Entretien. À l’initiative de Notre santé en danger, une tribune « Nous vous accusons » est signée par une quarantaine d’organisations1. Françoise Nay est co-animatrice de Notre santé en danger qui, depuis 2011, regroupe syndicats, associations, collectifs de citoyenEs et d’usagerEs, mutuelles et forces politiques, et fait partie du réseau européen contre la marchandisation et la privatisation de la santé. Elle revient sur les enjeux des mobilisations autour du 7 avril, journée mondiale de la santé, et du Tribunal des politiques qui cassent la santé, le 6 avril à 18 h, à la Bourse du travail, salle Hénaff et sur les réseaux sociaux avec Daniel Mermet et Patrick Pelloux.
La santé en danger ?
Notre système de santé est aujourd’hui au bord du gouffre. Sa dégradation continue touche tous les secteurs : la ville, l’hôpital public, les maternités, les urgences, la psychiatrie, les Ehpad. Les déserts sanitaires sont partout ; 600 000 personnes en affection de longue durée n’ont pas de médecin traitant ; les dépassements d’honoraires ont explosé à 3 milliards d’euros ; 30 % des personnes reportent leurs soins. Malgré les alertes des professionnelEs de santé, la crise s’aggrave comme l’a vu pendant le covid. Faute de changement de politique, le point de rupture approche. L’appel et la mobilisation lors de la semaine du 7 avril, journée mondiale de la santé, sont un premier moment pour réfléchir ensemble, personnelEs mais aussi usagerEs, se rassembler pour arrêter le rouleau compresseur qui casse notre système de santé, et proposer des alternatives.
D’autant que leurs rustines aggravent le mal ! Comme la loi Rist, qui veut appliquer dès le 4 avril le plafonnement du tarif des gardes de 24 h à 1 167 euros… dans le public, mais pas dans le privé. Avec l’austérité sans fin, beaucoup d’hôpitaux en manque de personnelEs ne fonctionnent qu’avec des intérimaires, notamment dans les secteurs critiques — réanimation ou anesthésie — ou les week-end. Certains médecins ou professionnelEs de santé profitent des conséquences de l’austérité… pour se vendre très cher. Sans eux, les blocs s’arrêtent ! La loi Rist met la charrue avant les bœufs. Il faudrait avant tout mieux payer tous les personnelEs pour les attirer de nouveau dans le public. Cette politique va accélérer la fuite vers le privé, qui mine tous les services, et mettre en péril le fonctionnement de 107 services dans 69 hôpitaux ! Malgré l’alerte des directeurs, le gouvernement persiste. Car sa profonde volonté, c’est de fermer. Le rapport Ville sur les maternités le prouve. De grands patrons de service, des hommes, qui pratiquent des dépassements d’honoraires dans le public, avec des accouchements à 2 000 euros et des échographies à 300 euros, disposent de la vie des femmes et proposent de fermer plus d’une centaine de maternités de proximité qui font moins de 1 000 accouchements par an. Le motif invoqué ? La sécurité. Alors que ce qui est en cause, c’est l’incapacité de donner les moyens de bien fonctionner aux hôpitaux et aux maternités, par manque de sages-femmes, de médecins. Alors ils cherchent à regrouper les accouchements dans des usine à soins. Depuis 30 ans, 40 % des maternités ont déjà fermé, passant de 800 à 450. Ils veulent en fermer 110 de plus ! Sécurité ? Le gouvernement dit, on enverra le Smur (Service mobile d’urgence et de réanimation), mais des lignes de celui-ci sont supprimées ou ne fonctionnent pas 24/24 h. Une heure trente de route et le Smur qui dysfonctionne, on va voir se mulutiplier les accouchements inopinés au bord de la route ou dans un camion de pompier. On fera venir les femmes dans des chambres d’hôtel à 150 km de chez elles, dit le rapport. On augmentera sûrement les déclenchements, avec le risque que cela se passe mal et de multiplier les césariennes. De fausses solutions, génératrices d’angoisse pour les femmes, de déshumanisation de ce moment important qu’est l’accouchement. On marche sur la tête, avec un système de financement qui fait qu’une césarienne rapporte plus qu’un accouchement qui se passe bien. Alors que la mortalité néonatale repart à la hausse, notamment faute de dépistage ou de suivi des hypertensions ou du diabète gestationnel, on éloigne encore les maternités des femmes, alors que jusque-là les professionnelEs préconisaient un temps d’accès maximum de 45 minutes.
Tout cela au nom de la rentabilité ?
