Publié le Vendredi 5 avril 2013 à 21h21.

“De l'abandon au mépris Comment le PS a tourné le dos à la classe ouvrière”

 

de Bertrand Rothé, aux éditions du Seuil, préface de Gérard Mordillat

Ce livre de 250 pages se lit d'un trait car il est écrit simplement, sans fioritures ni effet de style. La tâche que s'est fixée Bertrand Rothé - agrégé d'économie - est de montrer comment, de 1981 à nos jours, chaque fois qu'ils ont occupé la Présidence de la République ou dirigé le gouvernement, les socialistes se sont empressés de tourner le dos à celles et ceux qui les avaient élus dans l'espoir d'une vie meilleure pour mener une politique antipopulaire en complet accord avec les intérêts des patrons, grands et moins grands. Comme l'explique fort justement Gérard Mordillat dans sa préface, cette trahison ne date ni de 2012, ni même de 1981, année de l'élection de François Mitterrand. Elle avait commencé bien avant. Il rappelle à ce pro- pos : "Inutile de remonter à 14-18 où, Jaurès à peine enterré, les socialistes votent les crédits de la guerre, à l'abandon des répub- licains espagnols par le gou- vernement de Léon Blum, à Munich, à Pétain à qui ils accor- dent les pleins pouvoirs, à Jules Moch qui fait tirer sur les grévistes en 1947, à Guy Mollet et Mitterrand pendant la guerre d'Algérie... il suffit de considé- rer la période actuelle en prenant comme point de départ 1981".

C'est ce que fait Rothé qui va alors suivre, pas à pas, les volte- faces sémantiques des socialistes au pouvoir. La promesse de Mitterrand de "rupture avec le capitalisme" ne tient que quelques mois. Elle est suivie par la rigueur de Mauroy, par l'aban- don par Lionel Jospin des tra- vailleuses et des travailleurs de Renault-Vilvoorde en Belgique puis de celles et ceux de Michelin, et aujourd'hui par la politique ouvertement pro- patronale et anti-ouvrière menée par le tandem Hollande/Ayrault.

Mais Rothé ne se contente pas d'énumérer les reniements, les fausses promesses et autres méfaits de ces faux amis de la classe ouvrière qui, sous Jospin, réussirent l'exploit de privatiser l'économie plus vite que ne l'avait fait avant eux le gouvernement de droite d' Alain Juppé.

Il montre aussi la profonde transformation sociologique qu'a subie le Parti socialiste au cours de sa longue existance. Aujourd'hui, dans ses sections, celles et ceux issu-e-s de la classe ouvrière n'existent pratiquement plus. Au sein de son groupe parlementaire on trouve une pléthore de hauts fonctionnaires, issus souvent de l'École Nationale d'Administration (ENA), de membres des profes- sions libérales, d'enseignants d'université mais plus personne venu du monde ouvrier, employé ou paysan. Ses principaux dirigeants côtoient, dans des clubs très fermés, les banquiers, les actionnaires du CAC 40, les fonctionnaires internationaux, les responsables des fonds de pension et d'investissement. Ils partagent les mêmes bonnes tables dans les restaurants huppés et les mêmes "clubs de réflexion" qui aujourd'hui jouent en grande partie le rôle qui était celui de la franc- maçonnerie sous les 3 ème et 4 ème Républiques, c'est à dire de ren- forcer, hors de la sphère purement politique, les liens entre politiciennes et politiciens de tous bords et les milieux d'af- faires.

Rien d'étonnant alors à ce que, au niveau des idées, ils aient peu à peu abandonné tout ce qui pouvait les distinguer de la droite classique. Leurs pseudo-prétentions de réguler le marché par le biais d'un secteur public fort - incluant non seulement les services publics mais aussi les grands moyens de transport, d'énergie et certaines industries-clés - sont tombées depuis longtemps aux oubliettes de l'Histoire. Désormais le capitalisme est devenu leur horizon indépassable et la rigueur budgétaire leur credo. Dans le même temps, dans leur vocabu- laire, la classe ouvrière a été remplacée par le concept fumeux de "classe moyenne" et ils développent une grande mé- fiance et un mépris profond à l'égard de celles et ceux qui habitent les quartiers populaires, considéré-e-s désormais comme classe dangereuse. Bref, même s'il existe encore des militantes et des militants sincères dans ses rangs, le PS se réclame d'un "socialisme" qui ne signifie plus rien de concret, ni en terme de perspectives d'avenir, ni même en ce qui con- cerne des améliorations immé- diates de la condition des plus pauvres.

C'est une bonne chose que Bertrand Rothé nous le rappelle.