À l’évidence, le pays traverse une crise sociale et une crise démocratique. On peut même dire raisonnablement que ces deux crises traduisent de fait une crise de régime, c’est-à-dire une incapacité de la classe dominante, la classe capitaliste, de continuer à exercer le pouvoir de manière normale en s’appuyant sur les institutions politiques actuelles.
Cela ne signifie pas que nous sommes entrés dans une crise révolutionnaire, même pas prérévolutionnaire, mais dans une phase d’instabilité sociale et politique dont on ne peut guère présager l’issue. En tant que telle, elle pose une série de questions politiques, de paradoxes.
Une révolte globale
Le rejet massif du report à 64 ans de l’âge de départ à la retraite, avec une loi imposée par plusieurs diktats institutionnels dont le 49.3, la mobilisation populaire prolongée d’une ampleur sans doute inédite par sa profondeur sont des manifestations évidentes de la crise sociale. Manifestations, car ce mouvement, autour de la question des 64 ans, cristallise une crise plus profonde. Les classes populaires sont attaquées depuis plusieurs mois par les conséquences de l’inflation, la hausse du coût de la vie en général, au premier lieu l’alimentation et l’énergie, les effets du Covid. À cela s’ajoutent des attaques de plus long terme qui ont entraîné la misère du système de santé publique, de celui du logement public, des difficultés de la vie quotidienne, avec de faibles revenus, des problèmes d’emploi stable, de transport, de prise en charge de la scolarité des enfants, de la prise en charge de ses anciens. Toutes ces difficultés se vivent tout autant dans les quartiers populaires que dans les petites villes périphériques.
Elles traduisent toutes la volonté du capital de réduire davantage la part de la valeur ajoutée consacrée aux classes populaires, directement par les salaires, indirectement par les prélèvements obligatoires et la redistribution. Toutes ces préoccupations de la vie quotidienne se retrouvent dans les cortèges des manifestations depuis janvier même si les retraites sont le point de cristallisation et la base unique de l’action intersyndicale. La massivité, la constance du rejet de la loi de Macron ne peuvent pas se comprendre sans prendre en compte l’ensemble des colères qui se retrouvent dans le mouvement actuel. Ce sont donc, de manière générale, toutes les conditions de vie des classes populaires qui déterminent la popularité sans faille du soutien aux grèves et aux manifestations et même aux blocages, aux grèves reconductibles pour faire gagner le mouvement.
L’isolement politique de Macron correspond évidemment à cette réalité sociale tant il est le représentant d’une société où les richesses produites sont captées pour le profit de la classe capitaliste, dont la richesse, à travers les sociétés qu’elle possède ou à travers les autres biens, n’a cessé de s’accroître ces dernières années. 5 % des ménages possèdent 95 % du patrimoine industriel. Macron ne trouve un appui tout relatif, outre la classe capitaliste elle-même, que dans une partie des couches supérieures du salariat, de l’encadrement, des professions libérales — en gros les catégories qui lient leur prospérité au système capitaliste, qui n’ont guère souffert du Covid, sont peu attaquées dans leur niveau de vie par l’inflation et ne craignent en rien le passage à 64 ans de l’âge de départ à la retraite.
Le clivage sur la question des retraites est à l’évidence un clivage de classe : il rassemble celles et ceux qui ne peuvent vivre que de leur salaire ou des revenus sociaux et subissent les attaques contre la protection sociale et l’ensemble des systèmes de redistribution.
L’expression politique du mouvement est limitée par l’intersyndicale
On peut dire que l’unité rassemblée autour de l’intersyndicale nationale depuis janvier a permis la construction du mouvement, sa vigueur, notamment dans des petites villes d’habitude moins mobilisées dans des mouvements sociaux. Mais cette intersyndicale, si elle a rassemblé jusqu’à aujourd’hui l’ensemble des syndicats s’est volontairement limitée, pour maintenir son unité, à l’exigence du retrait de la mesure des 64 ans, seule base commune. On pourrait donc dire que dans le pays s’est construit un front unique général, complet, des organisations syndicales et politiques du mouvement ouvrier, traduisant et renforçant la force du mouvement.
