Par Yvan Lemaitre et Isabelle Ufferte, publié par Démocratie Révolutionnaire. Le lundi qui a suivi le premier tour de la présidentielle, la Bourse a bondi de 4 %. Les spéculateurs n'ont pas caché leur joie de voir deux candidats du capital gagnants et, surtout, leur chouchou placé en tête et quasiment déjà désigné comme le futur président. Épisode dérisoire mais symptomatique du climat de ces présidentielles, de cette campagne qui n'en finit pas de primaires en primaires puis de reniements en trahisons, la campagne des affaires, des jeux et calculs politiciens au sein d'un microcosme institutionnel qui convie le peuple à arbitrer ses rivalités pour servir les intérêts des classes dominantes, de la bourse.
Ces élections soldent les comptes de plus de 30 ans d'alternance ou de cohabitation droite-gauche au service des classes dominantes.
L'effondrement des partis de droite et de gauche cède la place à Macron, l'ami des banquiers et des patrons et à Le Pen, l'héritière raciste et xénophobe. Non seulement Macron n'est pas un rempart face à sa rivale mais il représente une étape vers la conquête du pouvoir par l'extrême-droite si le mouvement ouvrier et la jeunesse ne prennent pas les choses en main. Il suffit de l'entendre dire qu'il sera patriote pour mieux combattre le nationalisme pour comprendre que son double jeu hypocrite, son inconsistance qu’il compense par un sens aigu du pouvoir et des rapports de force, son arrivisme sans scrupule ne peuvent qu'ouvrir la voie à Le Pen. La possibilité que cela puisse advenir dès ce deuxième tour ne peut être totalement écartée.
Il est un aventurier façonné par l'effondrement de la droite et de la gauche gouvernementale et les institutions que De Gaulle a données à la bourgeoisie. Elles ne sont pas en crise contrairement à ce que l'on entend souvent dire, bien au contraire elles ont permis à Hollande de diriger sans majorité puis l'émergence de son enfant naturel qui espère s'en donner une après les législatives par la logique du présidentialisme. Rien ne lui garantit de pouvoir constituer sa propre majorité ou bien une majorité d'union nationale mais les institutions lui en donnent les moyens. Ce jeu bonapartiste favorisé par les institutions de la Vème constitue la réponse du système au discrédit des deux partis qui ont mené l'offensive des classes dirigeantes contre les travailleurs et les classes populaires afin d'être à même de poursuivre cette offensive, de l'accentuer pour sauver les profits et les spéculations financières et pour cela de renforcer encore plus l’exécutif.
Le double « 21 avril » pour Les Républicains et le Parti socialiste, constitue bien un séisme politique qui déstabilise leur système, le fragilise. « On tourne clairement aujourd'hui une page de la vie politique française », peut à juste titre se réjouir Macron. Les ralliements de la droite comme ceux de la gauche qui se bousculent pour appeler à voter pour lui en espérant trouver une place dans les combinaisons parlementaires à venir sont bien à l’image de leur république du fric, des affaires et des guerres que Le Pen ne demande qu’à servir.
Ce séisme s’inscrit dans des évolutions sociales et politiques qui touchent d’une façon ou d’une autre tous les pays capitalistes dominants. Après le Brexit et Trump, la France connaît Macron-Le Pen, effet politique des conséquences des évolutions du capitalisme depuis la crise de 2007. Il est ici aussi un signal d’alarme, il n’y a pas d’avenir progressiste et démocratique sans l’intervention politique de la classe ouvrière. Face à elle, les populistes patriotes du centre ou d'extrême droite ne tiendront pas longtemps.
Lutter contre le FN, combattre les politiques qui lui ouvrent la voie
La lutte contre le FN n'est pas une lutte « républicaine » contre « le fascisme ». Sans minimiser en rien le danger qu'elle représente, Le Pen, ce n'est pas le fascisme. Toutes les politiques incantatoires la dénonçant en invoquant une prétendue morale républicaine affirmant que le FN n’est pas un parti comme les autres ont montré leur impuissance depuis le vote Chirac en 2002. Dénoncer les menaces fascistes tout en pratiquant le dialogue social avec Sarkozy puis Hollande est un aveu d'impuissance.
La lutte contre le FN est une lutte politique. L'apostrophe de Philippe Poutou lors du débat du 4 avril a fait bien plus que les manifs minoritaires contre les meetings de Le Pen dont les répétitions rituelles ne convainquent personne voire aident Le Pen à prendre la pose de la démocrate que les gauchistes voudraient censurer.
