Entretien. À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida (1er décembre), nous avons rencontré Robin Drevet, salarié-activiste et coordinateur social et prévention à Act Up-Paris.
Le 1er décembre est la « Journée mondiale de lutte contre le sida ». Peux-tu nous rappeler l’histoire et les objectifs de cette initiative ?
Cette année on célèbre le 30e anniversaire de cette journée à la base instaurée par l’OMS et reprise depuis partout dans le monde. En 2018, le thème retenu est « Connais ton statut », référence au fait que pour vaincre la maladie aujourd’hui, il faut avant tout trouver les personnes séropositives qui s’ignorent.
En 1988, quand la première journée a eu lieu, l’objectif était de visibiliser et de sensibiliser le grand public et les politiques qui étaient alors soit dans une indifférence totale face à la maladie, soit la prenaient pour un acte divin dans une perspective moraliste et réactionnaire.
Pour resituer les choses, le virus responsable du sida n’a été découvert qu’en 1983, et le premier test sanguin permettant de déterminer qui était séropositif ou non n’a été homologué qu’en 1986. La recherche en est donc alors encore à ses balbutiements, et l’annonce de la séropositivité est une annonce de mort, avec un stigmate très fort car on parle d’une maladie sexuellement transmissible à propos de laquelle on évoque même les « 4H » : homosexuels, héroïnomanes, hémophiles, Haïtiens.
À Act Up-Paris, nous avons décidé cette année de centrer nos événements autour des discriminations et de la répression. En effet, il n’est plus besoin de prouver depuis longtemps que le sida est une épidémie politique avant tout, qui se développe sur le dos des populations marginalisées.
L’orientation ultralibérale et répressive que prennent les gouvernements successifs ne font que renforcer les contaminations, comme on peut le voir dans la population migrante.
Où en est l’épidémie aujourd’hui, en France et à l’échelle mondiale ? Quelles sont les principales catégories de population concernées ?
Aujourd’hui, l’épidémie est stable en France, et on estime à 7 000 le nombre de contaminations chaque année, un chiffre qui ne bouge pas ou peu depuis 20 ans. Ce constat est amer et reflète un réel manque d’investissement financier et de volonté politique pour combattre la pandémie. L’ONUSIDA a décrété qu’on pouvait arriver à contrôler et stopper l’épidémie au niveau mondial en 2030 si l’on assistait à un réel effort des pays riches au niveau financier. L’année prochaine se tient la conférence de reconstitution du fonds mondial de lutte contre le sida et la tuberculose en France, il va donc falloir être vigilant à ce que les objectifs soient remplis.
Au niveau mondial, on ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup de victoires. La réduction du nombre des nouvelles infections par le VIH a été la plus forte dans la région la plus touchée par le virus, l’Afrique orientale et australe, où les nouvelles infections ont diminué de 30 % depuis 2010. Toutefois, en Europe de l’Est et en Asie centrale, le nombre annuel de nouvelles infections par le VIH a doublé et a augmenté de plus d’un quart ces 20 dernières années au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Cela peut être mis en corrélation facilement avec des lois répressives et discriminatoires comme en Russie, et même les bons élèves que l’on avait comme le Brésil sont maintenant dans des situations politiques qui ne favorisent pas la lutte contre la maladie.
En France, 43 % des nouvelles contaminations concernent des personnes homosexuelles, et 40 % concernent des personnes migrantes. Chiffre intéressant à relever : parmi les personnes migrantes, une majorité sont des femmes et, selon une enquête de l’ANRS appelé Parcours, plus de 30 % de ces infections se sont faites sur le territoire français, marqueur qu’un accueil digne et inconditionnel est vital.
Au niveau mondial, l’épidémie change de visage puisqu’elle concerne en majorité des femmes avec une concentration très forte en Afrique subsaharienne et centrale.
Les avancées sont toujours fragiles, comme on le voit aux États-Unis où, finalement, seulement 60 % des personnes dépistées séropositives ont accès au traitement, le tout étant rendu de plus en plus difficile avec le démantèlement de Medical Care par Donald Trump, ce qui renforce l’idée qu’il faut lutter pour la défense de la Sécurité sociale et de l’hôpital public en France.