On ne part plus des besoins mais de ce qui est possiblement rentable avec la T2A ou tarification à l’activité, pour n’avoir plus qu’un ou deux hôpitaux par département. Les budgets votés dans le PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale) sont inférieurs aux besoins depuis des années, notamment pour l’hôpital public. La variable d’ajustement, ce sont les investissements, mais surtout le personnel, jusqu’à 65 % des budgets. Conséquence : des salaires très bas dans un secteur très féminisé, des non-remplacements, 20 % des lits fermés parce que les personnelEs fuient. Cela amène une perte de sens au travail, une non-reconnaissance professionnelle : un jour en cardio, le lendemain en urologie, on n’est que des bouche-trous dans les plannings, des pions qu’on déplace. La notion d’équipe, si importante pour la qualité des soins, l’entraide, les relations avec les patientEs, est détruite. On travaille à flux tendu ou en mode dégradé : on ne donne pas les soins nécessaires, mais les soins possibles, le contraire de l’éthique du soignant. Cela casse le relationnel avec les patientEs, comme en gériatrie où on doit distribuer à toute vitesse les médicaments à 30 patientEs, l’important pour l’encadrement étant de cocher les traitements dans l’ordinateur. Plus de temps pour parler, expliquer, rassurer. Le covid a constitué une charge émotionnelle importante : les décès, des soignantEs ou leurs proches malades, pas de protection, des masques au compte-goutte, les mensonges du gouvernement. Et les politiques ne changent toujours pas, avec plus de 4 000 lits supprimés l’an passé.
Alors la santé en état d’urgence ?
Il faudrait un vrai plan d’urgence pour un accès aux soins et un accompagnement social pour toutEs sur tout le territoire. Notre appel liste plus de 17 propositions, par exemple la suppression des dépassements, un 100 % Sécu, un service public de premier recours avec des centres de santé pluriprofessionnels, des embauches, des réouvertures de lits selon les besoins définis par les professionnelEs, les usagerEs, un plan de formation et de recrutement, la sortie de la gestion comptable et un financement au niveau des besoins, alors que depuis Sarkozy l’hôpital fonctionne comme une entreprise. Cela passe par des budgets plus importants pour faire face à la crise de la démographie médicale à l’hôpital, en médecine de ville ou de spécialité (pour les orthophonistes par exemple, le délai d’attente est de deux ans), à l’endettement hospitalier (à hauteur de 30 milliards d’euros que l’hôpital doit payer). Enfin, Macron a remplacé le numerus clausus par Parcoursup et les pénuries universitaires. Résultat peu de médecins forméEs en plus.
Face à la gestion comptable, nous voulons en santé la démocratie sanitaire ! Pas des ARS qui font des pseudo réunions avec des invitéEs triés sur le volet. Les usagerEs sont très rarement écoutés. Le comité de défense de la maternité de Guingamp n’a pas été reçu par l’ARS. Tout un symbole ! De même à l’hôpital, la décision revient à la direction et pas aux équipes. Alors qu’on avait goûté à un peu plus de collégialité lors de la première vague covid, c’est reparti à l’ancienne, à « l’anormal ».
Retraite, santé, même combat ?
Retraites, santé : le combat est le même. Défendre la protection sociale fondée sur les cotisations — retraites et assurance maladie — contre la marchandisation de la santé, la déshumanisation des soins, la start-up médecine, la médecine « à la Doctolib ». Et ne pas partir trop tard. Défendre le système de soin, face à l’inégalité d’accès, financière, géographique, culturelle, sociale, multipliée par l’austérité. Pour une retraite en bonne santé ! On voit bien les difficultés de mobilisation à l’hôpital, les réquisitions, le burn-out, l’impossibilité d’abandonner les patientEs. Pourtant les possibilités existent. La défense de la maternité de Carhaix en Bretagne a rassemblé 5 000 personnes, la fermeture des urgences de l’hôpital de Gray (70) plus d’un millier, alors que la clinique Mathilde à Rouen était en grève reconductible sur les salaires et les embauches. L’ambition de cet appel, très unitaire, qui rassemble syndicats, usagerEs, associations, c’est de montrer que les questions de santé concernent tout le monde et nécessitent la mobilisation de toutes et tous. Après le procès du 6 avril et la journée mondiale de la santé du 7, nous serons à Lure le 13 mai prochain pour défendre les services publics, et déjà se profile l’exigence d’une mobilisation massive et unitaire contre le PLFFS à l’automne, pour faire sauter le verrou de l’austérité en santé.
Propos recueillis par Frank Prouhet
- 1. Dont la FSU, Solidaires, la CGT Santé, le Syndicat de la médecine générale, l’Union syndicale de la psychiatrie, la Cadac, l’Association des médecins urgentistes, le collectif Inter-hôpitaux, la fédération des orthophonistes, la coordination des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, des partis dont le PCF, EÉLV, LFI et, bien sûr, le NPA… À lire sur : https://www.humanite.fr/…