Combattre Le Pen, c'est combattre les politiques qui pavent son chemin maintenant et demain. Comment peut-on croire lutter contre Le Pen en laissant croire que Macron, ennemi juré des travailleurs, pourrait nous en protéger ? Le populisme centriste de Macron posant au patriote pour noyer la classe ouvrière dans le tricolore est, quant au fond, de même nature que le populisme d’extrême droite de Le Pen. Un nationalisme ouvert contre un nationalisme étroit ? Un nationalisme proUE contre un nationalisme antiUE ? Au final tout cela risque de se ressembler, l’un comme l’autre étant prêt à s’adapter à la réalité de ce que sera l’UE déjà fortement mise en péril.
Combattre Le Pen, c'est refuser de gommer les rapports de classe, c'est avoir une politique d'indépendance de classe pour défendre les intérêts des exploités et des opprimés dans une perspective internationaliste pour une Europe des travailleurs et des peuples.
Le séisme politique que représente la présidentielle ouvre une situation très instable au sein du pays dans une Union européenne en crise. Les vieux partis qui jusqu'alors encadraient l'opinion ont implosé perdant tout crédit, l'opinion est volatile, un profond mécontentement s'accumule, une colère, une révolte. Les plus jeunes prennent conscience, après l'élection de Trump, des menaces qui s'accumulent sur leur propre avenir, ils ne se laisseront pas faire. Tous ceux qui se plaignent que la jeunesse ne se mobilise pas contre Le Pen entre les deux tours comme en 2002 ne voient pas ce qui se passe. Les jeunes ne se résignent pas, ils ne croient pas à l'incantation, et encore moins qu'un ennemi les protégera d'un autre ennemi. Ils n'ont nullement abdiqué de construire leur vie pas plus que de la liberté et du progrès et n'hésitent pas à le manifester aux cris de « Ni Marine ni Macron, ni patrie ni patrons ».
La gauche et le camp des travailleurs
« C’est la fin d’un cycle, la fin d’une histoire» a déclaré, non sans satisfaction, Valls après la défaite de Benoît Hamon. En effet, avec 6,35%, ce dernier a réalisé le plus mauvais score d'un candidat du PS depuis Gaston Defferre en 1969 (5,01%). Son parti qui, il y a cinq ans, concentrait entre ses mains quasiment tous les pouvoirs est aujourd'hui à terre. Il prétendait avoir « remis la gauche sur son axe historique », mais cet axe historique c'est l'axe du reniement, des promesses non tenues, des mensonges et d'une politique soumise aux patronat et aux banques.
Et à peine avait-il fait le douloureux constat, « J’ai échoué», qu'il suivait Cambadélis et tous les autres pour appeler à voter Macron.
En attendant, les dirigeants du PS qui l'ont liquidé s'interrogent sur le seul sujet qui les préoccupe, comment utiliser les législatives pour avoir les moyens de négocier une place dans la future majorité présidentielle ou au moins jouer un rôle au Parlement. A défaut d'avoir une autre politique que celle de Macron, la logique des ambitions et rivalités politiciennes poursuit son œuvre destructrice.
Alors que le PC s'est lui-même sabordé en s'effaçant derrière Mélenchon, l'effondrement de Hamon signe la fin de cette gauche du congrès d'Epinay quand l'homme de droite qu'était Mitterrand avait, en 1971, fait une OPA sur la vieille SFIO moribonde pour soumettre le PC à ses intérêts politiciens dans le cadre de l'Union de la gauche. Cette gauche vouée à la défense des intérêts de la bourgeoisie ne pouvait résister à la crise, elle s'est elle-même liquidée pour se donner à un jeune arriviste apprenti Bonaparte.
Il ne manquera pas d'idées pour refonder cette gauche défunte. Nouvelles et vaines illusions. La tâche des militantEs du mouvement ouvrier, de la nouvelle génération en révolte contre le sombre avenir que lui fait entrevoir cette présidentielle est de s'attacher à construire un parti pour la transformation révolutionnaire de la société, un parti des travailleurs. La perspective ouverte par notre campagne...
Le paradoxe Mélenchon
Mélenchon a accueilli son score qui représente « une percée historique » comme l'écrit L'Humanité comme une défaite. Il a pourtant à la fois réussi à capter l'électorat du PC, ce qui n'était pas assuré, loin s'en faut, et à siphonner largement l'électorat de Hollande de 2012 et a réuni un total de 19,62 % des suffrages.
Cette appréciation de son propre résultat par Mélenchon est en fait en cohérence avec la logique de sa politique qui rentre en concurrence avec les autres prétendants Bonaparte, populistes d'extrême droite ou du centre. Éliminé de la course dès le premier tour, Mélenchon affiche son dépit parce que pour lui les difficultés commencent.
Son refus de prendre position pour le second tour obéit à la même logique. Sauf de relativiser l'importance de son propre personnage, il ne peut se rallier de quelque façon que ce soit à un rival victorieux ! Qu'importe que cela aggrave ses difficultés. Qu'importe qu'il ait laissé par son silence le FN flatter son électorat et les médias mener campagne sur la complaisance d'une partie de son électorat vis à vis de Le Pen. Ce n'est pas son problème, l'essentiel pour lui est de rester au-dessus de la mêlée, ou de croire qu'il reste au-dessus de la mêlée alors qu'il s'enferme dans des jeux politiciens pervers.
