Entretien. Membre du collectif « Non aux JO 2024 à Paris », Frédéric Viale a répondu à nos questions au lendemain de l’annonce par le CIO, mardi 11 juillet de l’organisation à Paris des jeux Olympiques en 2024 ou 2028...
Classes dirigeantes, médias, population... Comment expliquer ce relatif unanimisme autour de l’organisation des jeux Olympiques à Paris ?
Cet unanimisme est véritablement à relativiser, y compris si on regarde les sondages présentés au CIO comme montrant une acceptation totale des JO. La réalité est très différente : 63 % d’acceptation (et non les 78 % annoncés)... alors même qu’il n’y a jamais eu aucun débat. Un certain nombre de signaux plus souterrains montrent qu’à partir du moment où on commence à discuter, cet unanimisme là n’existe pas. Il n’y a eu aucun débat car cette candidature a été posée à un moment politique où en France, une seule chose comptait, l’élection présidentielle. Et ça fait un an et demi que tout autre question est écrasée.
Cet unanimisme de façade est d’abord celui d’élus locaux qui imaginent pour beaucoup d’entre eux que leur territoire va se trouver boosté par les jeux, et qui donc organisent sur fonds publics des attractions, comme les 23 et 24 juin dernier à Paris. Dans ces conditions, il y a effectivement du monde qui est venu, mais il y en aurait eu pour n’importe quel autre spectacle.
Peux-tu nous présenter le collectif « Non aux JO 2024 à Paris » ?
C’est un collectif d’individus, pas d’organisations, qui s’est constitué relativement tard, au mois de novembre dernier. C’est aussi une des raisons pour lesquelles on est très en retard dans la mobilisation contre les JO. L’opposition aux JO a été pendant longtemps une opposition qui a existé sur internet, utilisant les réseaux sociaux, mais cela ne permet pas de construire une réelle mobilisation. Cela n’était pas suffisant. On a lancé une pétition pour appeler à un référendum qui a plutôt pas mal marché, mais qui a été lancée un peu tard. C’est donc un collectif d’individus, sur une base citoyenne mais non partisane, même si cela est bien entendu tout à fait politique. Ce type d’organisation ne peut pas durer en l’état, et à partir de septembre, il faudra s’organiser de manière différente.
Les raisons de l’opposition aux JO reposent sur le coût tout à fait pharaonique des JO, avec des budgets prévisionnels dont on sait que, comme dans les précédentes villes organisatrices, ils seront dépassés... Mais est-ce la seule raison ?
Non fondamentalement, la seule vraie raison de s’opposer aux JO 2024 est qu’ils portent un certain modèle de société. Les jeux Olympiques, c’est un grand projet inutile et imposé... On est dans une espèce de course, de surenchère, qui est fondamentalement une fuite en avant du système actuel qui cherche à trouver des niches pour faire du profit. Et un des moyens pour les entreprises transnationales dans un contexte de marchés quelquefois saturés, c’est d’utiliser les fonds publics, presque intarissables, pour avoir une occasion de faire des bénéfices. Et la logique des grands projets inutiles et imposés (comme Notre-Dame-des-Landes et les autres âneries), c’est de réussir facilement cette martingale : socialiser les pertes et privatiser les bénéfices. Ce sont des projets superflus, pas dimensionnés pour les besoins des populations, et exécutés par des entreprises privées qui ramassent le pactole et ensuite se tirent avec la caisse... Et l’entretien sera assuré ensuite par la collectivité : celle-ci est toujours présente, et au fond, n’a presque pas de limite à son endettement. On peut toujours augmenter un peu, beaucoup, passionnément les impôts, jusqu’à la prochaine fois...
Ça, c’est le fond du problème. Ensuite, on met là-dessus des paillettes, les injonctions quasi morales de devoir vibrer avec le sport, pour couvrir ce qui reste fondamentalement une opération financière et marchande. En plus de cela, à cette occasion, rentre un peu plus dans l’esprit des gens un discours profondément mortifère, celui de la concurrence de tous contre tous. C’est-à-dire que l’on n’est pas là pour participer mais pour gagner, être au dessus-de tout le monde. Et, si pour cela, il faut tricher, on triche... Pendant sept ans, on va donc rentrer dans cette injonction « toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus fort ».
