L'équipe de France vient de s'incliner en finale du championnat d’Europe des nations de football, organisé sur son territoire. Cela après avoir battu "l’ennemi éternel allemand" en demi-finale. Marseillaise, drapeaux tricolores, patriotisme fier étaient de sortie dans tout le pays.Les klaxons ont sonné de Paris à Marseille, de Nantes à Strasbourg, pour saluer la victoire de la "France" face à l'Allemagne. Puis, entre ce match et la finale, le pays était bleu-blanc-rouge. "On" a gagné. "On" est en finale. La France Éternelle fût réunie. Le Drapeau et les chants guerriers étaient à l’honneur. Les pires travers germanophobes et lusitanophobes (et islamophobes – pour Benzema – puis negrophobes – pour Eder) ont été entendus. Même dans la défaite, « les français » pleurent « leur » équipe, leur pays...
Mais le foot dans l’histoire, on en parle ?
J’ai regardé les matchs de l'équipe de France durant cet Euro, comme des millions de personnes. Les « Bleus » ont réalisé de belles performances footballistiques, comme les islandais et les gallois, surprises du Championnat. Dans un style purement technique, les croates et les allemands étaient sans doute au-dessus du lot. Mais le football est plein de surprises.
La France dans sa globalité n'est pas un pays de football, sauf dans certains coins. Au contraire, le pays « du pinard et du camembert » est méprisant avec ce sport. Dans la gauche, et dans la gauche révolutionnaire encore plus, il y a un mépris vis-à-vis du football et des activités sportives. Ce mépris est parfois fondé, j’y reviendrai, mais il relève aussi souvent de préjugés et met en avant une fracture culturelle "classiste".
Car à la base, le football est un sport comme un autre. On y joue à 11 contre 11, il y a des règles, et c’est celui qui marque le plus de buts qui gagne. Bon, cette définition est légère, je souhaite simplement sortir de l’essentialisation foot = caca
Les anticapitalistes n'ont pas à faire de leçons sur ce qui est convenable ou in-convenable en matière de passion et de culture. Nous n'avons en général pas à faire de leçons d'ailleurs. Car le football reste un sport populaire. Quid des Sang et Or à Lens (stade plein à chaque match à domicile, alors que le club est en L2) ? Des Verts à Saint-Etienne ? Des phocéens à Marseille ? Même les matchs du PSG représentent pour de nombreux jeunes et prolétaires l'événement culturel du weekend. Au Brésil, le football est une religion ! Un révolutionnaire brésilien qui ne connaît pas le football est légèrement hors-sol... Et pour celles et ceux qui ne connaissent pas le poids du foot en Angleterre, il faut regarder l'excellent Looking for Eric de Ken Loach avec Eric Cantona, revenant sur la vie de travailleurs, supporters mancuniens du mythique Manchester United (à ne pas confondre avec City...). Bref, le football fait partie de la culture ouvrière, qu'on le veuille ou non.
En réalité, ce qui pose problème dans le foot n’est ni plus ni moins qu’il reflète la société en accentuant ses méfaits : nationalisme, homophobie, sexisme, esprit guerrier, dépenses d’argent démesurées. Ce sont ces fléaux là qu’il faut combattre, ceux du capitalisme qui se glisse partout où il peut.
A ce titre, rappelons à ces millions de "français", fiers des bleus, qui klaxonnent dans les rues du pays, qui pestent contre ceux qui ne chantent pas la Marseillaise, qui sont racistes, sexistes, homophobes, qu’ils sont utilisés par le pouvoir qui ne cherche, avec ce genre d’événement, qu’à créer les conditions de l’union d’un peuple imaginaire (cf. l’alliance du patron et de l’ouvrier, du raciste et de l’immigré, derrière le drapeau bleu-blanc-rouge), ce qui évite de parler des vrais problèmes, comme la loi travail, les violences faites aux femmes et aux LGBTI, les morts dans la Méditerranée.
Le football professionnel est gangrené par le système marchand, l'exploitation. Les joueurs ne sont que des marques, qui ne décident même pas eux-mêmes de leur carrière. Ils sont certes trop payés, mais comme les patrons, les acteurs célèbres, les chanteurs à succès, les grands patrons... Le problème c'est qu'il y a trop d'argent dans le foot pro, et pas assez dans les structures amateurs.
Néanmoins, si l'on souhaite aider le football avec une logique « de gauche », il faut allez voir des matchs de club près de chez vous (plutôt que les matchs des nations). L'idéal est d'intégrer ces clubs, d'y défendre une autre vision du sport : égalitaire, antiraciste, mixte, sans autant de pognon. Défendez-y l’idée que les joueurs gays puissent dire qu’ils le sont sans se faire lyncher. Que des femmes puissent jouer avec des hommes. Qu’elles puissent les entraîner aussi. Le football c'est des millions des licenciés, et des jeunes dans les quartiers. Il faut être avec eux, pas leurs dire qu'ils sont débiles ! Créons avec eux un climat d’épanouissement. Faisons du football un engagement militant.
Et, sinon, imaginez à quel point les footballeurs sont plus populaires que nous, et à quel point leur voix porte plus. Est-ce un problème en soi ? Pas forcément, si les footballeurs étaient militants. Imaginez un Griezmann (bravo pour ce magnifique Euro au passage) annoncer son soutien à la mobilisation contre la loi travail, dire qu’il faut régulariser tous les sans-papiers ? C'est bien à ça qu'il faut réfléchir, comment ne pas tout laisser aux capitalistes, et le foot aussi ? Comment faire en sorte que nos passions ne soient pas juste là pour de nous faire oublier de lutter, mais au contraire nous permettent d'être un moment de lutte ? Ces questions sont les bonnes pour tout un tas de domaines, à bien y penser.
Alexandre Raguet