Pierre Laurent, le soir même du premier tour, a appelé à voter Macron. Il espère ainsi rester dans le cadre « républicain » pour négocier avec le reste de la gauche pour les législatives tout en s’appropriant les bénéfices de la campagne Mélenchon. Les législatives s'annoncent tendues alors que déjà le PC avait bien l'intention de vivre sa vie en inscrivant ses candidats dans une politique d'union de la gauche pour laquelle il avait milité tout en soutenant Mélenchon. Le PC espère ainsi prendre sa revanche mais dans ces jeux politiciens les intérêts des classes populaires sont loin, très loin.
L'avenir de la France Insoumise ne s'annonce guère plus brillant que le fut celui de feu le Front de gauche. Sans le PC et avec peu de députés on voit mal comment Mélenchon pourrait transformer son mouvement en un réel parti. Dupe du jeu institutionnel qu'il prétendait combattre, Mélenchon risque bien de se retrouver en grande difficulté.
Pour un 1er mai lutte de classe et internationaliste
Les élections rattrapent tout le monde et le milieu syndical est obligé de se positionner par rapport au second tour. La CFDT n'a aucune gêne à soutenir Macron, pour la FSU les choses sont plus compliquées mais le résultat est le même, appeler à battre Le Pen sans même dire un mot de la politique passée et à venir de Macron. Le bureau confédéral de la CGT déclare : « La CGT les combat et les combattra sans relâche ! Elle n’aura de cesse de faire barrage à l’extrême droite ! Pas une voix ne doit se porter sur sa candidate ! » Solidaires reprend la même formule et réaffirme que « pas une voix ne doit aller au FN » mais récuse tout « soutien à une politique libérale et répressive ». Le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, a redit, sur France Inter, qu’il « ne donne aucune consigne de vote », tout en soulignant que la présence de Le Pen au second tour est « un problème démocratique », et en rappelant son « rejet de tout racisme, xénophobie ou antisémitisme ». Le 1er mai aura lieu dans la confusion la plus totale sans que s’affirme clairement, en toute indépendance des jeux institutionnels, une politique de classe contre Le Pen mais aussi contre Macron pour préparer une riposte aux attaques qui sont déjà annoncées, défendre les exigences du monde du travail, la solidarité internationale des travailleurs, contre le nationalisme et le racisme.
Cette confusion vient souligner la nécessité de mener la lutte au sein de nos organisations syndicales pour faire vivre une orientation politique en rupture avec le dialogue social pour défendre l’indépendance de classe. Cela ne veut pas dire ne pas faire de politique, bien au contraire, mais mettre en œuvre une politique qui réponde aux intérêts et besoins des salariés en toute indépendance du patronat, des banques et de leurs États. Et des politiciens qui les servent.
De ce point de vue, même si on peut reprocher aux organisateurs de la manifestation du 1er tour social d'avoir flatté l’abstentionnisme, les préoccupations dont ils sont l'expression sont réelles. Il nous faut les prendre en compte dans la perspective de contribuer à la construction d'un courant lutte de classe intersyndical qui est indissociable de la construction d'un parti des travailleurs organisant la classe ouvrière, faisant de l'intervention en son sein sa priorité.
Dans ce contexte, la manifestation du 1er mai prend un sens tout particulier. Elle est l'occasion pour toutes celles et ceux qui le souhaitent de manifester leur indépendance de classe pour combattre le FN ainsi que les politiques qui lui ont préparé le terrain.
Dépasser nos limites
Les scores de Philippe Poutou (1,1 %) et de Nathalie Arthaud (0,66 %) ont été faibles, sans commune mesure avec la sympathie qu'ont rencontrée nos campagnes en particulier celle de Philippe, du NPA. Sa force a été d'être, sur la scène politique, l'ouvrier dans lequel des milliers d'autres salariés se sont reconnus, en rupture avec le système et ses rites, la faiblesse de Nathalie a été de tenir un discours par trop formaté même si souvent son argumentation était plus serrée, plus structurée que celle de Philippe. Complémentaires et solidaires, perçus comme tels, et c'est un acquis de cette campagne. Nous souhaitons que cette solidarité puisse nous permettre d'aller au delà de la complémentarité pour combiner nos apports réciproques et dépasser les limites de nos campagnes respectives.