On s’attaque évidemment à des choses plus précises, parce que, bien entendu, les budgets annoncés vont être dépassés. Ceux-ci sont d’ailleurs manipulés. Ainsi, la question de la sécurité : les organisateurs disent que l’on verra au moment venu. À Londres, la sécurité a coûté un milliard, et cette question, c’est bien entendu l’État, c’est-à-dire nous, qui allons payer. Il y a aussi des choses qui sont budgétisées ailleurs, telle cette Arena 2 – 90 millions d’euros quand même – qui doit être construite à Bercy et dont on nous dit que ce n’est pas pour les JO. De même pour le centre aquatique de Saint-Denis annoncé à 108 millions d’euros... On nous affirme aussi que des logements sociaux vont être construits grâce au village olympique et au village médias, mais en fait il va y avoir construction de ces villages, premier coût, puis transformation en logements sociaux, second coût. On aurait donc pu avoir deux fois plus de logements sociaux... Mais là où ça va péter, c’est avec tout ce qui concerne les infrastructures de transport. Les JO sont utilisés comme un accélérateur du Grand Paris, et donc de toutes les aberrations de ce Grand Paris, tel EuropaCity : on va faire un détour de 500 millions pour permettre aux gens d’aller dans un supermarché dans le triangle de Gonesse pour profiter d’une piste de ski avec neige artificielle... On ne réfléchit plus, on fonce, et il va falloir finir les infrastructures plus rapidement, ce qui va coûter plus cher. En prenant des hypothèses extrêmement basses, en intégrant l’ensemble des dépenses et des coûts, on arrive déjà à cinq milliards d’euros, mais on sait que ce sera plus... Des milliards intégralement pris par le public alors que l’on nous bassine à peu près tous les jours sur le fait qu’« il n’y a pas d’argent » : pour les services publics, pour les hôpitaux, pour les crèches...
C’est un modèle de fonctionnement politique insupportable : toutes ces décisions sont prises par des gens qui restent entre eux, qui n’en discutent jamais avec la population, pour imposer leur truc.
Justement, face à ce scandale, comment expliquer la relative faiblesse de l’opposition populaire ici, alors que l’on a vu celle-ci obliger par exemple la ville de Budapest à jeter l’éponge ?
Il y a les explications classiques. Ainsi, les médias qui n’en parlent pas, ou alors qui n’en parlent que maintenant, quand il est très très tard, voire trop tard. C’est une réalité que le mur des médias existe. Mais l’explication la plus importante reste que le calendrier ici a desservi les mobilisations. Ça a été un calendrier très électoral, où pendant un an et demi, on a discuté de la course de petits chevaux présidentiels, avec la campagne la plus désespérante et la plus minable que l’on n’ait jamais eue. On a donc de très grandes difficultés à mobiliser sur des choses qui apparaissent comme lointaines : on n’a jamais réussi à faire passer l’idée que les choses ne se décidaient pas en 2024 mais aujourd’hui.
Quelles perspectives reste-t-il à la mobilisation après la décision du CIO ?
Il faut y réfléchir, et il y a deux pistes. D’abord celle des alliances et des élargissements. Ainsi, on est par exemple en alliance avec les gens qui s’opposent à EuropaCity, ainsi qu’avec celles et ceux qui se battent contre les autres grands projets inutiles et imposés. Ça compte parce que cela permet de fédérer un certain nombre de luttes sociales et donc de donner une certaine visibilité à l’ensemble.
Cela dit, on a sept ans devant nous, et il y a encore le moyen de les faire reculer, même si cela ne va pas être facile. Lors des élections intermédiaires, il faudra régler un certain nombre de comptes et dégager un certain nombre d’élus. À partir du moment où il y aura une date, 2024 ou 2028, les nuisances vont commencer à se faire sentir, et cela va jouer en notre faveur. On peut alors espérer un certain nombre de mobilisations, d’autant plus que l’on est dans une situation globale politiquement très volatile. Il y a une poussée de libéralisme et d’autoritarisme, et les positions sont en train de se tendre. Comment est-ce que cela va se traduire, est-ce que la société française va avaler ce contre-modèle social ? Est-ce que les populations vont avaler ces JO, moyen de les discipliner autant que de les distraire ? On n’en sait rien. Nous, nous restons sur l’opposition aux JO, on n’a l’intention de se transformer ni en aménagement ni en amélioration des JO à Paris...
Propos recueillis par Manu Bichindaritz