familles. Soucieux de ne pas devenir un « hébergement institutionnel bis », elles et ils réclament désormais l’application de la loi de réquisition des logements vides. Ils demandent des réponses tout aussi bien à l’État qu’aux mairies. Les maires ont déjà, n’en déplaise aux sénateurs communistes, la possibilité de réquisitionner au titre de leur compétence d’officier de police judiciaire. Cela s’est fait récemment à Montreuil ou encore à Saint-Denis.
Le DAL pousse et soutient également l’organisation et l’action des locataires et des colocataires pour mettre un terme aux abus des propriétaires, réclamer des baisses de loyers et de charges par la rénovation thermique de leurs bâtiment (sans augmentation à postériori) et construire la solidarité et l’entraide dans nos quartiers. Les attaques du gouvernement à la suite des émeutes de mai-juin 2023, qui n’ont donné lieu à aucune réponse sociale, sont terribles et ne s’arrêteront pas là : expulsion des familles des participantEs aux émeutes, répression financière des parents tenus pour responsables, accélération des projets de rénovation urbaine qui chassent les pauvres en périphérie.
L’action du DAL consiste essentiellement à aider à la mise en mouvement et l’action des premierEs concernéEs dans la lutte sociale, dans un combat quotidien. Il s’agit de faire cesser la mise en concurrence des gens entre eux dans un contexte de pénurie organisée (dans le domaine du travail, de la santé, du logement, de l’éducation) et sur fond de racisme structurel.
Je citerai pour finir la phrase bien connue de Martin Niemöller : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester ».