Ancien directeur d’une filiale d’Eiffage, David Roquet, accusé comme DSK de «proxénétisme aggravé en réunion », a cherché à disculper « le roi de la fête » en affirmant que ce dernier ignorait que les femmes présentes lors des parties dites fines étaient des prostituées...
Faux semblants et mensonges, qui voudraient faire passer le brutal et insupportable commerce du corps des femmes pour du libertinage, dans un procès qui dresse un tableau peu reluisant des sphères dirigeantes de la bourgeoisie.
Le Carlton, hôtel plutôt chic, était le cadre plus ou moins discret de prostitution. Le patron négocie les tarifs, payés d’avance et en espèces, le réceptionniste ne pose pas de questions en donnant la clé, les prostituées se montrent discrètes et leurs clients sont plutôt des gens comme il faut. Et puis la police s’est occupée d’un certain Kojfer, officiellement chargé des relations publiques du Carlton et d’un autre hôtel, en fait entremetteur pour des hommes « ayant de bonnes références », tout cela avec la complicité du gérant et du propriétaire des hôtels.
Les premières écoutes téléphoniques mènent à Dodo la Saumure, connu de la police pour des activités de proxénétisme en Belgique, propriétaire de plusieurs maisons closes le long de la frontière franco-belge. Les écoutes révèlent leur crasse : ils parlent « de la jeune Black cochonne », une « petite Asiatique » qu’on pourrait proposer en « bouquet garni » dans les chambres d’hôtel ou « du pays de l’Est, genre Ukrainienne » pour accompagner des séminaires d’entreprise. Dodo la Saumure recrute : « Je fais de la remonte de cheptel »...
Notables et prostitution
Les écoutes révèlent les liens entre Dodo la Saumure, René Kojfer et des fonctionnaires de police retraités ou en activité, dont Éric Vanlerberghe, ancien président de la Mutuelle du ministère de l’Intérieur devenu détective privé, ou le commissaire divisionnaire chef de la sûreté départementale. La plupart appartiennent à la même loge maçonnique... comme l’avocat Emmanuel Riglaire qui défend Dodo la Saumure. Il est question de plusieurs soirées organisées à Paris, à Vienne ou à Madrid, en présence de Dominique Strauss-Kahn, trois voyages à Washington...
Durant le procès, Dodo la Saumure, cynique, explique que les femmes obligées de se prostituer sont « totalement indépendantes, sinon ça ferait de moi un proxénète ! Si elles viennent chez moi, c’est par adhésion. Elles s’en vont quand elles veulent. (...) La fille me paye 40 euros après chaque rapport. Pour le reste, elles font ce qu’elles veulent, hein ! »
Une ancienne prostituée témoigne à propos du Club Madame, ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 : « On dormait dans un sac de couchage, en tenue, et quand un client sonnait, on y allait. On leur était présentées comme de la viande, des petites, des grosses. (…) Le Carlton à côté, c’était la récréation. » Une autre décrit comment elle a franchi le pas : « J’ai ouvert le frigo, je savais que j’allais avoir une enquête sociale pour la garde de mes enfants et j’ai vu que le frigo était vide ». Sonia rajoute : « Je n’avais plus d’emploi et des problèmes d’argent. Personne ne m’a poussée, mais on m’a montré que le bon côté des choses. » À propos du Carlton : « Quand on arrivait, tout était déjà prêt. Il y avait un grand pain garni et une bouteille de champagne. On mangeait. Nous, on était le dessert. Ces messieurs faisaient leur choix, (…) on était de la viande » dira une autre... Contrainte, brutalité, mépris des femmes, s’étalent dans ce procès où l’acteur principal, DSK, ne semble se différencier que par une particulière brutalité et son abject cynisme, son goût prononcé du pouvoir d’acheter comme celui de dominer.
Yvan Lemaitre