1) Les dernières élections municipales traduisent une nouvelle dégradation du rapport de forces politiques au détriment de la gauche et du mouvement ouvrier. 150 villes de plus de 10.000 habitants ont basculé de gauche à droite et à l’extrême droite.
Bien entendu, après des années de social-libéralisme où le PS a pris bien des distances avec le mouvement ouvrier, une défaite électorale du PS n’induit plus mécaniquement une défaite du camp des travailleurs.
Ces travailleurs, qui ne sentent plus représentés par la gauche, ne ressentent pas cette faillite des socialistes comme la leur, et heureusement. Ils se sont même abstenus massivement (entre 50 et 60 % des inscrits dans les banlieues ou territoires populaires).
2) Mais lorsqu’une telle défaite électorale du PS laisse la place à la droite et à l’extrême droite, que se délite ce qui reste du « socialisme municipal historique », que le PCF perd un tiers de ses communes, en particulier dans la » banlieue rouge », que ces reculs ne sont pas compensés, loin de là, par des victoires de la gauche radicale, cela ne peut peser que négativement sur les rapports de forces entre les classes.
Surtout que cette élection se situe dans une conjoncture marquée par la multiplication de plans patronaux ou d’attaques gouvernementales qui peuvent provoquer telle ou telle réaction sociale, luttes ou mobilisations partielles, mais qui ne sont pas suffisamment fortes pour bloquer les politiques d’austérité ou faire reculer le pouvoir. Des années de restructurations de la force de travail, de précarité, de chômage ont remodelé un salariat aujourd’hui tétanisé par la crise. Surtout que là encore, les directions syndicales soutiennent directement « les pactes » du gouvernement et du patronat ou se positionnent en « accompagnatrices ».
3) Dernière manifestation de ce tournant à droite, la nomination de Manuel Valls comme premier ministre.
Dans la primaire socialiste qui décidait du candidat à la présidentielle en 2011, Valls a représenté sur l’échiquier politique du PS, déjà bien à droite, la droite du Parti socialiste. Il se présentait comme le candidat contre les 35 heures, contre une politique de redistribution, pour la privatisation des services publics, pour une politique de réduction des cotisations sociales qui visait de nouvelles attaques de la Sécurité sociale. Il se revendiquait haut et fort de la « politique de l’offre » basée sur la baisse du coût du travail et sur des aides aux entreprises – opposée à une politique de relance par le demande. Il n’a réuni que 5% des suffrages à cette élection, ce qui prouvait que même pour un PS déjà très à droite, Valls c’était » trop ».
Deux années, plus tard, c’est la politique de Valls qui s’applique ouvertement, par Hollande, par le gouvernement et par le PS. Résultat brut : 30 milliards d’aide aux entreprises, 50 milliards d’économies budgétaires qui vont se traduire par des coupes sombres dans les budgets publics et la Sécurité sociale. Déjà on annonce la fermeture de dizaine d’hôpitaux, le non remboursement de certains médicaments, la baisse des salaires des fonctionnaires. Dans une Europe en crise profonde et durable, et où le taux de croissance tourne autour de 1 %, une telle politique ne peut qu’entrainer le pays dans la spirale infernale de l’austérité, du chômage et de la précarité.
Mais n’est ce pas précisément le but recherché pour modifier en profondeur les rapports de forces sociaux et politiques ? Pour remettre en cause ce qui reste de « modèle social européen » en liquidant une série d’acquis sociaux, et aligner l’Europe dans la concurrence mondiale.
4) Le problème c’est que ces choix socio-économiques sapent les bases sociales des partis traditionnels, de droite comme de gauche, et provoque des crises politiques.
Pour ce qui est de la social-démocratie, ces partis sont « de moins en moins ouvrier et de plus en plus bourgeois ». Ce ne sont pas des partis bourgeois comme les autres, car le système a besoin de leur singularité pour assurer l’alternance. Mais les rapports de ces partis au mouvement ouvrier ne renvoient plus qu’à l’histoire et leur politique n’a plus grand-chose à voir avec les politiques classiques de la social-démocratie. Ce sont des politiques néolibérales. Pour les citoyens comme les salariés Hollande–Valls s’inscrivent dans la continuité de Sarkozy non seulement sur le plan socio-économique, mais même sur le plan de la répression contre les sans papiers ou des communautés comme celle des Roms. Valls d’ailleurs ne s’offusque pas d être considéré comme le Sarkozy de gauche.
