Publié le Lundi 27 avril 2020 à 18h07.

Le plan pour « sauver » les salariés d’Air France

Dix milliards au groupe Air France KLM, dont 7 pour Air France et 3 pour KLM. Et cette aide s’ajoute aux 2 milliards sous forme de chômage partiel fournis pour un tiers par nos cotisations ASSEDIC et deux tiers nos impôts, économisant à Air France le paiement des salaires jusque 4500€ net. Permettant une flexibilisation maximum du travail jusqu’en décembre 2020. Sur les 7 milliards, 4 le seront par un prêt bancaire garanti et 3 par un prêt direct de l’état français.

Le gouvernement français, par la voix du ministre Le Maire a posé comme conditions : « il faut que la Compagnie fasse un effort pour être plus rentable, et des conditions écologiques. Air France doit devenir la compagnie la plus respectueuse de l’environnement de la planète » !

Un effet d'aubaine

Et quand on écoute le Pdg Smith le 24 avril on comprend tout de suite l’objectif : « Une seule priorité, retrouver le plus vite possible une performance économique et financière pour rester dans la course ». 10 milliards donc pour aider les actionnaires à faire de l’argent, les états français et hollandais possédant chacun 14% du capital d’Air France-KLM. Trois fonds de pension US et un fond français réunissent ensemble 22.5% des actions ! Des fonds du style Black rock, brassant des milliers de milliards d’actifs (Causeway Capital, Capital group, Donald Smith). Et qui réclament 6% minimum de rentabilité.

Ce Pdg ultralibéral a d’ailleurs tout intérêt : s’il se sacrifie en acceptant cette année de ne pas toucher sa part variable et va survivre avec seulement 700 000 euros au lieu de 900 000 euros annuel, il garde en perspective son bonus de 2 millions d’euros par an convertible en actions au bout de 4 ans, et en attendant il bénéficie d’un grand appartement gratuit en plein Paris, avec voiture de fonction…

Le gouvernement néerlandais paraît même gauchiste en comparaison, qui va poser des conditions à l’octroi des 3 milliards pour son compte, comme le fait de « ne pas verser de bonus, d’intéressement ou de dividendes ». « Je sais bien que ce n’est pas un message facile à entendre pour KLM. Mais il s’agit de l’argent du contribuable, dont nous avons tous besoin, et qui sera consacré à renforcer la situation de KLM », a encore déclaré le ministre hollandais.

Avec les salaires payés par le chômage partiel, pour une activité quasi nulle, Air France KLM n’a que les compléments de salaire pour les plus de 5485 euros net à payer, et les frais fixes, remboursements d’avion et location de bâtiments. Cela faisait pour les sept mois à venir environ 6 milliards, c’est justement ce dont disposait Air France KLM en trésorerie début mars.

Avec ce prêt et avance en capital, cela fait donc 10 milliards disponibles pour accélérer le plan de restructuration. Le plan initialement présenté aux investisseurs l’an passé, au lieu d’être réalisé en 5 ans, le sera en 2 ans ! Avec de la casse sociale, diminution des effectifs par des départs volontaires ou … des mutations obligatoires ! Si on refuse sa mutation, on peut être licencié, grâce aux merveilleux accords signés par les gentils syndicats partenaires CGC, CFDT, UNSA… Évidemment en ligne de mire le court-courrier et les bases province, mais aussi tous les services jugés non rentables qui seront alors sous traités.

En prévoyant de couper toutes les branches et services pas assez rentables, à commencer par le court courrier Air France, au profit de la low cost Transavia, possédée à 100% par Air France, mais dont seuls les pilotes sont Air France, les autres (hôtesses, entretien avion...) étant sous statut minimal ou sous-traités (Igo pour l’entretien des avions)…

Le Pdg prévoit de passer cette compagnie Transavia de 40 avions à 100 voire 150 ! On nage en pleine écologie ! Le but étant de regagner des parts de marché face aux low-cost Ryanair et EasyJet, en utilisant les mêmes recettes : personnel mal payé, exemption de taxes….

