Une candidature complètement impensable jusque dans les années 2000 mais qui n’est passée inaperçue dans la galaxie CGT…
Quelles ont été les discussions dans ton syndicat avant ta désignation comme candidat du NPA ?
En mai 2011, nous étions en pleine lutte pour la défense de nos emplois et la sauvegarde de l’usine. C’est le 6 mai que Ford Europe annonçait sa décision de nous faire fabriquer une nouvelle transmission automatique. C’était pour nous une drôle de victoire après des années de bataille marquées par des rebondissements : fermeture d’usine programmée, départ de Ford, repreneur bidon, pouvoirs publics baladés, trompés et complices à la fois, mobilisation des salariés, manifestations au Mondial de l’auto, un retour de Ford et enfin du travail à nouveau.
Ma « candidature » se discute dans ce contexte. Dans le syndicat CGT-Ford, certains camarades expriment leur soutien, pensant que cela peut prolonger la lutte, l’amplifier, populariser les luttes pour l’emploi, redonner confiance aux salariés… D’autres sont évidemment surpris ou s’inquiètent des conséquences dans la CGT, notre syndicat étant déjà en conflit avec nos structures.
Et les réactions dans la boîte ?
L’annonce de ma candidature et la campagne qui a suivi ont été des évènements dans l’usine. Les collègues, qu’ils aient été dans la lutte ou pas, qu’ils soient proches ou pas politiquement, ont pour la plupart réagi positivement. Impressionnés par la chose, avec un sentiment de fierté car un des leurs était aux « présidentielles ». Même des chefs, des cadres réagissaient presque en soutien. La campagne a été suivi par une majorité qui n’avait jamais fait très attention à une campagne électorale. Mes passages étaient suivis, commentés, critiqués. Certains rigolaient de mes « gaffes », de mes difficultés, de ma timidité, de mes habits mal choisis. Certains me conseillaient, m’encourageaient à être plus confiant. Des collègues espéraient une marionnette aux « Guignols de l’info ». Le fond des interventions n’était pas le plus discuté mais quand même, ça réagissait sur certaines questions. Notamment sur la régularisation de tous les sans-papiers. Comme ils m’entendaient le dire à la télé, cela devenait une idée pas forcément partagée mais qui se discutait sérieusement. Beaucoup pensaient qu’étant candidat, ça mettait la lumière sur l’usine Ford et cela ne pourrait qu’aider à la sauvegarde de l’usine. En fait j’étais pour eux le candidat des ouvriers Ford ou même celui de tous les ouvriers mais pas celui du NPA.
Quelles ont été les réactions de l’appareil CGT ?
A ce moment-là, j’étais membre de la direction élargie de l’union départementale. Mes relations avec les responsables et les bureaucrates de la structure départementale comme fédérale (métallurgie) étaient, et sont encore, plutôt mauvaises. Beaucoup de tensions, de disputes lors de chaque réunion. Ma « candidature » a changé la relation sur un aspect : il n’y avait plus l’agressivité habituelle dans les échanges, il y avait même parfois des sourires, des petites blagues, des mains sur l’épaule, des questions sympas sur ma campagne, je devenais presque un copain. Ce n’était pas la même chose avec les militants, les camarades « d’en bas », des syndicats d’autres boites. Les relations étaient fraternelles, il y avait cette fois-ci la fierté qu’un camarade de la CGT les représenterait quelque part dans ces élections.
Cela a-t-il influé sur la lutte dans la boite ?
Difficile à dire. Cela a porté les regards sur l’usine Ford et renforcé la médiatisation lors de nos actions. Cela a aussi un peu modifié les relations avec les pouvoirs publics, avec le Préfet. On prenait un peu d’importance. Du côté de la direction de Ford, cela a aussi modifié les relations qui étaient très tendues et conflictuelles. Cela s’est « calmé » d’un seul coup. La direction était comme impressionnée, elle était en face de quelqu’un de connu, « vous êtes un personnage officiel de la République ». Ford a visiblement fait le choix de me laisser tranquille. Ce n’était pas rien à l’époque. Une seule fois, la direction est « intervenue » dans la campagne. Elle n’avait pas apprécié ma déclaration comme quoi je refusais d’acheter une voiture Ford parce que je n’avais pas envie d’avoir le logo sous les yeux quand je partais en vacances. Elle m’avait demandé de faire une rectification.
Quel a été impact de l’affaire Lepaon ?
Les médias qui m’oublient peu à peu, le temps passant, m’ont brusquement recontacté au moment de l’affaire Lepaon, se rappelant que j’étais militant CGT. J’ai clairement exprimé la critique des bureaucrates (pas seulement de Lepaon), de l’absence de démocratie, la déconnexion réelle entre des dirigeants sous influence gouvernementale et patronale et les militants de base dévoués, pris dans l’urgence sociale quotidienne. Ces interventions n’ont pas plu aux « chefs » du syndicat, certains réagissant agressivement. Du côté des militants, par contre, même si parfois ils pensent qu’il ne faut pas critiquer ouvertement notre syndicat, au risque de nous fragiliser un peu plus, beaucoup apprécient au contraire la dénonciation de la bureaucratie tant la colère existe devant son absence de volonté de construire une véritable riposte.