Ce n’est pas parce que nous sommes en grève…
C’était une note confidentielle datée du 5 mars 2015, rédigée par le service central du renseignement territorial du ministère de l’Intérieur, et adressée aux plus hautes autorités. « Le service des urgences malade d’un engorgement massif (…) selon les syndicats, ce secteur semble au bord de l’implosion ». Cette analyse met en lumière une dégradation des conditions de travail à l’origine de mouvements de grève, la réduction du nombre de lits contribuant « à saturer les services hospitaliers d’urgence ainsi que les unités d’hospitalisation de courte durée, en particulier avec les patients âgés ». La note, synthèse des données recueillies par policiers et gendarmes, alerte : « Compte tenu de la fragilité économique des établissements hospitaliers et des annonces de restrictions budgétaires, quelques mouvements de protestation pourraient prendre corps ». Cela n’empêchera pas la ministre de la Santé de François Hollande, Marisol Touraine, d’annoncer un train d’économies sur les dépenses de santé, dont 3 millions à l’hôpital, et les Agences Régionales de Santé, bras armé du gouvernement, de fixer l’objectif de suppression de 22 000 postes. Aussi hypocrite que son homologue actuelle, la ministre affirme : « Nous surveillons la masse salariale, mais je le répète, pas question d’y supprimer des emplois ».
Cette même année, Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, est à la manœuvre, face à la mobilisation générale des agents de l’institution contre sa réforme de l’organisation du temps de travail qui, en supprimant des temps de repos, conduit à l’intensification du travail dans les services qui voient dans le même temps leurs effectifs diminuer. Le manque de détermination de l’intersyndicale et la signature finale de la CFDT auront raison de ce mouvement qui a secoué le plus grand Centre hospitalier universitaire d’Europe.
Depuis, à l’APHP comme ailleurs en France, les luttes n’ont jamais cessé, mais toujours en ordre dispersé. Les tentatives répétées de convergence initiées par les équipes syndicales combatives n’ont pas permis de déboucher sur un mouvement d’ensemble qui inverse le cours de la casse de l’hôpital public menée par les gouvernements successifs.
Aujourd’hui, l’espoir renait avec la mobilisation des services d’urgence que les vacances d’été n’ont pas affaiblie. Ce mouvement parti de Saint-Antoine, un établissement parisien, le 18 mars, rassemble maintenant plus de 225 services d’urgences en lutte, à la fin août, sur les 640 que compte l’hospitalière.
…que vous attendez !
Au départ, c’est la recrudescence de la violence générée par des temps d’attente interminables qui fait déborder le vase, les agressions verbales et physiques se multiplient. L’Observatoire national des violences en milieu de santé ONVS le note en 2018, 6% de signalements supplémentaires pour un nombre de déclarants qui reste faible, seulement 34,2% des hôpitaux publics, urgences et psychiatrie en tête. Passés, entre 1996 et 2019, de 10 millions à 23 millions, le nombre de passages aux urgences est en constante augmentation. Il manque du personnel pour faire face à l’afflux des victimes de la désaffection de la psychiatrie ou des personnes abandonnées par la médecine libérale qui n’a aucune obligation d’assurer la permanence des soins sur l’ensemble du territoire. Enfin, la fermeture de 80 000 lits depuis 2000, au profit du développement de l’ambulatoire, ne permet pas d’hospitaliser et l’attente se prolonge sur un brancard. Des conditions d’accueil indignes sont devenues la règle et nourrissent la violence contre les soignantEs en première ligne. Tous ces éléments conduisent « les petites mains » à se révolter, infirmièrEs, aides-soignantEs et brancardiers se mettent en grève pour revendiquer la « Reconnaissance de la spécificité du travail aux urgences passant par une revalorisation salariale pérenne liée à notre activité de 300 euros nets mensuels ».
Fin avril, 17 des 25 Urgences que compte l’APHP ont répondu à l’appel du Collectif Inter-Urgences constitué de représentantEs des équipes soignantes. Dès le départ un lien s’établit avec les syndicats, SUD-CGT-FO, qui s’engagent au côté de cette structure qui s’auto-organise. Cette collaboration élargit le champ des revendications qui portent, non seulement sur l’attribution de l’indemnité pour travail dangereux pour tous les agents des urgences mais s’attachent aussi à exiger, comme évalué par SAMU-Urgences de France, l’embauche de 700 soignantEs, indispensables à assurer la sécurité des soins et de bonnes conditions de travail, les deux étant indissociables. La réponse de la direction générale n’est pas à la hauteur et la grève s’étend, en Île-de-France et ailleurs.