Mais chacun comprend aussi que cette autolimitation obligée de la base intersyndicale (n’oublions pas que la CFDT a soutenu la réforme Touraine de 2014 et le passage progressif aux 43 annuités) fait que ce mouvement ne prend pas la place politique qui, objectivement, correspond à sa profondeur, à sa radicalisation. Ce n’est pas que celles et ceux qui manifestent, les militantEs des grèves et des blocages, les participantEs aux centaines de manifestations, n’expriment pas toutes les exigences qui sous-tendent ce mouvement, mais bien que l’autolimitation de l’intersyndicale affaiblit, limite son passage à un stade politique.
Objectivement, le mouvement conteste le pouvoir, l’organisation de la société par les partis et la classe capitaliste, met en avant les principales exigences sociales. Il affaiblit l’hégémonie intellectuelle et politique de la classe dominante, qui a perdu la bataille sur la question de sa réforme (même si elle arrive demain à l’imposer) mais le mouvement ne produit pas sa propre expression politique pour avancer dans son ensemble une autre politique, d’autres choix sociaux au profit des classes laborieuses. En cela on peut dire que le contenu d’exigences de l’intersyndicale n’est pas l’émanation du niveau de conscience, mais est bien en retard sur lui ; par contre le mouvement n’a pas la force de créer ses propres structures, à même de bousculer l’intersyndicale.
Réaliser l’unité des exploité·e·s
Les marxistes révolutionnaires et le mouvement ouvrier du siècle dernier ont été de nombreuses fois confrontéEs à des situations similaires, souvent au cœur d’affrontements d’un autre niveau, dans des crises révolutionnaires ou prérévolutionnaires. L’élaboration, par l’Internationale communiste de la tactique de front unique et la mise en avant du mot d’ordre de « gouvernement ouvrier » lors des 3e et 4e congrès en 1920/1921 traduisaient cette préoccupation.
La tactique de front unique doit permettre la mise en mouvement dans l’unité la plus large des exploitéEs. Cela ne veut pas dire l’addition arithmétique des syndicats et des partis, mais la mise en mouvement permettant la mobilisation, à partir des besoins fondamentaux et, par l’action collective, la lutte, l’avancée de la prise de conscience, la remise en cause de l’hégémonie capitaliste. En cela, l’alliance, dans la réalisation du front unique avec des organisations réformistes liées matériellement et idéologiquement à la politique néolibérale capitaliste est, paradoxalement, nécessaire pour réaliser l’unité, mais cela ne doit pas se faire au détriment de l’action elle-même. « Le problème historique n’est pas d’unir mécaniquement toutes les organisations qui subsistent des différentes étapes de la lutte de classes mais de rassembler le prolétariat dans la lutte et pour la lutte. Ce sont des problèmes absolument différents, parfois même contradictoires » explique Léon Trotski dans Comment vaincre le fascisme ?
Dans le début des années 1920, au cœur de situations de crises, le problème auquel étaient confrontés les communistes était celui de la coexistence avec d’importants partis sociaux-démocrates, dans plusieurs pays capitalistes avancés, notamment en Allemagne, et d’élaborer une politique révolutionnaire. Le but était bien de créer un mouvement, un processus qui mette en mouvement et, partant de luttes sur les revendications, unisse les exploitéEs et amène à un affrontement révolutionnaire. La situation était paradoxale de chercher à s’unifier avec des partis sociaux-démocrates avec qui les communistes venaient de se séparer au cours de la guerre de 14/18, de la Révolution russe et de la crise révolutionnaire en Allemagne de 18/19. « Si nous avions pu unir les masses ouvrières autour de notre drapeau, ou sur nos mots d’ordre courants, en négligeant les organisations réformistes, partis ou syndicats, ce serait certes, la meilleure des choses. Mais alors la question du front unique ne se poserait même pas dans sa forme actuelle… le groupe réformiste tend à la paix avec la bourgeoisie. Mais pour ne pas perdre son influence sur les ouvriers, il est forcé, contre la volonté profonde de ses chefs, de soutenir les mouvements partiels des exploités contre les exploiteurs. » explique ainsi Trotski aux communistes français en 1922, un an après le Congrès de Tours.