Mais la mutation libérale des PS ne peut elle pas remettre en cause l’existence même de ces partis ? En Europe du Sud, le PS portugais ou le PSOE n’ont pas rejoint la catastrophe historique du PASOK, même, s’ils se sont affaiblis. Le PS français est encore un grand parti, mais ces élections ont touché un de ses piliers fondamentaux : ses bases municipales… S’il poursuit sa politique, d’autres échecs électoraux sont annoncés : aux prochaines européennes, aux élections régionales et cantonales et l’on ne voit pas comment le PS pourrait se redresser d’ici les prochaines élections présidentielles et législatives. L ‘effondrement n’est pas à écarter.
Le recul du PCF est d’une autre nature, celle du déclin historique du post-stalinisme, mais il traduit aussi cette dégradation du rapport de forces, en particulier dans une série de villes où c’est la droite qui a remplacé les élus du PCF dans les mairies.
5) C’est dans cette situation, avec l’abstention record, qu’il y a eu la poussée de la droite et du Front National, ce dernier remportant une dizaine de grandes villes. La droite est renforcée malgré des contradictions sur une série de questions : l’Europe, les rapports au Front national, des questions de direction autour du « retour » de Sarkozy. Sa base militante et son électorat sont sous pression de la droite ultra ou de l’extrême droite. Quant au FN, il confirme son enracinement dans le pays, et le fait est qu’il attire de plus en plus une partie de l’électorat ouvrier et populaire. Comme les partis d’origine fasciste, il combine les thématiques sociales et le racisme, mais comment va-t-il, dans cette situation gérer les contradictions entre son origine et sa direction fascistoïde et les pressions qui surgiront de son intégration dans les institutions ?
Certes, nous ne sommes pas dans les années 30, les classes dirigeantes ont choisi l’intégration dans la mondialisation capitaliste et pas le nationalisme protectionniste, mais il peut y avoir des « accidents politiques », des moments de basculement, où il y aurait une désynchronisation entre les choix socio-économiques fondamentaux des classes capitalistes et l’irruption de solutions politiques autoritaires avec l’arrivée au pouvoir de coalitions (directes ou indirectes) de la droite et de l’extrême droite. La poussée de l’extrême droite dans toute l’Europe et l’acceptation de gouvernements comme celui de Orban dans la Hongrie actuelle montre bien les dangers que courent les libertés démocratiques et le mouvement populaire.
En France, comme, dans bien des pays d’Europe, le mouvement du balancier va vers la droite, mais heureusement il y aussi des résistances sociales et politiques.
6) La journée de manifestation du samedi 12 Avril à Paris et dans tout le pays témoigne de cette résistance. Plusieurs dizaines de milliers de manifestants ont répondu à l’appel de plus de 200 responsables associatifs, syndicalistes ou politiques pour lutter contre la droite et l’extrême droite et s’opposer aux plans d’austérité du gouvernement Hollande-Valls.
A l’origine, il y eut un appel d’Olivier Besancenot à un week-end de révolte à gauche contre les manifestations successives de l’ultra droite et la politique du gouvernement, suivi des prises positions des dirigeants du Front de Gauche, allant dans le même sens. Puis il y eut un travail pendant plusieurs semaines de mise au point d’un appel unitaire, de réunions préparatoires. La nomination de Valls a accéléré cette mobilisation. Ce qui a fait le succès de cette manifestation, c’est son unité, sa radicalité et sa diversité. Au-delà des organisations politiques, des dizaines d’associations notamment pour le droit au logement, et des secteurs du mouvement syndical se sont mobilisés. Dans la CGT, un nombre important de fédérations et d’Union départementales ont appelé aux manifestations contre l’avis de la direction confédérale. Il faut noter aussi les apparitions significatives du PCF ou du NPA dans le cortège parisien. Malgré les résultats de ces dernières élections municipales, cette manifestation montre qu’il y a dans le pays une gauche qui n’accepte pas la politique du gouvernement et qui résiste, et cela bien au-delà des partis de la gauche radicale.
7) Une des questions clé est : comment continuer, comment traduire politiquement cette dynamique de mobilisation, partielle mais significative, dans ce contexte de recul ?
Les questions de l’unité d’action, de la radicalité, et de la lutte contre la politique du gouvernement, de la droite et de l’extrême droite servent de boussole aux anticapitalistes.
D’abord dans la résistance sociale quotidienne, dans les luttes contre les licenciements, contre les attaques budgétaires, dans des grèves ou mobilisations pour les droits sociaux. Les manifestations pour le 1er mai sont la prochaine échéance. Sans mobilisation sociale d’ampleur qui bloque les plans d’austérité, arrache des victoires partielles, permette de redonner confiance aux travailleurs et aux mouvements sociaux, il n y aura pas le début de changement de rapports de forces. C’est décisif.
