Publié le Jeudi 21 juillet 2022 à 23h47.

Gérard Filoche, marchand d’illusions

Dans le n°136 de la revue, Gérard Filoche a publié un long article sur le Parti socialiste. Précisons tout de suite que nous ne le mettons pas dans le même sac que divers anciens ex-trotskistes passés avec armes et bagages au PS.

Pour Filoche, le PS n’a pas changé de nature depuis la création de la SFIO en 1905 et quand il y a « unité », les révolutionnaires finissent par être « gagnants ».

Pour ce qui est du parti social-démocrate, Filoche soutient que, depuis son tournant réformiste, c’est un « parti ouvrier-bourgeois » pour reprendre le concept forgé par Engels et repris par Lénine. C’est-à-dire un parti qui défend des intérêts ouvriers dans le cadre de la société bourgeoise. Ce que néglige Filoche, c’est qu’il y a différentes manières d’être un parti ouvrier-bourgeois.

Une longue histoire

La SFIO des années 20 et 30 a encore un programme anticapitaliste et se réfère à la dictature du prolétariat. En dépit de sa direction réformiste et timorée, elle est sensible à la montée des luttes sociales et animée d’une volonté de résistance au fascisme. Ceci explique le développement du courant Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert qui ne se contente pas de déposer des motions de congrès mais met en pratique son orientation et collabore avec les militants trotskistes. Après la guerre, la SFIO, toujours « ouvrière-bourgeoise » gère désormais l’État bourgeois et mène la guerre coloniale en Algérie, pour enfin capituler devant le coup d’État et le retour de De Gaulle en 1958. Ce sont ensuite plus de dix années de déclin jusqu’à ce que Mitterrand fasse une OPA et, comprenant que la social-démocratie ne peut reconstruire son électorat qu’avec un discours de gauche, fonde le nouveau Parti socialiste. Surfant sur les aspirations unitaires, Mitterrand arrive au pouvoir en 1981 et s’y moule avec délectation.

À partir de 1983, embarquement vers un social-libéralisme de plus en plus affirmé sous les deux présidences de Mitterrand puis sous Jospin et enfin sous Hollande, qui fait replonger son parti. Si en 1936, on pouvait soutenir que Léon Blum cédait aux pressions des capitalistes, aujourd’hui, les dirigeants socialistes, convaincus que le capitalisme est un horizon indépassable, mènent avec conviction la politique de la bourgeoisie assaisonnée de quelques mesures sociales. Alors le PS, toujours parti ouvrier-bourgeois ? Peut-être, mais l’étiquette couvre une marchandise frelatée même si des illusions peuvent perdurer chez certains militants.

De Hollande à la NUPES

Gérard Filoche idéalise l’histoire du PS sous la présidence Hollande. Celui-ci se heurte à des oppositions au sein du parti mais elles sont essentiellement parlementaires et médiatiques. On se demande comment Filoche peut écrire que la Gauche socialiste a bâti une « opposition sans précédent, plus qu’au temps de Marceau Pivert ». Ensuite, vient la belle histoire d’Olivier Faure présenté comme l’incarnation de la conscience du PS alors qu’il a dépensé beaucoup d’énergie à chercher des compromis favorables aux textes (notamment la loi Travail) propulsés par Hollande et Valls. Dans un autre passage du texte, Filoche donne une vision plus réaliste du tournant vers la NUPES : « L’enjeu est […] toujours le même pour l’appareil : s’unir ou périr ».

Gérard Filoche chante l’éloge du programme de la NUPES mais oublie de préciser que le PS a agi pour en modifier certaines formules et y a fait inscrire ses réserves sur des points décisifs : refus de la nationalisation de banques et de certaines entreprises énergétiques, maintien dans l’OTAN… Le PS a obtenu de marquer sa divergence jusqu’au point significatif de l’amnistie des manifestants : « le parti socialiste proposera […] que la loi d’amnistie ne s’applique qu’aux personnes qui ont exercé leur droit de manifester sans violence et dans le cadre légal ».

L’illusion de victoires

Filoche conclut son article sur un appel à une « maison commune de toute la gauche » et affirme que les révolutionnaires doivent s’y joindre car « quand il y a l’unité réussie de tous, ce sont les révolutionnaires qui l’emportent dans les derniers kilomètres ». Paroles de prestidigitateur mélangeant front unique et unité dans un même parti. Dans la situation actuelle, le front unique est bien sûr une nécessité, mais ce n’est pas principalement une question d’appareils. Par contre, Soutenir que les révolutionnaires seraient finalement toujours gagnants à « une maison commune » est totalement fallacieux. Les exemples contraires abondent. Du parti travailliste britannique, « maison commune » pendant des décennies incluant, sous direction réformiste, des « centristes » et des courants révolutionnaires organisés à des exemples différents mais récents : Refondation communiste en Italie, le Parti des travailleurs brésilien, Syriza en Grèce, Podemos en Espagne… Cela ne signifie pas que, malgré les échecs, il ne fallait pas mener ces dernières expériences afin de tenter de construire des formations ayant plus de poids que des organisations révolutionnaires à implantation restreinte. Mais, que ce soit dans les partis anciens ou nouveaux, des bureaucraties réformistes se consolident, défendent leur orientation et position par tous les moyens, voire s’autonomisent des instances du parti. En dernière analyse, ce qui peut faire des révolutionnaires les « gagnants », c’est le mouvement de masse et leur préparation à des tournants brusques.