Le Sénat a beau n’avoir qu’une fonction subordonnée, le basculement à gauche – jamais vu en 53 ans de ve République – de cette assemblée conçue pour assurer dans tous les cas une majorité aux forces les plus réactionnaires, a constitué un événement. L’exaspération populaire envers Sarkozy et son gouvernement, l’aspiration à s’en débarrasser n’ont jamais été aussi fortes. Nous les partageons, bien sûr, totalement. Mais comment imposer une politique qui soit réellement différente ?
Des justifications selon lesquelles le dernier scrutin sénatorial ne ferait que refléter mécaniquement les élections locales antérieures ne masquent pas le fait que, jusqu’au bout, l’UMP avait pensé conserver le contrôle de cette assemblée. La surprise est venue du vote d’élus a priori acquis majoritairement à la droite, ceux des petites communes rurales ou « rurbaines », souvent réputés apolitiques ou indépendants. Quelles en sont les raisons ? Des différents facteurs que les commentateurs ont pu mettre en avant, deux sont réellement significatifs et méritent d’être commentés.
Les « affaires »…
Le premier est l’incroyable accumulation des affaires qui, plus encore qu’à d’autres moments dans l’histoire de la Ve République (comme à la fin du septennat de Giscard ou pendant les dernières années de Mitterrand), dévoilent les turpitudes des gouvernants et minent en profondeur leur crédibilité. Des rétrocommissions de Karachi à l’affaire Woerth-Bettencourt et à leurs multiples ramifications et tiroirs, Sarkozy et les siens se trouvent chaque jour davantage embourbés dans les scandales : mallettes de billets de financements illégaux, constitution d’une société-écran dans un paradis fiscal, utilisation – tout aussi illégale – des rouages de l’appareil d’État (ministères, police, justice) dans le but de faire taire ou de discréditer les voix susceptibles de les mettre en cause...
Beaucoup de ces affaires remontant à des années, on peut se demander pourquoi et comment tout cela sort en vrac maintenant. Dans un coup de fil passé à la postérité, l’ancien ministre de l’Intérieur, Hortefeux, avertissait son ami Gaubert (autre intime de Sarkozy et présumé porteur de mallettes de billets retirés en Suisse) que son ex-femme « balançait beaucoup » aux enquêteurs. Plus généralement, c’est visiblement tout un secteur des services régaliens de l’État qui, exaspéré par les méthodes du clan présidentiel, prend désormais ses distances et… « balance ».
… Et l’austérité
Avec, en toile de fond, le mécontentement social qui ne cesse de monter face à la politique du gouvernement et qui, de manière bien sûr déformée, se répercute jusque dans les rouages de l’appareil d’État.
Le rejet de la politique d’austérité envers les classes populaires, austérité se doublant d’une gabegie de luxe et de corruption du côté de la minorité privilégiée, constitue le facteur déterminant. C’est l’explication principale du vote pour le Sénat de tous ces petits élus dits « apolitiques » mais qui ne sont pas moins confrontés quotidiennement, dans leur rapport à la population quand ce n’est pas dans la vie de leur propre famille, aux conséquences désastreuses de la contre-réforme des collectivités territoriales, de la Réforme générale des politiques publiques (RGPP) et de son « non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux », des fermetures de bureaux de poste et de services hospitaliers, de la baisse générale des budgets sociaux alors que la misère, elle, ne cesse d’augmenter.
Dirigeant d’un « think-tank » proche de l’UMP, le politologue Dominique Reynié ne dit pas autre chose lorsqu’il estime (dans le Monde du 28 septembre) que « les élus locaux réagissent à une nouvelle phase de déconstruction de l’État providence. » Plus grave selon lui, face à un PS devenu « un parti modéré, central, voire centriste », l’UMP encourt « le risque de subir une saignée sur ses deux flans : à gauche victime du PS, à droite victime du FN »…
Le PS, différent ?
Le discrédit du gouvernement et la crise qui en résulte à droite sont tels que, en réalité, seul le… Parti socialiste peut encore sauver Sarkozy. Toute la question est de savoir si le résultat de 2012 sera décidé par le rejet populaire envers ceux qui sont aujourd’hui en place, ou par le peu d’enthousiasme, parmi les mêmes secteurs exploités, à l’égard de ceux qui attendent de prendre la place.
