Pour les travailleurs bretons, c’est la double voire triple peine. Licenciés, ils voient la droite et l’extrême droite tenter de les récupérer, leurs patrons de les manipuler… et une partie de la gauche, l’ex-candidat du Front de gauche à la présidentielle en tête, les insulter : « nigauds », « esclaves manifestant pour les droits de leurs maîtres ».
L’article de notre camarade de Quimper (page 4) leur rend justice. Car au-delà des manipulations et des intimidations, il y a leur lutte pour défendre leur emploi. Il faut repartir de là.
En octobre, les salariés de Marine Harvest s’adressent au maire de Carhaix dans l’idée de réactiver ce qui a fait le succès de la dernière grande lutte en date de la région : la mobilisation massive de la population, la levée en masse de toute une région, pour défendre l’hôpital. Une salle comble de 600 personnes rassemble salariés, syndicalistes, élus et citoyens de cette petite ville de 8000 habitants. A l’issue est décidée une manifestation régionale à Quimper. Celle qui deviendra – au bout de quelques manipulations – la « manif des bonnets rouges ».
Confuse ? Certainement. Mais elle rassemble des salariés de multiples entreprises, Marine Harvest, Doux, Gad, Tilly-Sabco, la CGT des Marins… Et avec eux, des dizaines de milliers de travailleurs, précaires, chômeurs. Au lendemain de cette démonstration de force, les salariés de Marine Harvest démarrent une grève illimitée avec blocus de l’entreprise. Ceux de Tilly-Sabco enfoncent les portes de la sous-préfecture et l’occupent pendant 12 heures. Un blocus de l’aéroport de Brest s’organise. Le mouvement prend racine et peut s’unifier.
C’est là bien sûr que les ennuis commencent. Les patrons licencieurs cherchent à esquiver leur propre responsabilité, jusqu’à tenter d’utiliser la colère de leurs salariés en la retournant contre eux-mêmes, pour exiger tout à la fois de nouvelles subventions, le droit de polluer impunément et des conditions sociales au rabais.
« Sauver la Bretagne »
Car les patrons sont déjà prêts. Le Monde (du 17 novembre 2013) raconte ainsi comment une trentaine d’entre eux, réunis le 18 juin en « Comité de convergence des intérêts bretons » pour faire campagne contre l’écotaxe, ont lancé un « Appel de Pontivy ». Ils y dénoncent « l’hypercentralisme français et le labyrinthe des réglementations », revendiquent « le droit à l’expérimentation (…) qui doit nous permettre de respecter nos valeurs afin de ne pas avoir à affronter en permanence les excès des systèmes bureaucratiques. »
Autrement dit, la transformation de la Bretagne en zone franche, l’organisation du dumping fiscal et social par région, le droit pour le salarié breton de continuer de vivre et travailler au pays grâce à la fin du code du travail ! Un beau programme, qui soulève bien sûr l’enthousiasme… de tout le patronat français, car à Paris et Marseille aussi le Smic ne fait pas partie des valeurs patronales.
Les Trente de Pontivy appellent finalement « les acteurs économiques de la Bretagne à sonner le tocsin », car « l’heure des méthodes douces est révolue (…) il va falloir livrer bataille. » Le patronat, c’est bien la classe sociale consciente de ses intérêts, qui se mobilise, mène sa politique et sait faire son front unique.
La classe ouvrière a besoin de perspectives, pas de leçons de morale
Certaines organisations se considèrent comme ses « représentants naturels » : les confédérations syndicales (et semble-t-il le co-président du Parti de gauche, qui veut les suivre en tout). Mais que font-elles ? Mènent-elles une politique aussi déterminée que le patronat ?
Sonnent-elles le tocsin ? Annoncent-elles la fin des « méthodes douces » ? Exigent-elles l’interdiction des licenciements, la réquisition des entreprises qui licencient, la confiscation des fortunes patronales accumulées pendant des années sur le dos des salariés ? Quand ont-elles organisé la convergence de toutes les boîtes en lutte ? Même des entreprises emblématiques, Continental, PSA Aulnay, Molex, Florange, elles les ont laissées à leur isolement, préférant organiser des tables rondes pour mendier des « plans de réindustrialisation locale ».
Aujourd’hui, aux mille entreprises qui en 2013 subissent un plan de suppressions d’emplois, elles ne proposent rien.
C’est dans ce vide (cet abandon) que s’engouffrent le patronat, la droite et l’extrême-droite. Si désarroi des salariés il y a, il est de la responsabilité de ceux qui devraient tout faire pour unifier les luttes des travailleurs dans tout le pays. La leçon bretonne, c’est l’urgence du front unique de toutes les boîtes, de tous les licenciés. Alors tous comme les Bretons, mais les travailleurs, les petits paysans, les chômeurs bretons !
Yann Cézard