François Hollande est élu président. C’est presque sans surprise tant Nicolas Sarkozy était parvenu à cristalliser un rejet de sa politique et de sa personne. Exit donc le bien nommé « président des riches » ! L’envie de « sortir le sortant » a été forte tant la facture de ce mandat a été salée pour les classes populaires. Mais si Hollande a gagné, ce n’est pas grâce à l’enthousiasme que ses propositions ont suscité, c’est d’abord et avant tout parce que c’était le ticket qui permettait de dégager le clan du Fouquet’s. D’ailleurs n’a-t-il pas d’emblée promis, en place et lieu de justice sociale, de « donner du sens à la rigueur » ? En arrière-plan de cette élection, perdurent la crise économique et les pressions des marchés financiers.
Une campagne sur un air de cocorico…
Le paradoxe de la campagne c’est que la gauche l’emporte, mais sur fond de droitisation du champ politique. Aucun thème ne se serait imposé dans cette campagne ? Mais il en est un qui n’a eu de cesse de s’inviter dans tous les débats : la nation. Trop d’immigrés, pas assez de frontières, de protectionnisme, de respect des valeurs de la République, de la France… Tout un chacun – à l’exception de l’extrême gauche – y aura été de son petit couplet patriotard.
Cela profite évidemment à Marine Le Pen qui avec 17,90 % des voix au premier tour réussit son opération de dédiabolisation et qui pourrait redistribuer les cartes à droite. La dénonciation du « système UMPS » trouve un écho, sur fond de peurs xénophobes, tant la situation des classes populaires s’est dégradée en vingt ans d’alternance. Les déclarations de Gérard Longuet à l’hebdomadaire d’extrême droite Minute, jugeant que Le Pen « n’est pas disqualifiée » comme interlocutrice sur des « sujets difficiles » annonce des recompositions à venir. Mais pire, le terreau sur lequel prospère l’extrême droite progresse.
On a noté les sorties nauséabondes du clan Sarkozy pour courir derrière les voix du Front national, tout au long de la campagne. Le débat de deuxième tour a été une nouvelle occasion de voir Sarkozy éructer contre l’immigration et les « pressions communautaristes », mais aussi de voir Hollande se défendre d’être laxiste sur ces sujets… Lui aussi contrôlera l’immigration, utilisera les centres de rétention contre les sans-papiers, est favorable à la loi d’interdiction de port de la burqa, promet qu’aucun petit Français ne mangera de la viande halal dans sa cantine scolaire… Autant de points marqués par Marine Le Pen, en agitant peurs et fantasmes. Dans un contexte de crise, sur fond de déception et d’aggravation des conditions de vie et de travail, elle espère non seulement continuer à imposer ses thèmes de débat, mais aussi réussir à usurper la place de meilleure opposante au gouvernement Hollande, et profiter ainsi de la prochaine alternance.
Front de gauche, le vent en poupe
Promettant la rigueur, incapable sur des questions de société d’imposer ne serait-ce qu’un vernis de gauche, Hollande a certes bénéficié du vote utile, mais il a aussi laissé une place de choix pour une gauche réformiste radicale. Cela explique en partie l’engouement dont le Front de gauche a bénéficié. Alors que le PCF, satellisé par le PS depuis des décennies, avait perdu son espace électoral, la campagne du Front de gauche le remet en selle et lance réellement le PG. D’autant que les préoccupations d’une majorité de la population – salaires, emploi, services publics – ont été portées avec un certain dynamisme par Jean-Luc Mélenchon. Si la campagne du Front de gauche n’a pas dérogé à l’ambiance cocardière, aux réponses protectionnistes, à la défense de la Nation et de la République, elle a néanmoins réussi à susciter un enthousiasme, à redonner goût à la politique à tout un milieu militant et au-delà, sur des bases antilibérales, en dénonçant la finance et son pouvoir.
Le bras de fer qui s’annonce…
Maintenant que nous nous sommes débarrassés de Sarkozy, il va falloir affronter l’austérité de gauche et être en capacité de marquer des points, de remporter des victoires, et de couper l’herbe sous les pieds du Front national qui escompte bien progresser sur la base de la désespérance sociale. C’est une tâche d’ampleur.