Ryanair et EasyJet préparent la riposte et réclament pour continuer à desservir un certain nombre de villes qui dépendent de l'arrivée régulière de touristes, qu’ils suppriment toute redevance et taxe ! Ben oui pourquoi se gêner ?

Dix milliards aussi pour éventuellement racheter d’autres compagnies en faillite et leur appliquer les mêmes recettes. Le Pdg Smith ne s’en cache pas, lorgnant sur les faillites à venir, Norvegian, Virgin , Air Mauritius... Et réclame de payer moins de taxes à l’aéroport de Roissy car il est désavantagé par d’autres aéroports moins chers, comme Amsterdam.

On voit donc l’argent public qui va servir à accélérer les attaques contre les salariés, accélérer les sous-traitances, diminuer l’emploi statutaire Air France, et faire soi-disant de l’écologie en remplaçant des avions un peu vieux (mais qui volaient encore bien ) par des avions plus modernes et plus économes en carburant et en entretien. Comme l’A220 fabriqué au Canada par les usines Bombardier rachetées par Airbus, qui annonce des licenciements en France. Donc une écologie à base de casse sociale, tout en continuant à augmenter le nombre d’avions et passagers pour réalimenter l’énorme croissance du transport aérien qu’ils aimeraient bien voir repartir. Et poursuivre dans la voie de concentration de nouveaux monopoles du transport, réunissant taxis, bus, trains, avions pour fidéliser et rentabiliser le client. Profitant de l’éclatement programmé de la SNCF et de l’éventuelle privatisation (reportée) d'Aéroport de Paris. Et bien sûr payant de moins en moins d’impôts pour être concurrentiels.

Une affaire de classes

« Rester dans la course » pour aller plus vite dans le mur ? Mur de l’épuisement de la planète, mur d’un délire de voyages en avion qui permet aux très riches de posséder un appartement à New York un autre à Rome, un troisième Paris. Mur des retraités fortunés qui vont passer l’hiver dans des résidences permettant d’échapper à l’impôt au Portugal, en Espagne ou au Maroc, favorisant le bétonnage des côtes. Mur d’une course aux profits générant toujours plus de misère. Et au passage se foutant royalement de la santé des salariés autant que des passagers. A l’image du vol Air France Paris-Marseille du 18 avril où les passagers étaient côte à côte sans protection, pour rentabiliser au maximum le vol. Depuis face au scandale, alors qu’on verbalise à 135 euros les petits jeunes dans les cités, Air France annonce fournir des masques, aux passagers comme aux salariés chargés d’assurer l’embarquement. Des masques protecteurs FFP2 ? Non, il n’y en a déjà pas assez pour les soignants dans les hôpitaux. Et on vous parle même pas des tests.

Les salaires sont à la baisse, les salariés mis en concurrence, uberisés. Même les pilotes sont touchés, en statut d’auto-entrepreneur. L’ubérisation les guette. Ryan air, Norvegian, qui par ailleurs échappent massivement à l'impôt, n'ont même pas besoin de licencier en ce moment, il leur suffit de ne pas passer de coups de fil.

En chute actuellement de 80 %, il est prévu redémarrer doucement. Mais nos capitalistes aimeraient le voir renouer avec la croissance de ces dernières années, de 4 % par an. Cette croissance s'est appuyée sur une baisse des prix, l'avion servant de produit d'appel pour enrichir d'autres secteurs : tourisme, immobilier. On a vu ainsi une explosion du prix de l'immobilier dans les principales capitales et lieux touristiques desservis par l'avion. Favorisant une accumulation de biens de prestige. Il faut avoir son appartement à New York, Rome, Londres, Barcelone ou Paris. Aussi une résidence de vacances à Dinard, Biarritz ou à la montagne. Sans parler des côtes marocaine, espagnole, portugaise. Ou Floride. Les lignes avion low cost servent d'appel, les vrais bénéfices sont ailleurs : immobilier, hôtels, clubs all inclusive, croisières de luxe.