Le « gouvernement ouvrier »
De même, à l’époque, les congrès de l’IC débattirent de la question du « gouvernement ouvrier ». Le comité international de décembre 21, puis le 4e congrès de l’IC, en novembre 22, détaillèrent cette question, et la Résolution sur la tactique de l’IC explique précisément que « le mot d’ordre du “gouvernement ouvrier” est une conséquence inévitable de toute la tactique du front unique ». Dans le mouvement des exploitéEs et des oppriméEs rendu possible par une tactique de front unique, l’aboutissement est un gouvernement ouvrier, sur un programme révolutionnaire d’affrontement à l’État bourgeois. La résolution égraine dès lors les différents cas de figure des « gouvernements ouvriers » qui peuvent traduire l’alliance entre les communistes, les sociaux-démocrates mettant notamment en garde contre un gouvernement ouvrier libéral comme en Australie, ou un gouvernement social-
libéral comme en Grande Bretagne, les deux n’étant que des « gouvernements camouflés de coalition entre la bourgeoisie et des leaders ouvriers contre-révolutionnaires ». Mais, le Congrès juge possible la participation des communistes à des gouvernements qui organisent l’affrontement avec l’État bourgeois et commence à remplir des tâches révolutionnaires. L’exemple le plus connu est la décision du KPD en janvier 1923 de construire un gouvernement KPD SPD dans les Länder de Saxe et de Thuringe, décision entravée par l’opposition de gauche Fischer-Maslow.
Dans le prolongement de ce qu’élabore alors Gramsci sur l’hégémonie, il apparait que le mot d’ordre de gouvernement ouvrier peut traduire, de manière algébrique ou plus concrète, dans la propagande ou des situations pratiques, cette idée que les oppriméEs et les exploitéEs doivent briser l’hégémonie politique et culturelle qu’exerce la bourgeoisie dans la société civile, qui lui permet de compléter son pouvoir au-delà de la sphère économique et de l’État politique coercitif, de se légitimer par l’hégémonie dans les institutions structurant la société — syndicats, églises, partis… Créer une nouvelle hégémonie, celle des exploitéEs et des oppriméEs, dans le mouvement de la lutte, est donc un enjeu, affirmer un projet pour l’ensemble de la société, remettant en cause le capitalisme, à partir de la satisfaction des besoins des classes populaires et des exigences des combat démocratiques et de luttes contre les oppressions, l’affirmer pour affronter l’État coercitif et s’attaquer à l’exploitation.
Revendiquer le pouvoir des exploitéEs et des oppriméEs
Ces tâches avaient été élaborées par les communistes au début des années 20 du siècle dernier, des années d’incandescence révolutionnaire.
Mais, une nouvelle fois, le contexte de la lutte pour les retraites et les problèmes qu’elle soulève peuvent souligner à la fois l’importance d’une tactique de front unique – en comprenant que sa dynamique doit étendre sa base d’exigences sociales – et la place du mot d’ordre de gouvernement des exploitéEs et des oppriméEs, qui en l’occurrence signifierait d’abord la manifestation en positif de la prétention des classes laborieuses à se porter candidates au pouvoir, non par délégation dans les cadres institutionnels actuels, mais par leur capacité à s’organiser elles-mêmes à l’ensemble des échelons de la société. Cela va évidemment de pair avec la capacité à faire converger dans l’opposition au capitalisme, l’ensemble des luttes agissant contre l’exploitation et l’oppression.