Mais cela doit aussi se traduire sur le plan politique par l’unité action dans les luttes et aussi dans les confrontations électorales. Déjà aux municipales, le NPA a présenté et ou soutenu 87 listes dont 55 unitaires, sur un programme anti austérité dans l’indépendance vis-à-vis du PS au premier et deuxième tour des élections. Au-delà, la gauche radicale a présenté plusieurs centaines de listes qui ont marqué, à la différence de la débâcle socialiste, une certaine résistance avec des résultats appréciables.
Après ces élections municipales et la préparation de la manifestation du 12 avril se posait la question d’une proposition unitaire aux élections européennes. C’est dans ce sens que le NPA s’est adressé au Front de gauche, à LO, aux libertaires pour discuter de la possibilité d’une liste unitaire aux européennes. Il y a, bien entendu, des positions différentes sur cette question : le Parti de la Gauche européenne se prononce pour une refondation de l’Union européenne qui ressemble plutôt à une tentative de réforme, alors que les anticapitalistes se battent pour la rupture avec les institutions européennes ; Mélenchon peut faire des déclarations ambigües contre « l’ Europe allemande » ou pour « le protectionnisme solidaire », alors que nous défendons une politique internationaliste sans concession aux nationalismes. Mais pour le « grand public », les uns comme les autres vont s’opposer aux politiques d’austérité du gouvernements et de l’Union européenne et proposer une autre Europe sociale et démocratique.
Nous regrettons que les conditions n’aient pu être réalisées pour conclure un accord. Les hésitations des uns et des autres ont joué, mais les tensions qui ont paralysé le Front de Gauche n’ont pas permis une vraie discussion. C’est, d’ailleurs, in extremisque les composantes du Front de Gauche se sont mis finalement d’accord sur leurs propres listes.
Mais au-delà de cet accord pour les européennes, le Front de Gauche s’est profondément divisé sur les relations à avoir avec le PS. Dans la majorité des grandes et villes moyennes le PCF s’est allié au PS. Les autres composantes du front de gauche ont refusé cette alliance au 1er tour de ces municipales. Résultat un Front de Gauche explosé sur une question centrale que le NPA a soulevé depuis des années : les rapports au PS, puis au gouvernement. Alors que le NPA avait été violemment critiqué pour avoir mis cette question au centre du débat, qu’il avait été accusé de chercher des prétextes pour ne pas faire l’unité, nombre de militants du FdG reconnaissent aujourd’hui que ce sont les divergences sur ce point qui ont conduit à l’éclatement lors des élections municipales. Bien des choses dépendront des prochains résultats électoraux, notamment aux européennes, mais la formule du Front de Gauche lancée en 2010 est aujourd’hui caduque, il faut rediscuter de l’unité et de ses bases.
En effet, il faut l’unité, et les anticapitalistes doivent redoubler d’efforts pour déployer une politique unitaire, mais avec l’approfondissement des attaques néolibérales du PS, les alliances électorales avec ce dernier sont à proscrire, le soutien à des majorités parlementaires ou à des gouvernements PS encore plus. C’est la raison pour laquelle la politique de Mélenchon de construire un « front populaire écologiste » avec la direction des Verts conduit à une nouvelle impasse, surtout lorsque la majorité du groupe Vert soutient le gouvernement Valls.
L’objectif, dans les semaines et les mois qui viennent, c’est de faire entendre haut et fort la voix d’une opposition de gauche au gouvernement. Une opposition unitaire large mais une vraie opposition et, en ce sens, on ne peut construire une opposition de gauche avec des forces qui soutiennent ou participent au gouvernement, c’est malheureusement le cas avec la « gauche » du PS et les Verts...
Pour les anticapitalistes, dans cette situation difficile il faut au contraire combiner l’unité d’action sociale et politique avec une politique d’indépendance claire envers le PS, et un programme anticapitaliste qui défendent les besoins sociaux des travailleurs et de la population.
Dans une situation où la vielle gauche est rejetée, il faut reconstruire le mouvement ouvrier en redéfinissant une perspective unitaire qui intègre les organisations mais invente de nouvelles formes et de nouveaux contenus programmatiques. C’est en fécondant « l’unité d’action » d’un contenu anticapitaliste que les révolutionnaires seront utiles pour reconstruire.
L’unité réalisée le 12 avril et proposée pour les européennes est une bonne indication pour l’orientation du NPA dans les mois qui viennent.
François Sabado
SABADO François