Comme l’expriment les déclarations des principaux candidats aux primaires du PS, ce parti annonce déjà une austérité de gauche aux conséquences douloureuses pour les travailleurs et les pauvres. Rien d’étonnant lorsque l’on voit, par exemple, la terrible politique antisociale menée aujourd’hui par ses partis-frères en Grèce ou en Espagne. Le PS n’est cependant pas non plus étranger aux scandales. L’affaire Guérini, le président du conseil général des Bouches-du-Rhône mis en examen pour, entre autres, association de malfaiteurs, en est une illustration. Les révélations sur les agissements de Roland Dumas en 1995, à la présidence du Conseil constitutionnel, ont une portée peut-être encore plus grave.
Rappelons que l’ancien dirigeant et ministre PS, aujourd’hui partisan de Hollande après avoir soutenu jusqu’au bout son ami Gbagbo, avait imposé la validation des comptes de la campagne présidentielle de Balladur malgré l’avis contraire des rapporteurs officiels. Or, « dans le cadre de l’enquête préliminaire du juge Van Ruymbeke, chargé du volet financier de l’affaire Karachi, les enquêteurs de la Division nationale des investigations financières ont découvert en octobre un compte-rendu de trois rapporteurs […] qui avaient demandé à l’époque le rejet du compte de campagne de l’ex-Premier ministre. Sur un ton mordant, [ils] y font part de leurs doutes sur l’origine des 10,25 millions de francs en liquide versés le 26 avril 1995 sur le compte de campagne du candidat. Une somme que les familles des victimes de l’attentat de Karachi soupçonnent aujourd’hui de provenir de rétrocommissions perçues en marge de la vente de trois sous-marins au Pakistan. Les rapporteurs notent ainsi que “ le candidat ne sait manifestement pas quelle argumentation opposer “ aux questions sur le versement effectué trois jours seulement après la défaite d’Édouard Balladur au premier tour de l’élection. » (Le Figaro, 25 septembre 2011).
Que s’était-il alors passé au Conseil constitutionnel ? « Dès l’ouverture des débats au Conseil, M. Dumas met en garde ses collègues. Les comptes de Jacques Chirac, leur rappelle-t-il, présentent, eux aussi, des recettes injustifiées et une sous-estimation des dépenses. Et il insiste : si on annule les comptes de l’ancien Premier ministre, il faudra aussi annuler ceux du président élu.
Il observe que les dépassements chez celui-ci sont “ beaucoup plus sérieux “. “ Peut-on prendre le risque d’annuler l’élection présidentielle et de s’opposer, nous, Conseil constitutionnel, à des millions d’électeurs et ainsi remettre en cause la démocratie ? “, fait-il valoir » (le Monde, 25 septembre).
Autrement dit, à l’instigation de son président « socialiste », cette haute institution garante du respect de la soi-disant « légalité républicaine » a choisi de la fouler aux pieds, et cela sur la question la plus sérieuse qui soit puisque concernant l’élection du président de la République. La leçon est, en tout cas, bonne à tirer : pour garantir la stabilité des mécanismes qui servent à assurer la domination de la bourgeoisie, ses représentants politiques n’hésitent pas à violer leurs propres lois ; et dans les cas les plus graves, ils le font même tous de concert, UMP et PS bras dessus, bras dessous.
Le sens du vote Poutou
Comme le Conseil politique national du NPA vient de le souligner, la candidature de Philippe Poutou vise justement à offrir une alternative à ces politiques et ces méthodes, avec pour boussole permanente la défense des intérêts du plus grand nombre.
Dans cette campagne, nous dirons d’abord que ce n’est pas aux travailleurs et à la population, mais bien aux capitalistes de payer la crise qu’ils ont eux-mêmes fomentée. Pour aller dans ce sens, il faudra virer Sarkozy et sa majorité, mais sans faire aucune confiance au PS et à ses alliés, qui s’apprêtent à mener une politique qui ne sera pas essentiellement différente. C’est aussi pourquoi il est nécessaire de préparer dès maintenant les luttes, les grands mouvements sociaux qui seront indispensables quelle que soit la couleur du prochain gouvernement. Voilà, fondamentalement, ce qu’exprimera le vote Poutou au printemps 2012.
Jean-Philippe Divès