La campagne terminée, les plans de licenciement que Nicolas Sarkozy avait fait geler pour ne pas déstabiliser sa campagne avec d’autres Lejaby et Arcelor, vont reprendre. Dans la fonction publique, des coupes budgétaires sont à l’ordre
du jour. Hollande n’a cessé de marteler que la dette devait être honorée et son programme ne comporte aucune mesure même timide remettant en cause la liberté de nuire des marchés financiers et des banques. Et tant pis si ce sont les travailleurs qui doivent y aller de leur poche pour rembourser des dépenses, notamment fiscales, en faveur des plus riches, et engraisser au passage les banquiers. Il a promis la redistribution des fruits de la croissance, mais cela n’engage à rien quand elle n’est pas au rendez-vous et que les politiques d’austérité éloigneront d’autant la reprise de la consommation. Bref, si le style changera sans doute avec la nouvelle présidence, la facture que les dirigeants économiques et politiques veulent nous présenter n’en sera pas moins inacceptable. Il n’y a qu’à voir, pour s’en convaincre, la violence sociale à l’œuvre en Grèce, en Italie, ou encore en Espagne.
…Et que nous ne pourrons gagner que par l’action tous ensemble !
La campagne a aussi été l’occasion pour des millions de personnes d’exprimer la volonté de résister au rouleau compresseur déployé partout en Europe contre la majorité de la population, principalement au travers de la candidature de Jean-Luc Mélenchon, mais aussi dans une moindre mesure autour de celle de Philippe Poutou, voire de Nathalie Arthaud.
Des divergences et des nuances existent. Chacun a pu défendre son programme. Le NPA, contrairement au Front de gauche, a mis en avant la socialisation de l’ensemble du système financier et la nécessité de mesures contre la propriété privée des moyens de production afin d’assurer une réelle redistribution des richesses ainsi que le développement de vrais services publics. Le NPA a affirmé la nécessité de l’interdiction des licenciements et l’urgence de la sortie du nucléaire. Enfin, le NPA a souligné que pour ne pas faire les frais de la crise, il faudrait collectivement prendre ses affaires en main sans faux espoirs dans un homme providentiel. Hollande a été on ne peut plus clair sur la politique qu’il compte imposer aux classes populaires. Les élections passées, que proposera le Front de gauche ? Se contentera-t-il d’attendre en espérant conquérir « tout le pouvoir dans dix ans » ou acceptera-t-il de mettre son crédit au service d’un bras de fer contre un gouvernement de gauche qui promet la rigueur ?
Nous pensons que nous devons trouver les moyens de riposter ensemble à l’austérité en entraînant ceux qui sont disponibles, et en cherchant à vaincre les hésitations de ceux qui peinent à croire dans l’action collective. Pour imposer les 1 700 euros de revenu minimum, la régularisation des sans-papiers, la titularisation des 800 000 précaires de la fonction publique, la défense des services publics… Nous avons défendu ces quelques mesures, les uns et les autres, lors des élections. Il faudra construire un autre rapport de forces pour que ces mesures voient le jour. Sur la revalorisation du Smic, les plans de licenciement, les effectifs de l’Éducation nationale, les échéances seront rapides. Il en est de même pour le traité européen. Le Front de gauche y est-il prêt ?
La sympathie recueillie par Philippe Poutou, même si notre score est modeste (1,15 %), est le fruit des efforts collectifs de ceux qui ont cru en sa campagne. Cet élan militant, nous devons le retrouver dans la campagne des législatives. D’une part, pour construire et renforcer un parti anticapitaliste pour la transformation révolutionnaire de la société. Mais d’autre part, pour se mettre au service de la préparation d’une contre-offensive unitaire aux sales coups à venir. Dans l’actuel contexte de crise, c’est là que se situent les enjeux cruciaux de la période pour chercher à inverser le rapport de forces.
Jihane Halsanbe