Le transport aérien est massivement utilisé par les privilégiés et massivement subventionné. Par l'exemption de TVA sur les vols internationaux et seulement 5,5 % sur les vols intérieurs, pas de taxes sur le carburant. Voire par des subventions de la part des régions qui veulent accueillir la manne des touristes.Des programmes de rémunération déguisée des hommes d'affaires qui échappent à l'impôt. S'ils voyagent avec Air France, avec un billet payé par leur entreprise ils vont récolter des kilomètres gratuits sur leur compte personnel leur permettant de partir gratuitement en vacances avec leur famille. En classe affaire. C'est le programme des miles gratuits lié aux achats par carte bancaire American express. Plus vous achetez plus vous voyagez. À base de m'as-tu-vu qui sont dans une course à montrer leur niveau social plus haut que le voisin. On va voir l'exposition Léonard de Vinci, pour se faire prendre en photo devant le tableau de la Joconde... Pour pouvoir dire j'y étais.

De même les multiples possessions immobilières, pour se retrouver dans les mêmes restaurants plus ou moins standardisés, écouter la même musique anglo saxonne, les mêmes clubs. Ou le dernier à la mode, encore plus hyperbranché ou luxueux. Aux Maldives ou Thaïlande. À Florence, Prague ou Santorini c'est Bob Dylan partout... Dans le meilleur des cas... Avec aussi de la prostitution tant qu'à faire. La consommation est à son comble, et souvent triste.

Les voyages d'affaires se multiplient en même temps que la production se délocalise, à la recherche de pays où la main d'œuvre doit être toujours moins chère.

Vers d'autres cieux

Les enjeux de baisse des ressources et de hausse de la pollution imposent de rompre avec ce développement imbécile. Le transport aérien montre en ce moment sa vraie fonction : transport de produits de nécessité urgents (les masques, les tests, les médecins cubains...). Liaison avec les régions trop éloignées, Possibilité pour les salariés de rejoindre leur famille.

L'argent public doit servir à maîtriser le développement de transport aérien et l'orienter pour le bien de la société.

Avec des quotas de voyages par passager ? Un développement du tourisme qui profite aux populations locales ? Et non à des tours opérateurs ou des clubs all-inclusive (alcool et bouffe à volonté) qui lâchent des hordes de touristes aller voir le coucher de soleil. Les emplois créés sont des emplois prolétarisés, précaires et mal payés : vigiles, chauffeur, nettoyage, cuisine, prostitution. Et éventuellement cibles d'attentats terroristes qui vise ces concentrations touristiques.

Le transport aérien n'émet que 3 % des émissions de CO2 par la consommation carburant ? Oui, mais l'industrie qui vit autour en consomme bien plus au travers du renouvellement accéléré du parc des avions, de la construction d’aéroports gigantesques et du développement de l'immobilier qu'entraîne le développement des destinations.

Oui cette crise nous invite à réfléchir au mode de développement actuel qui n'est plus soutenable. Réformer tout ce vieux monde déliquescent et dangereux pour tous, cela passe par la reprise de contrôle de notre société.

Et d'abord, la nationalisation de l'ensemble des moyens de transports. Un transport aérien au service du développement des pays et régions, basé sur des échanges utiles et maîtrisés. L'arrêt de la concurrence imbécile qui pousse entre autres à multiplier les petits modules avion pour occuper les fréquences horaires. Le tout avec l'objectif d'une baisse de la consommation d'énergie carbonée

Un même statut pour tous les salariés, un salaire permettant de vivre correctement et l'arrêt des privilèges Et bien évidemment, réduction massive du temps de travail, pour donner du travail à tous et toutes, et pour s’occuper de soi-même et de nos proches, enfants, conjoints, anciens…