Un fantasme néocolonial (encore!) dans l’éducation nationale.
L’islamophobie a un site d’expression privilégié : l’Éducation Nationale. Elle se présente comme l’alibi d’un discours discriminatoire bienveillant car orienté vers la réussite et le développement de l’esprit critique des jeunes Français. Elle se plaît dès lors à rejouer le fantasme des « hussards noirs de la République » du début du siècle : le « sage » de la laïcité Alain Seksig, au micro de France Culture le 13 octobre, expliquait ainsi à Guillaume Erner que l’enflure constante de la politique menée sur la laïcité serait le résultat d’une « négligence passée » en cours de rattrapage.
Il n’en est rien : les hussards noirs de la République étaient ces instituteurs zélés attachés à l’implantation d’une école permettant à tous de suivre une scolarité complète dans les campagnes d’une France encore illettrée au début du XXe siècle. La Macronie, elle, veut accomplir la transformation des enseignantEs en gendarmes de la tenue et en police de la vertu républicaine, faisant des jeunes croyants un public hostile à l’instruction, l’assimilant à l’illettrisme des paysans de la fin du XIXe siècle, feignant de croire que l’Éducation Nationale ne serait pas encore arrivée dans les villes surpeuplées de nos banlieues. Rejouer cette histoire n’est pas seulement anachronique, c’est aussi réveiller l’imaginaire colonial et positiviste de l’apport de la civilisation sur un Maghreb qu’on appelait uniformément « musulman ».
C’est enfin une façon de faire des musulmans pratiquants, et plus particulièrement des musulmanes, les avatars d’un conservatisme réactionnaire, jadis monarchiste, hostile à la république – c’est dès lors une double imposture : d’une part, parce que ce conservatisme monarchiste sévit aujourd’hui en menaçant les figures qu’il ne juge pas assez islamophobe ; et d’autre part parce que cela vient créer de toutes pièces une politisation que rien n’atteste.
Une multiplication des chefs d’accusation
Alors que nous commémorons les deux ans de l’assassinat de Samuel Paty, les dernières semaines ont été le lieu d’une débauche d’informations sur les « atteintes à la laïcité » que subiraient les établissements publics : pour faire accepter aux personnels d’éducation les politiques autoritaires du ministère les concernant, le ministère prétend ne pas seulement faire preuve de force à l’encontre des enseignantEs, mais aussi d’intransigeance face à un public qui serait toujours plus dangereux. Au fameux « classes laborieuses, classes dangereuses », le ministère de l’Intérieur semble substituer un « classes
religieuses, classes dangereuses », symptomatique de la recomposition de l’opposition du capitalisme libéral à un nouvel ennemi, l’Islam.
Les atteintes à la laïcité sont en réalité instrumentalisées en vue de la sidération des musulmans par une législation d’exception qui semble toujours repousser les limites du pouvoir de répression qui s’abat sur eux.
- De nouvelles infractions sont créées, comme l’a expliqué Seksig, si les abayas et qamis sont devenues des « atteintes » à la laïcité, c’est qu’elles avaient auparavant été considérées comme de simples choix ou goûts culturels. Mécaniquement, ces nouvelles infractions entraînent de nouveaux signalements, souvent au prix d’une incompréhension croissante chez des élèves qui se crispent, et donc d’une situation qui se tend.
- Le ministre Pap N’Diaye a ainsi affirmé ceci : le port de vêtement « à intention » religieuse est désormais proscrit. Au foulard qu’elles devaient retirer s’ajoute désormais pour les jeunes filles une pression nouvelle au moment de sortir de chez elles, et c’est sur tout le trajet et non plus seulement dans l’établissement que la tenue est scrutée. L’interdiction ne porte plus sur la manifestation, mais sur l’intention : ce que l’on criminalise, c’est l’islam et non plus témoigner de l’islam.
- les accusations invérifiables se multiplient : on appelle les personnels à une « vigilance » accrue devant des tentatives de porter le voile grâce à des « sweat à capuche », et on affirme que les influenceurs des réseaux sociaux suivis par les adolescents renverraient à des « associations islamistes » qui ne sont jamais identifiées. De fait, aucune association ne peut se penser épargnée par l’accusation. L’expulsion d’Hassan
Iquioussen, une figure installée depuis quarante ans dans la prédication islamique en France, et l’acharnement pour la mener à bien malgré les premières décisions de justice manifestent suffisamment la férocité d’une législation d’exception.
Le danger de l’extrême-droite : la menace de l’Action Française doit être prise au sérieux
Alors que le gouvernement ne cesse de se lamenter et de regimber devant les résistances d’une population décidément rebelle à sa laïcisation forcée, la menace sur les musulmanes et musulmans s’accroît. Le happening raciste organisé par l’Action Française à Stains en est le symbole : les militants de l’Action Française (celle que combattaient jadis les fameux hussards noirs, et la loi de 1905) se sont en effet introduits à la mairie pour y scander des slogans racistes à l’encontre du maire avec un programme clair : « La France est à nous », impliquant clairement qu’il s’agissait pour eux de la reprendre au maire élu.
Cette action fait suite à deux polémiques subies par le maire de Stains : au début du mois de septembre, le jumelage de Stains avec la ville palestinienne d’Am’ari et la présence du drapeau palestinien dans le bureau du maire ont valu les cris d’orfraie du Printemps Républicain, officine islamophobe de premier ordre qui a soutenu la candidature d’Emmanuel Macron ; la deuxième quinzaine a été marquée par la polémique médiatique à laquelle ont pris part de nombreuses figures d’extrême droite comme Damien Rieu ou William Goldnadel quand le nom de Khadija Bint Khuwaylid, épouse du
Prophète Muhammad, a été choisi dans le cadre de l’action culturelle féministe de la DRAC, permettant de renommer temporairement quelques rues pour mettre en avant des figures féminines inspirantes en concertation avec la population locale.
Il ne s’agit pas seulement de controverses médiatiques : à Nantes, ce 16 Octobre une femme a été poignardée une dizaine de fois et est décédée en raison de son appartenance visible à la communauté musulmane. Si l’enquête ne permet pas de déterminer l’identité du suspect et ses motivations précises, les premiers mots du procureur soulignent le caractère vraisemblablement islamophobe de l’agression.
Soutenir les musulmans dans le monde ou simplement les considérer comme des citoyens égaux en France, c’est donc devenir la cible de l’extrême-droite. Les enjeux de la lutte contre l’islamophobie sont évidents : lutter contre l’islamophobie, c’est lutter contre l’extrême-droite.
Il faut lutter contre l’extrême-droite et construire des cadres de soutien et de défense des
musulmans et musulmanes qu’elle vise aujourd’hui.
Il faut oeuvrer à l’abolition des lois islamophobes qui étendent chaque jour l’arsenal de la guerre que l’Etat fait aux musulmanEs.
Il faut rompre avec les logiques coloniales et impérialistes qui construisent l’opposition de
l’Occident à l’Islam.
Il faut permettre et encourager l’expression féministe des identités musulmanes.