Les nombreuses exigences qui s’expriment dans ce mouvement ne se sont pas concrétisées dans des structures rassemblant les militantEs, les organisations qui animent la lutte depuis trois mois. Le lien n’a pas été fait avec les préoccupations sociales qui, cristallisées autour de la question des 64 ans, ne se réduisent pas à elles. En un mot, pour reprendre une terminologie politique, ce mouvement a bien réalisé un front des organisations syndicales, une levée en masse des classes populaires, mais en laissant au milieu l’absence de structures qui rassemblent l’énergie politique, expriment les exigences présentes dans ce mouvement.
Souvenons-nous qu’il y a quatre ans c’étaient les Gilets jaunes qui manifestaient, en moins grand nombre, une colère semblable, cristallisant aussi les couches les plus précaires du salariat, notamment dans des régions rurales et périphériques. La colère et les exigences étaient les mêmes. « Nous nous révoltons contre la vie chère, la précarité et la misère. Nous voulons, pour nos proches, nos familles et nos enfants, vivre dans la dignité. 26 milliardaires possèdent autant que la moitié de l’humanité, c’est inacceptable. Partageons la richesse et pas la misère ! Finissons-en avec les inégalités sociales ! Nous exigeons l’augmentation immédiate des salaires, des minimas sociaux, des allocations et des pensions, le droit inconditionnel au logement et à la santé, à l’éducation, des services publics gratuits et pour tous… Nous sommes forts de la diversité de nos discussions, en ce moment même des centaines d’assemblées élaborent et proposent leurs propres revendications. Elles touchent à la démocratie réelle, à la justice sociale et fiscale, aux conditions de travail, à la justice écologique et climatique, à la fin des discriminations. » (Assemblée des assemblées de Commercy).
C’était socialement, aussi, une révolte de classe, ciblant explicitement les exploiteurs, comme le font les manifestantEs des journées de mobilisations actuelles. On retrouve cette colère sociale dans les luttes locales contre les sociétés HLM, concernant les loyers ou le prix de l’énergie, celles des banlieues populaires subissant les discriminations, les forts taux de chômage, la disparition des services publics, les difficultés de transport. On la trouve aussi dans le large appel unitaire à la grève féministe du 8 mars 2023 : « Toujours payées un quart de moins, concentrées sur les emplois les moins bien rémunérés et à temps partiels, les femmes sont de plus en plus nombreuses à ne pas pouvoir boucler les fins de mois. Au lieu de sanctionner les entreprises qui discriminent, au lieu d’augmenter les salaires et les pensions, de lutter contre les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, ce gouvernement et le patronat veulent imposer une réforme des retraites violente et injuste. »
L’appel des Soulèvements de la Terre de 2021 exprimait aussi cette colère populaire, « celle qui rassemble les jeunes révoltéEs contre la catastrophe écologique et les paysanNEs qui refuse de faire la terre un marché… Après avoir enclos et privatisé les communs, le marché capitaliste et ses institutions précipitent aujourd’hui le ravage de la biodiversité, le bouleversement climatique et l’atomisation sociale. »
Face à l’illégitimité de ceux qui nous dirigent
La colère sociale actuelle, les grèves et les manifestations sont donc le produit de toutes ces exigences sociales. L’immense majorité se retrouve face à un pouvoir qui se claquemure derrière une légitimité institutionnelle, celles des règles « démocratiques » qui ont permis l’élection d’un président, d’une Assemblée nationale. Et comme ces règles, elles-mêmes, ne suffissent pas, s’y ajoutent tous les artifices législatifs permettant au pouvoir d’échapper à l’absence de majorité – dans un système taillé pourtant pour assurer une majorité présidentielle –, d’échapper à la pression subie par les députéEs dans leurs circonscriptions électorales.
