À l’occasion du 21e anniversaire du déclenchement du génocide rwandais, l’Élysée a déclassifié les archives présidentielles sur le Rwanda pour la période 1990-1995...
Un geste se voulant symbolique, réalisé en présence de Dominique Bertinotti, ancienne ministre et mandataire des archives sous l’ère de François Mitterrand. Une mise en scène qui masque mal l’essentiel : la complicité active de l’État français lors des événements du génocide rwandais.« Je n’accepte pas les accusations injustes, indignes, qui pourraient laisser penser que la France ait pu être complice d’un génocide au Rwanda, alors que son honneur c’est toujours de séparer les belligérants » avait déclaré Manuel Valls le 8 avril 2014, à l’occasion de la 20e commémoration. Et pourtant...Le projet génocidaire a émergé au Rwanda dans un contexte d’appauvrissement généralisé de la population rwandaise, avec à l’autre pôle l’enrichissement rapide de quelques-uns. Ainsi, en 1994, les 10 % les plus riches accaparaient 51 % du revenu rural. Les politiques du FMI et de la Banque mondiale, couplées à la chute du cours du café, auront contribué à préparer le terrain à l’horreur qui a suivi.L’État français a joué un rôle de complicité active dans les événements. Dès octobre 1990 est déclenchée l’opération Noroît, un soutien étroit et continu à un régime politique autoritaire et ultra-répressif. En bon disciple, le régime hutu a mis en œuvre tous les principes fondamentaux de la « guerre révolutionnaire », avec la bienveillance et le concours actif de la République française et de son armée : quadrillage du territoire, fichage généralisé de la population, guerre psychologique (Radio Mille Collines), guerre idéologique, utilisation de structures clandestines et officines parallèles, présence de milices armées et d’escadrons de la mort pour liquider toute forme d’opposition…
Une complicité inassumée mais réelleSelon la mission d’information parlementaire, le montant officiel des exportations légales d’armement de la France vers le Rwanda entre 1990 et 1994 se chiffrera à 137 millions de francs. Et le témoignage de l’ancien directeur d’Oxfam-Belgique devant la Commission d’enquête citoyenne en 2004 est édifiant : « à partir de 1992, on voit apparaître comme par hasard le plus grand nombre d’achats de tout ce qui va servir pour le génocide, (…) des machettes, des tournevis, pioches, pics, haches, serpes (…) ».Un an avant le génocide, le 18 février 1993, la DGSE notait déjà à propos de « véritables massacres ethniques » en cours : « il s’agirait d’un élément d’un vaste programme de purification ethnique dirigé contre les Tutsis. » Mais loin de prévenir le génocide qui s’annonçait, les instructeurs français présents au Rwanda auront même modernisé le fichier central de la gendarmerie qui servit pendant le génocide à ficher les « ennemis »...La République française fut le seul État au monde à reconnaître le GIR (Gouvernement intérimaire rwandais) après l’assassinat du président hutu Habyarimana le 6 avril 1994, un gouvernement qui n’eut qu’un seul bilan d’activité : les meurtres de masse connus de tous en temps réel. D’avril à juin 1994, 800 000 Rwandais tutsis seront massacrés. Pendant ce temps, en mai, Mitterrand et Balladur lancèrent l’opération « humanitaire » Turquoise : celle-ci ne sauva à peu près personne, mais créa une « zone tampon » au sud-ouest du pays qui bloqua l’avancée des forces rebelles et sauva les derniers débris du régime génocidaire...Inutile de dire que 21 ans plus tard, la centaine de documents présidentiels déclassifiés ne changeront certainement pas grand chose..
Pierre Martin