Entretien. Après l'attaque du siège national de la confédération syndicale UGTT (Union générale tunisienne du travail), rencontre avec Sami Tahri, secrétaire général adjoint.
Comment s'est déroulée l'attaque contre l'UGTT, et qui en est responsable ?Le 4 décembre, nous préparions, comme tous les ans, une marche depuis le siège de l'UGTT jusqu'au tombeau de Fahrat Hached, un des principaux fondateur de l'UGTT. C'était en effet la date anniversaire de son assassinat, il y a 60 ans. Et soudain, juste avant le début du rassemblement, on a vu surgir environ 500 à 700 personnes, appartenant à de prétendues « Ligues de protection de la révolution ». Ils ont attaqué le siège national de l'UGTT avec des bâtons, des couteaux, des bombes de gaz. Il y a eu plus d'une dizaine de blessés, dont deux membres du Bureau exécutif national.Il s'agissait d'une attaque préméditée pour trois raisons : cela s'est passé au siège de l'UGTT ; ils sont allés jusqu'au bureau du secrétaire général, Houssine Abbassi, et ont tout saccagé ; et ils étaient venus armés. Ce n'était donc pas une simple attaque, c'était une attaque qui visait à déstabiliser l'UGTT.
Quelle est la responsabilité du gouvernement ?Près de deux heures après le début de ces attaques, la police ne s'était toujours pas déplacée pour faire partir ces milices. Le gouvernement a fait comme s'il n'était au courant de rien, alors que cette marche était organisée en accord avec le ministère de l'Intérieur. Le gouvernement n'a jusqu'à présent pas condamné cette attaque. Des responsables d'Ennahdha, le parti islamiste au pouvoir, persistent à essayer de justifier cette violence contre l'UGTT, et continuent à s'attaquer à l'UGTT à travers les médias. Il y a donc une responsabilité directe du parti au pouvoir, ainsi que du gouvernement qui n'a pas réagi, et n'a pas ouvert d'enquête. Nous avons des photos et des vidéos montrant les agresseurs. Malgré cela, et jusqu'à présent, il n'y a pas de réaction de la part du gouvernement.
Quelles sont les réactions syndicales face à cette agression ?Nous nous sommes réunis très rapidement, et nous avons décidé de maintenir la marche. Ayant été informés de cette agression, des milliers de gens sont venus de partout pour y participer, et elle a été un grand succès.La deuxième décision a été de boycotter la célébration officielle du 60e anniversaire de l'assassinat de Farhat Hached organisée par le gouvernement.La troisième décision a été de convoquer pour le lendemain la Commission administrative de l'UGTT, pour décider de ce que sera la réaction de la centrale, en sachant que beaucoup de manifestations de syndicalistes ont immédiatement eu lieu, dans des régions comme celles de Sousse, Bizerte, Nabeul, Sfax, etc. Cinq unions régionales ont pris la décisions d'appeler à des grèves générales pour le jeudi 5 décembre. La Commission administrative réunie ce même jour a décidé d'appeler à une grève nationale de 24 heures pour le 13 décembre.
Où en est le processus révolutionnaire et le rôle du mouvement ouvrier ?Le processus est bloqué par ce gouvernement. On sent qu'il y a une attaque contre-révolutionnaire sur beaucoup d'acquis sociaux et économiques, les acquis des femmes, les acquis de la société civile tunisienne qui a un mode de vie moderne. La classe ouvrière subit une politique économique et sociale ultra-libérale. Le gouvernement s'acharne sur les sociétés publiques pour les vendre aux pays du Golfe, et surtout au Quatar. Le pouvoir d'achat des travailleurs est en baisse, la Tunisie sombre dans une crise sociale et économique.Malgré cela, l'UGTT essaye d'organiser un rassemblement démocratique pour sauver cette révolution, et surtout ses slogans principaux que sont la liberté, la dignité et l'égalité sociale qui est maintenant contestée par Ennahdha et ce gouvernement.
De quelle solidarité internationale avez vous besoin ?L'UGTT a vécu beaucoup de crises, comme dans les années 1960, en 1978, en 1985, et auparavant après l'assassinat de Fahrad Hached en 1952. Nous avons toujours trouvé une solidarité syndicale internationale, un soutien faisant pression sur les gouvernements européens pour qu'ils pèsent à leur tour sur le gouvernement tunisien. Aujourd'hui, plus que jamais, ce n'est pas seulement l'UGTT qui a besoin d'un soutien, mais toute la Tunisie : la révolution est en danger, et un soutien international est nécessaire pour dépasser cette phase critique où Ennahdha prépare une nouvelle dictature.Propos recueillis par Richard Lenoir