Depuis les municipales de mars 2014, le Parti socialiste ne cesse de subir une défaite électorale après l’autre. Pourtant, sa direction vient de remporter haut la main le scrutin interne préparatoire au congrès de Poitiers (5 au 7 juin) : 60 % sur le vote des motions, puis 70 % pour l’élection du premier secrétaire, Cambadélis étant donc confirmé à son poste. Mais la contradiction n’est qu’apparente.
Car les chefs du gouvernement et du PS s’étaient d’une certaine façon facilité la tâche en transformant, du seul fait de la politique menée, leur formation en une coquille de plus en plus vide de militants. Ce faisant, ils avaient réduit à la fois l’espace politique d’une contestation interne et la portée des critiques que celle-ci allait vouloir formuler.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Moins de 75 000 membres ont pris part au vote des motions (sur 133 000 inscrits), quand il y en avait 130 000 lors du congrès de Reims, en 2008, et encore 86 000 à celui de Toulouse, en octobre 2012. En 2006, le PS annonçait compter 280 000 membres… La désaffection est d’autant plus spectaculaire que l’on ne parle pas ici de n’importe quel parti, mais d’une formation entièrement vouée à l’exercice du pouvoir dans le cadre du système et de l’Etat existants – un pouvoir que de plus elle exerce aujourd’hui à l’échelle nationale.
Dans ce type de structure, la qualité de membre est étroitement liée aux possibilités qu’elle procure d’obtenir des postes – et les avantages afférents – aux différents niveaux des institutions et de l’appareil d’Etat. Or, malgré ses revers électoraux successifs, le PS compte toujours 33 000 élus. Ajoutons les collaborateurs, les familles… Bref, il n’y a plus de militants. Le parti s’est vidé en même temps que croissait à son égard l’hostilité ou, au mieux, l’indifférence des classes populaires. De ce fait, il s’est réduit encore davantage, si ce n’est totalement, à une coterie où l’on se coopte, voire parfois s’affronte… toujours avant tout pour des places.
Nous savons depuis longtemps que le PS n’a plus rien à voir avec ce qu’il était à l’origine. Le seul sujet de débat peut éventuellement concerner le degré de son intégration aux intérêts et à la structure de pouvoir du capitalisme mondialisé1. Mais dans ce qui a été une évolution de longue durée, le quinquennat de Hollande, avec son ralliement désormais explicite au néolibéralisme et l’accélération des politiques antisociales et pro-patronales engagées sur tous les terrains, a malgré tout signifié le franchissement d’un nouveau palier2.
Revers et inconsistance des frondeurs
Du fait de cette nouvelle aggravation, on pouvait se demander si l’on ne verrait pas, à l’occasion de ce congrès, s’exprimer une sorte de réaction. Il n’en a rien été.
En recueillant moins de 30 % des voix, alors qu’ils en espéraient 40 % ou plus, les frondeurs ont subi un net revers. Il n’y a que Gérard Filoche pour se féliciter de leur score, quand il considère (sur son blog) que « le vote du 21 juin est un signe important », « insuffisant, certes, pour une réorientation immédiate de la politique gouvernementale, mais suffisamment significatif » pour constituer « une base solide pour co-construire à gauche ».
Beaucoup plus que par ce résultat, la déroute (disparition ?) de ce qui constituait traditionnellement la « gauche du PS », ou des velléités d’incarner une gauche du PS, s’exprime cependant dans les contenus politiques défendus par les frondeurs.
Leurs propositions économiques et sociales se sont en effet limitées à des amendements à la marge des orientations gouvernementales. Selon le chef de file de leur motion, le député de la Nièvre, Christian Paul, il s’agirait « de passer d’une politique de l’offre à un pacte d’investissement avec des contreparties pour les entreprises ». En réalité, les frondeurs ne proposaient que de rendre conditionnelles certaines des aides accordées au patronat, notamment dans le cadre du CICE, ou d’exercer un certain contrôle sur leur distribution ; à quoi s’ajoutaient des mesures fiscales un peu moins inégalitaires. Rien par conséquent qui puisse entrer en contradiction avec la dite « politique de l’offre ». D’ailleurs, toujours d’après Paul, la politique qu’ils préconisent « est largement dans le cadre des engagements de la France » vis-à-vis de l’Union européenne – lire l’austérité généralisée et, dans un pays qui conserve toujours des traits de l’Etat-providence, l’adaptation néolibérale à marche forcée.