Le 9 mai, les ParisiennEs prennent la tête de la manifestation syndicale contre la réforme de la fonction publique pour aller porter leurs exigences à la ministre de la Santé qui leur répond en envoyant les CRS. Le 25 mai, la première assemblée générale réunit 120 déléguéEs venuEs de 65 services en grève, de Bordeaux, Dieppe, Valence, Creil, Lyon, Lille, Strasbourg, Lons le Saulnier, Rennes, Mulhouse… Elle donne une dimension nationale à cette lutte et la plate-forme revendicative s’enrichit d’une opposition résolue à la fermeture de lits d’hospitalisation, traduite par « Zéro hospitalisation brancard » En 2018, 180 000 personnes ont passé au moins une nuit sur un brancard et il est établi que les temps d’attente sur brancard sont source de mortalité accrue. En termes d’effectifs, la revendication nationale est portée à 10 000 paramédicaux. Ce 25 mai, décision est prise d’une manifestation nationale le 6 juin, et se constitue un comité national de grève constitué majoritairement de représentantEs des urgences aux côtés des syndicalistes de SUD, CGT et FO. La question de l’extension du domaine de la lutte est au centre des perspectives données au mouvement.
Le 6 juin est un succès avec plus de 1000 manifestantEs venuEs de loin pour la plupart, quand on sait la difficulté d’être en grève à l’hôpital. Les effectifs étant déjà au service minimum, les grévistes sont assignéEs à faire leur travail et ne peuvent donc pas quitter leur poste. Face à la vague qui s’amplifie depuis 3 mois, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, est contrainte à un geste, qui, plutôt que de calmer les esprits, fait monter la colère d’un cran et la contestation s’élargit encore à plusieurs dizaines de services. Elle annonce 70 millions pour financer l’attribution d’une prime de 100 euros nets mensuels, à compter du 1er juillet, certainEs l’attendent encore, et pour renforcer les équipes durant la période estivale, ce qui fait, pour chaque structure, moins d’un agent supplémentaire. Alors que les soignantEs débordent largement leurs horaires de travail en revenant sur leurs repos, elle a l’indécence de leur « offrir » le déplafonnement des heures supplémentaires. Enfin est installée une mission nationale sur les urgences qui d’ici novembre rendra ses conclusions… Le mépris et l’arrogance de cette ministre qui n’entend rien à la vraie vie des soignantEs mettent le feu au poudre. La grève s’étend à 130 services, une nouvelle manifestation nationale se tiendra à Paris le 2 juillet, le jour même de la conférence salariale gouvernementale concernant la fonction publique « ce sera l’occasion d’exprimer notre détermination et de faire déverrouiller les “cordons de la bourse” pour l’obtention des financements de nos revendications » et les arrêts de maladie collectifs se multiplient malgré les intimidations administratives ou policières. Le mouvement est soutenu par près de 80% de la population et la ministre est persona non grata, comme à la Rochelle où elle est exfiltrée de l’hôpital sous protection policière…
Le 2 juillet, dans la rue, l’ampleur de cette grève nationale se confirme mais les autorités sanitaires restent campées sur leur position et espèrent certainement que l’été aura raison de la détermination des grévistes. Erreur ! Les personnels ne désarment pas. Le 7 août, 216 services émargent au Collectif Inter-Urgences. Si à Paris quelques services ont obtenu satisfaction et sont sortis de la grève, ce n’est pas le cas de la majorité qui n’a même pas reçu les moyens promis pour la période estivale, d’autant plus que le budget global des hôpitaux étant contraint, les recrutements aux urgences se feront au détriment des autres services. Ce que refuse catégoriquement le Collectif qui appelle à la poursuite de la grève et invite l’ensemble des services hospitaliers mobilisés à une rencontre, à Paris, le 10 septembre. Les revendications des urgences concernent touTEs les hospitalièrEs. Augmentation massive des effectifs, refus des fermetures de lits et de services, reconnaissance salariale pourraient être portées par une « marée blanche », un touTEs ensemble pour la défense du service public de santé, soutenu par la mobilisation unitaire de la population avec la Coordination des comités de défense des maternités et des hôpitaux de proximité, des syndicats interprofessionnels, des partis politiques, les associations de défense de la santé et de l’hôpital public.
CorrespondantEs
Une mention spéciale pour la Guadeloupe, où toute une partie du CHU avait brûlé fin novembre 2017, pour cause de vétusté. La situation, déjà très dégradée pour cause d’endettement et par conséquent de manque criant de matériel et de personnel, s’y est largement aggravée depuis. L’hôpital manque de tout, est inondé à la moindre grosse averse et le personnel se voit contraint d’acheter sur ses deniers les produits de première nécessité. Les vies des patients sont réellement mises en danger. Exténué, il s’est mis en grève depuis le 23 juillet, et les 1er et 13 août ont eu lieu des manifestations de soutien rassemblant quelques milliers de personnes. Le mouvement bénéficie du soutien de 82% de la population.
En ligne sur notre site www.npa2009.org, les articles de nos correspondantEs pour l’hebdomadaire l’Anticapitaliste.
Une lecture conseillée : « La casse du siècle » l’ouvrage de Fanny Vincent, Frédéric Pierru et Pierre-André Juven. L’ouvrage propose une analyse des politiques hospitalières successives qui ont abouti à la crise actuelle. Editions « raison d’agir ».