Par Jean-Philippe Divès
le 9 octobre, le Medef et onze autres organisations patronales publiaient un communiqué qui, sous le titre « Etat d’urgence entrepreneurial », dressait un tableau apocalyptique de la situation de l’économie française. Ce même texte exigeait le retrait du projet gouvernemental visant à aligner sur le régime général l’impôt (aujourd’hui dérisoire) perçu sur les plus-values de cessions d’entreprises. Cinq jours plus tard, dans une interview au Figaro, Laurence Parisot enfonçait le clou en parlant d’« avis d’ouragan » et même d’un « état de panique » chez les patrons, ceci afin d’exiger un « choc de compétitivité », qu’elle souhaite voir matérialisé par une baisse massive, de l’ordre de 30 milliards, des cotisations patronales de sécurité sociale.
Il y a bien sûr dans cette dramatisation une part de « jeu ». Pour obtenir le maximum il faut parler le plus fort possible, et quand on a déjà obtenu la main puis l’avant-bras on essaie d’arracher le bras entier et davantage. Mais il y a aussi un élément de réalité. Il est vrai que globalement, dans cette crise économique dont on ne voit pas le bout, les taux de profit baissent et que cela dissuade le patronat d’investir. Et aussi que les capitalistes français perdent des parts de marché, donc des opportunités de profit.
D’après le grand patron « de gauche » Louis Gallois, dont le gouvernement attend pour le 5 novembre le rapport sur la « compétitivité », les problèmes de rentabilité seraient tels que l’autofinancement des entreprises est tombé, ces dernières années, de 90 à 60 %. Ce que Gallois ne dit pas, c’est que cette chute s’explique largement par le maintien, quand ce n’est pas l’augmentation, des dividendes qu’elles versent aux actionnaires. La part des dividendes a atteint en 2011 un niveau record depuis l’après-guerre, avec 9 % de la valeur ajoutée (données INSEE). Mais on peut aussi gagner de l’argent en France : avec 40 milliards de dollars d’investissements étrangers directs, selon la CNUCED (Commission des Nations Unies pour le commerce et le développement), la France serait, en 2011, la dixième destination mondiale des flux d’investissements directs étrangers. Elle reste parmi les principales destinations européennes, devant notamment l’Allemagne (32 milliards de dollars).
à ce tableau s’ajoute la crise persistante de la zone euro. Démentant les ridicules (et scandaleuses au regard du drame vécu par les Grecs et maintenant par les Espagnols) proclamations triomphalistes de Hollande, le FMI vient d’avertir que cette crise n’est nullement réglée. Il a « tiré la sonnette d’alarme en marge de son assemblée d’automne à Tokyo cette semaine : “La crise de la zone euro s’est aggravée” depuis le printemps “en dépit des décisions politiques visant à la résoudre”, constate le FMI dans son dernier rapport sur les perspectives économiques mondiales. Les indicateurs “restent dans le rouge”, “ce qui suggère que la faiblesse se répand de la périphérie vers l’ensemble de la zone euro”, touchant tous les pays, y compris l’Allemagne » (Le Monde, 18 octobre).
Dans ce contexte, que font Hollande et Ayrault ? C’est simple, ils s’inclinent devant les exigences patronales. Ainsi l’alignement sur le régime commun de la taxation des cessions d’entreprises est-il abandonné. De quelque 40 %, elle retombe à 19 % et les exonérations seront même plus avantageuses qu’avant. Initialement prévue à 1 milliard, cette taxe ne rapportera plus que 250 millions. « On vide le texte du gouvernement de l’essentiel. Ils se ridiculisent ! » jubile le député UMP Charles de Courson.
Et si le gouvernement ne semble pas prêt à entériner une baisse immédiate et massive des prétendues « charges patronales » (qui sont en fait une composante du salaire), ce n’est pas pour défendre les salaires mais pour « préserver la consommation des ménages, qui génère près des deux tiers de la croissance en France » (selon le ministre du budget, Jérôme Cahuzac). Un argument qui, du point de vue capitaliste, peut s’entendre. Mais que le patronat se rassure, il lui est d’ores et déjà promis une « trajectoire de compétitivité » qui transférerait progressivement, à raison de 8 à 10 milliards par an, ces cotisations sur les salariés et la population au travers notamment d’une hausse de la CSG. Dans tous les cas, ce sera nettement plus que tout ce qu’il aura obtenu sous Sarkozy !
De leur côté, les travailleurs ont beau protester, le pouvoir politique ne leur dispense que de bonnes paroles, quand ce n’est pas déjà la répression policière comme le 9 octobre devant le Salon de l’auto. PSA-Aulnay, ArcelorMittal, Sanofi, Petroplus, Technicolor, Alcatel Lucent… Les annonces de licenciements et de fermetures se succèdent, tandis que les salaires stagnent et que les impôts des salariés augmentent. Face au patronat et au gouvernement, la seule voie est décidément celle de l’organisation, des luttes et de leur convergence.