Les grèves qui ont débuté fin juin au Royaume-Uni pour des rattrapages de salaires face au terrible accroissement du coût de la vie, se sont poursuivies durant l’été avec de nouvelles mobilisations de grande ampleur.
Le soutien massif de la grève organisée par le syndicat des travailleurs de la communication (CWU) a conduit au débrayage sur plusieurs journées de 115 000 postiers et de 40 000 salariés de BT, fin août. Même chose du côté des cheminots (syndicat Aslef) et des personnels de transports maritime et ferroviaire (RMT, TSSA) qui annoncent de nouvelles journées pour a mi-septembre, auxquelles prendront part plus de 40 000 salariés. La dynamique reste forte dans bien d’autres secteurs, des personnels éducatifs des centres d’examen aux avocats en passant par les dockers du port de Felixstowe, le plus grand port de conteneurs du Royaume-Uni, où de nouvelles journées sont annoncées, la réponse patronale restant loin de la revendication salariale de leur organisation syndicale (Unite). La grève sera mise au vote à partir du 26 septembre dans les services gouvernementaux où les personnels (syndiqués au PCS) auront six semaines pour se prononcer. Mais il faut aussi mentionner les importantes grèves plus locales, comme à Edinbourg (du 18 au 30 août) ou dans le bourg londonien de Newham ou les agents de propreté ont voté à 99 % pour la grève (du 27 août au 3 septembre).
Le renchérissement rapide du coût de la vie a pris un tour catastrophique avec la confirmation de la hausse du plafond des tarifs du gaz et de l’électricité par le régulateur Ofgem : à compter du premier octobre prochain, l’augmentation sera de 80 %. Mais il est d’ores et déjà question d’une hausse supplémentaire en janvier, qui pourrait dépasser les 50 %. Ce qui signifie que les factures qui s’élevaient en moyenne à un peu plus de £1100 par an à l’été 2021, dépasseront les £3500 en octobre et, selon diverses estimations, devraient approcher les £5000 à partir d’avril 2023.
Six millions de foyers sont endettés auprès de leur fournisseur d’énergie
Jusqu’à 18 millions de foyers (soit, quasiment les deux tiers des foyers britanniques) seront en situation de pauvreté énergétique en janvier 2023, face à une augmentation de la facture énergétique globale de £129 milliards (atteignant £193 milliards, soit, 8,1 % du PIB du Royaume-Uni).
Ce problème de l’inflation est lié à un ensemble de facteurs, parmi lesquels, la guerre en Ukraine, reprise post-Covid, la plus grande dépendance au gaz du Royaume-Uni, le retard pris par les programmes d’amélioration de l’isolation des logements (en 2013, David Cameron avait jugé qu’il fallait mettre au panier toutes « ces conneries vertes »), ou encore les problèmes de stockages, les surcoûts de gestion dus aux transferts de clientèle de la trentaine de fournisseurs ayant dû mettre la clé sous la porte1, par exemple.
Mais comme on le faisait déjà observer en juillet dernier, l’évocation du fait « économique » de « l’inflation » ne doit pas obscurcir l’extrême violence de l’opportunisme de classe dont elle n’est que le signal chiffré. C’est ici que commence la leçon de capitalisme, si impressionnante de clarté et de franchise, qu’offre la conjoncture britannique actuelle. Dans un contexte ou – dans la cinquième économie du monde – des millions de familles devront, ou doivent déjà, choisir entre se nourrir ou se chauffer, et où il faut donc prévoir une importante surmortalité liée à cette situation, les cinq principales entreprises pétrolières du pays (BP, Shell, Exxon Mobil, Chevron et Total) ont annoncé des bénéfices record de £50 milliards pour la seule période d’avril-juin 2022. Mais au-delà, il faudrait aussi évoquer de l’accroissement (ininterrompu et toujours plus rapide) mégafortunes classées dans la « Rich List » du Times, ou l’augmentation moyenne de 29 % des revenus de l’élite patronale entre 2020 et 2021, de (en moyenne) £2,01 millions à £2,59millions, ou la hausse moyenne de 73 % des bénéfices des principales entreprises britanniques par rapport à 2019, avant la crise sanitaire. En d’autres termes, la guerre en Ukraine est une véritable aubaine, comme l’auront été, pour d’autres secteurs capitalistes, la crise du Covid avant cela, ou la période d’austérité intense à partir de 2010.
Aux côtés des mobilisations syndicales se sont mises en place des campagnes de boycott des factures d’énergie (« Don’t Pay ») et de revendications contre la démesure mortelle du coût de la vie (« Enough is enough ») et pour la renationalisation de grands secteurs-clé, dans une rupture politique, de fait, maintenant quasi-complète vis-à-vis d’un ordre parlementaire peut-être encore visible, au télescope.