Dès lors, à la question sociale s’ajoute une question démocratique évidente : comment un président qui n’a reçu l’assentiment que de 20 % du corps électoral, comment une minorité parlementaire qui n’a reçu l’assentiment que de 11,97 % de ce corps électoral peuvent-ils avoir l’arrogance de se prétendre légitimes pour imposer une loi réprouvée par une immense majorité de la population ?
Cette double situation, crise sociale et crise démocratique pose une question directement politique : comment imposer les besoins, les aspirations, le choix de celles et ceux qui s’expriment par les grèves et par la rue contre la réforme des retraites, celles et ceux qui mènent les combats ciblant le système capitaliste, comment affirmer une force capable d’imposer sa légitimité face à un pouvoir minoritaire et illégitime ?
Le danger de l’extrême droite
Avancer dans ce sens est aussi un besoin vital face à une situation aberrante. Trois mois après le début d’un mouvement social qui combat une attaque émanent du capitalisme libéral, mouvement social organisé par le mouvement syndical et avec la participation et le soutien de la gauche antilibérale, l’extrême droite apparait comme tirant largement partie de la crise sociale actuelle, alors qu’elle refuse évidemment d’avancer la moindre exigence de mesures qui s’en prendraient aux intérêts des capitalistes, du patronat. Comme ses collègues italiens de Fratelli d’Italia autour de Meloni, l’extrême droite française ne fait qu’attendre son heure espérant que l’absence d’une puissante dynamique populaire anticapitaliste la fasse apparaître comme une alternative institutionnelle en 2027, tout en profitant de la criminalisation et de la diabolisation de la Nupes organisées par le gouvernement.
L’isolement de cette extrême droite ne pourra avancer que si se construit un front des classes populaires, un front syndical, social et politique qui trace un pont entre le mouvement des retraites et l’ensemble des exigences sociales, démocratiques, environnementales de l’heure, structuré autour de mesures qui remettent en cause le pouvoir des groupes capitalistes. Les bases d’un tel front existent dans les luttes sociales qui se mènent dans les domaines social, féministe, écologique, antiraciste car le capitalisme structure et restructure à son profit l’exploitation et les oppressions généralisant son pouvoir au sein de toute la société.
Nous sommes dans un des moments où la tâche est de « détruire une hégémonie et en créer une nouvelle » comme l’avançait Gramsci. Dans la société civile, s’affirme l’hégémonie de la classe dominante qui trouve, en temps ordinaire, des alliés dans les directions réformistes du mouvement ouvrier. Mais existent des moments où cette hégémonie peut être remise en cause par les luttes sociales, lorsque s’affirme une identité politique des exploitéEs et des oppriméEs, dépassant leurs divisions. Nous sommes dans un moment où pourrait s’affirmer cette identité politique, exprimant le combat pour sa propre hégémonie. C’est donc bien une hégémonie politique des exploitéEs et des oppriméEs qu’il faut construire, une hégémonie correspondant non seulement à leur poids social – en rassemblant l’ensemble des combats contre l’exploitation et les oppressions – mais surtout en orientant ces combats autour de la remise en cause du système qui structure cette exploitation et ces oppressions, le système capitaliste.
La violence de Darmanin à Sainte-Soline est révélatrice de la grande crainte de la convergence de la lutte sociale contre les 64 ans avec celle des luttes écologistes. De même, Darmanin et Macron ont tout à craindre d’une convergence avec les luttes des banlieues populaires sur les services publics, le racisme et les violences policières. La convergence en positif de ces luttes n’existe pas aujourd’hui. Pour avancer dans ce sens, il serait nécessaire que se construise et s’affirme un front social et politique, porteur des exigences sociales d’urgence et traçant ainsi la perspective de ce que pourrait être une société des communs, gérée par et pour les exploitéEs et les oppriméEs, structurée à partir des entreprises, des quartiers et des localités, prenant en main l’organisation de la société pour la satisfaction des besoins populaires.