Le Monde (11/04/2015) détecte à ce sujet un changement entre la contestation actuelle et celles qui l’avaient précédée : « autant l’aile gauche a pu développer par le passé des options radicalement différentes de celles en vogue à Solférino, autant le recentrage de la motion autour de Christian Paul, député proche de Mme Aubry, a tendance à réduire le fossé qui sépare les deux camps. La réelle différence repose sur la ligne économique. Mais, là encore, la fronde des députés a souvent donné l’impression de tourner autour d’une question de curseur davantage que sur des choix structurants. »
« Faire gagner la gauche en 2017 »
Logiquement, les frondeurs n’ont ni ne revendiquent nulle attitude d’opposition vis-à-vis de la direction du PS – et encore moins du gouvernement. « Il existe un chemin possible entre la défiance et la subordination », déclare le député d’Indre-et-Loire, Laurent Baumel, qui réclame une « présomption de confiance » envers Hollande et Valls. Pour Christian Paul, le but du congrès est de « faire gagner la gauche en 2017 », ce qui implique l’adoption de « mesures d’urgence pour réussir avec François Hollande ». Un autre frondeur, le député de Paris ,Pascal Cherki, estime même que le PS devrait s’inspirer de l’exemple de l’UMP, « qui aiguillonnait Nicolas Sarkozy pendant son mandat tout en le soutenant ».
Martine Aubry, dont la décision de participer à la motion du gouvernement avait pu surprendre, se situe sur la même ligne : « j’ai envie que la gauche gagne, j’ai envie que François Hollande gagne », déclare celle qui avait été sa principale concurrente avant mai 2012. Les différences entre son courant et les frondeurs ne relevaient décidément que de positionnements tactiques et conjoncturels.
Le fond de l’affaire est que tous les dirigeants du PS n’ont en tête qu’une seule chose : l’échéance de 2017, qui maintenant se rapproche à grands pas. Face à cela, il n’y a pas de choix ni de désaccords politiques qui vaillent, l’obsession commune est de se maintenir en poste coûte que coûte et par tous les moyens – y compris donc en se ralliant à l’actuel couple exécutif.
La réduction du PS à un appareil électoral fonctionnel à l’Etat et au système capitalistes (ainsi qu’à l’Union européenne), déjà évoquée, est la raison de fond qui explique une telle attitude. S’y greffe un autre facteur : les changements introduits depuis 2002 dans le fonctionnement des institutions par le quinquennat, complété par le couplage des élections présidentielle et législatives. Voulues par le premier ministre PS de l’époque, Jospin, afin d’éviter les cohabitations et leurs inconvénients, ces modifications ont eu une autre conséquence : désormais, si l’on perd la présidentielle on risque de tout perdre. C’est pourquoi tous s’alignent maintenant derrière Hollande, leur candidat (quasi) déclaré à un second mandat.
Le maillon faible du tripartisme
C’est au service de cet objectif que Cambadélis se fait aujourd’hui le défenseur d’un « renouveau des socialistes par la réussite gouvernementale, par le dépassement du Parti socialiste et par la fondation de l’alliance populaire que nous allons porter sur les fonts baptismaux, une nouvelle alliance à gauche ». Selon la motion majoritaire, cette « belle alliance populaire », qui « unit tous les progressistes », passerait d’abord par « l’union de la gauche et des écologistes », laquelle « est et reste notre stratégie », mais devrait aussi se traduire par « une alliance populaire en direction des citoyens » et des « syndicalistes, associatifs, intellectuels, militants », vers un « dépassement citoyen » des « cartels électoraux »… Etonnant, non ?
L’autre versant de cette « stratégie » consiste à mettre au premier plan la menace du Front national en se présentant – ainsi que Valls l’a fait avec insistance dans la campagne des élections départementales – comme son ennemi principal. Face à un tel danger, la gauche et les écologistes devraient décidément se montrer responsables et nous soutenir… Les dirigeants socialistes sont en fait réduits à miser pour mai 2017 sur un affrontement de second tour avec Marine Le Pen, dont ils pensent sortir victorieux. C’est pourquoi aussi ils espèrent avoir à affronter dans ce scrutin un Sarkozy qu’ils savent pouvoir être rattrapé à tout instant par ses innombrables affaires.
Il reste que, dans le tripartisme qui ressort des dernières consultations électorales comme des sondages sur celles à venir, le maillon faible reste le PS. Rien n’assure aujourd’hui qu’il puisse conjurer le spectre d’une nouvelle élimination au premier tour de l’élection présidentielle. Laquelle ouvrirait alors une autre phase politique.
Jean-Philippe Divès