Vivre avec le VIH, cela veut dire quoi aujourd’hui ? Quel est le travail d’Act Up-Paris dans ce domaine ?
Vivre avec le VIH aujourd’hui, c’est entendre des professionnels de santé et des politiciens dire que ce n’est plus qu’une maladie chronique. Alors, certes, les traitements ont fortement évolué, une charge virale indétectable permet à la personne séropositive de ne plus être contaminante, les effets indésirables (qui ne sont secondaires que pour ceux qui ne les prennent pas) sont moindres par rapport au début des trithérapies, et on arrive même à pouvoir réduire le nombre de prises par semaine. Il ne faut cependant pas oublier le stigmate permanent et les discriminations vécues par les personnes séropositives, un refus régulier d’accès à des soins (dentiste, gynéco, etc.), l’impossibilité de voyager librement dans tous les pays, un rejet social, familial et affectif qui se démontre à travers une plus grande propension des séropos à la dépression, à l’anxiété, etc.
Vivre avec le VIH aujourd’hui, c’est aussi avoir des complications plus rapides que les autres, en particulier cancers et maladies cardiovasculaires.
Act Up-Paris tient une permanence d’accès aux droits sociaux depuis 1999, qui accueille des personnes séropositives avec des problématiques d’accès à un logement ou de reconnaissance auprès de la MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées). Le constat est fait que notre permanence ne désemplit pas, et que les problématiques restent les mêmes : des ressources très limitées liées au fait que l’accès au travail est difficile, entrainant une difficulté sur l’accès au logement et donc des possibles ruptures de traitement, etc. Notre travail est d’orienter les personnes et de leur donner des conseils pour mieux se défendre face à l’administration et à des médecins parfois peu scrupuleux dans des demandes de reconnaissance Invalidité par exemple.
Dans la lutte contre l’épidémie et ses effets, quelles sont les questions les plus urgentes ?
Tout est urgent quand on est concerné ! Si aujourd’hui on veut pouvoir avoir un réel impact sur l’épidémie, il faut pouvoir développer en priorité l’offre de dépistage, c’est-à-dire la multiplier au moins par trois. En Île-de-France, les centres de dépistage sont saturés et les réseaux de laboratoires de villes sont sous-exploités. La raison ? On est obligé d’avoir une ordonnance de son médecin pour pouvoir se faire rembourser. On demande donc une démédicalisation complète du dépistage.
En second point, il faut former les professionnels de santé à la prise en charge des minorités telles que les personnes LGBTI. Quand on est jugé chez son médecin, on n'y retourne pas et on ne se fait pas soigner ! Il faut aussi former les personnels d’EHPAD, la première génération de personnes contaminées commence à avoir plus de 60 ans pour la plupart, avec des problématiques spécifiques, et une prise en charge inexistante.
Il faut mettre fin aux discriminations d’État, que ce soit envers les personnes trans qui n'ont toujours aucun accès au droit concernant leur changement d’état civil, ou les personnes travailleurs et travailleuses du sexe dont les conditions de vie se sont dégradées avec une exposition accrue aux violences et aux contaminations depuis la loi de pénalisation des clients de 2016. Cette dernière étant combattue par les personnes travailleurs et travailleuses du sexe elles-mêmes.
Enfin, évidemment, notre travail est aussi de nous battre contre les lois racistes adoptées par les gouvernements successifs. Le droit au séjour pour soin est de plus en plus en menacé, et on assiste à des refus de plus en plus importants de visas pour des personnes séropositives, reposant sur l’idée que le traitement est accessible dans leur pays d’origine sans prendre en compte leur qualité de vie.
Pour tout cela, Act Up-Paris organise, comme chaque année, une manifestation à l’occasion du 1er décembre : 17 heures au départ de la place de la République à Paris, puis le vernissage d’une exposition appelée Transmission(s) au Point Éphémère.
2019 va aussi être l’occasion de tristement célébrer nos 30 ans et donc de rappeler aux pouvoirs publics qu’il est temps d’assumer leurs responsabilités.
Propos recueillis par Julien Salingue