Pour une unité au service du combat
Parler d’un gouvernement des exploitéEs et des oppriméEs suppose en même temps de partir de la situation actuelle, de prendre en compte les organisations sociales et politiques qui sont partie prenante des combats actuels, qui organisent les luttes sociales. Ce serait évidemment à elles de se rassembler pour définir, mettre en débat ce que pourrait être un programme de satisfaction des besoins sociaux, de rupture avec le système actuel. On touche concrètement un problème essentiel des semaines actuelles : la nécessité de la convergence des forces sociales et politiques devrait battre en brèche l’ignorance mutuelle actuelle.
La faiblesse d’assemblées locales, de structures d’auto-organisation dans ce mouvement ne doivent pas empêcher de faire des pas en avant. L’autonomie indispensable du mouvement social vis-à-vis des partis politiques ne peut mener comme aujourd’hui à l’absence d’initiatives communes larges à partir des exigences sociales et démocratiques pour lesquelles se battent les unEs et les autres. Contrairement à ce que fait essentiellement la Nupes, la question ne se limite pas à un combat institutionnel, parlementaire, doublé d’un soutien aux luttes sociales, en attendant que cela se traduise par un soutien électoral en 2027 ou en cas de dissolution.
Les parlements de l’Unité populaire (mis aujourd’hui en sommeil) en les ouvrant largement, auraient pu aider à cette tâche. Cela devrait se concrétiser actuellement, non seulement par la réalisation de meetings nationaux et locaux rassemblant partis, syndicats et associations, mais aussi par un effort militant conjoint de construction de structures unitaires nationales et locales permettant de faire avancer cette convergence au sein de la lutte. Cela concerne évidemment des tâches communes sur les questions de répression et de ripostes aux actions de l’extrême-droite, de défense des droits démocratiques. Mais cela concerne aussi la nécessité de faire converger, au-delà du refus des 64 ans, les exigences sociales communes dans un programme de lutte. Il faut arriver à donner un sens, une orientation politique au combat social, une orientation politique qui se construise dans la dynamique du mouvement social actuel.
De même, nous sommes dans un moment où se combinent l’évidence d’exigences sociales et l’évidence d’exigences démocratiques. La situation actuelle remet à l’ordre du jour des exigences démocratiques comme celles que nous avions avancées lors de la création du NPA (et qui se sont reposées lors du mouvement des Gilets jaunes). Il ne s’agit pas de se battre pour un simple nettoyage des « excès » de la Ve République mais d’avancer une série d’exigences concrètes :
« Une démocratie politique élargie impose de rompre avec les institutions de la Ve République et leur hyper-présidentialisme, de supprimer la fonction présidentielle. De revendiquer la proportionnelle intégrale, l’élection d’une assemblée constituante, la suppression de toutes les instances qui, comme le Sénat et le Conseil constitutionnel, confisquent encore plus la démocratie. D’établir une rotation et une limitation stricte des mandats, la parité dans tout corps élu. De développer une citoyenneté complète de résidents-travailleurs basée sur le droit du sol intégral. Ces nouvelles conquêtes démocratiques ne peuvent se penser sans des mobilisations profondes, émancipatrices, inventant de nouvelles formes de pratiques démocratiques… ».
Le mot d’ordre d’une Constituante est donc clairement à l’ordre du jour, non pas comme un simple passage à une autre République, comme si l’État pouvait changer de nature de classe à la faveur du passage à un autre numéro de République. Il s’agit non seulement de mettre à bas des institutions qui morcellent, laminent, éparpillent, « façon puzzle » toutes les dynamiques sociales des classes populaires, mais de mettre en avant un processus d’auto-organisation populaire qui combatte explicitement la délégation et soit un outil de rupture et non de nettoyage de l’État bourgeois. Le mouvement porte en germe des dynamiques qui peuvent aller dans ce sens. À nous de les stimuler, quelle que soit l’issue de la phase actuelle du mouvement.