Indépendamment des différences, nous avons la même difficulté à rendre crédibles nos idées et perspectives pour aller au delà de la dénonciation, de la contestation du système et des mesures d'urgence, démontrer la possibilité d'une autre société, les chemins pour la construire en prenant appui sur les réalités sociales, les évolutions, l'histoire. Nous avons de grandes difficultés à aller au delà de la nécessité de la lutte, de se mobiliser et cela de façon incantatoire ou d'affirmer, de façon tout aussi incantatoire, la nécessité du communisme. Nous ne nous affirmons pas assez en opposition radicale dans la lutte pour le pouvoir, nous ne parlons pas assez clairement au nom des intérêts d'une classe dont nous pensons qu'elle doit prétendre à diriger la société. Pour une grande part bien sûr ces limites appartiennent aux rapports de force globaux mais si nous voulons les bousculer, les inverser, il nous faut nous donner les moyens de penser la suite sans en rester à l'incantation, oser penser les chemins du pouvoir.
Ces élections participent d'une nouvelle époque qui est en train de s'écrire. Elles sont l’expression d’un tournant qui s’opère en profondeur et exige de faire du neuf au lieu de vivre chacun sur ses acquis. L’idée que le capitalisme n’est pas amendable, réformable commence à pénétrer les consciences, cette évolution demande des réponses, fiables, crédibles sur le plan des idées comme de la politique et de l’organisation.
Après 68 et jusqu'à la rupture de 1995-1997, la politique de Lutte ouvrière a pu être féconde parce qu'elle avait eu l'audace de défendre une politique d'unité du mouvement gauchiste au décours même du mouvement puis d'unité du mouvement trotskyste, non pour des accords électoralistes mais dans la perspective de la construction d'un parti révolutionnaire. Cela jusqu'au moment où cette politique a porté ses fruits, où LO avait conquis une position qui lui permettait de prendre l'initiative. Là, les réflexes conservateurs et craintifs ont pris le dessus, la direction de LO s'est dérobée à ses propres engagements.
L'évolution du NPA est, à l'opposé, l'aboutissement du processus engagé avec la fusion-intégration entre la LCR et Voix des travailleurs, de la politique de rassemblement des anticapitalistes et des révolutionnaires qui lui a donné naissance en 2009. D'une certaine façon, la campagne de Philippe reflète les contradictions de ce processus.
Nous avons besoin de dépasser ces contradictions en prenant appui sur les acquis de la campagne de Philippe Poutou pour définir un axe politique clairement indépendant de la gauche radicale, l'axe de classe popularisé par l'ouvrier candidat, anticapitaliste et révolutionnaire.
Aujourd'hui, il nous faut revenir au marxisme en nous appropriant le contenu historique qu'il a pris tant à travers la social-démocratie qu’à travers le bolchevisme ou le trotskisme, sans faire de telle ou telle période historique la référence incontournable mais pour écrire une nouvelle page.
Nous savons bien que des rapports militants complémentaires et solidaires au quotidien ne se reconstruiront pas ou ne se construiront pas du jour au lendemain. Mais il est important d'y travailler, d'échanger à tous les niveaux, entre militantEs et aussi entre directions, de rechercher les possibilités d’interventions communes... Dépasser nos limites ne pourra se faire que collectivement à travers une volonté de se donner les moyens de rassembler toutes les forces disponibles. C'est une question de choix mais aussi et surtout de capacité à élaborer collectivement une politique capable de regrouper toutes les forces disponibles.
Préparer la suite, s'organiser, s'unir, faire de la politique
Une telle démarche repose sur un choix politique, la compréhension qu'il ne pourra naître dans ce pays de parti des travailleurs sans politique de rassemblement et de regroupement. Les campagnes électorales ont l'immense mérite d'obliger chacune et chacun à penser, à formuler ses idées grand angle en s'adressant à des millions de travailleurs, de jeunes pour partager avec eux notre révolte, nos idées, nos perspectives, leur donner des raisons de croire en eux et en leur classe, en leur rôle révolutionnaire.
Les faibles résultats tant du NPA que de LO ne peuvent s'expliquer seulement par des rapports de force dont nous ne serions en rien responsables. Ce serait la réalité objective, les conséquences du vote utile. Un tel raisonnement nous empêche d'avoir une appréciation critique de notre propre politique.
Nous n'avons pas réussi à offrir des perspectives suffisamment crédibles au mécontentement, à la révolte que nous avons aidé à s'exprimer et encouragée. Et de ce point de vue, nos divisions nuisent à l'ensemble du mouvement.
La situation nous interpelle, les menaces sont réelles et inquiétantes. Macron est une étape vers la très possible conquête du pouvoir par l'extrême droite. Nous savons que la seule force capable d'enrayer ce processus, d’autant plus dangereux qu'il se déroule à l'échelle européenne, voire mondiale, c'est la classe ouvrière. Et c'est bien le défi qui est posé aujourd'hui au monde du travail, à ses militant-e-s.
Yvan Lemaitre, Isabelle Ufferte