Le énième remaniement ministériel est le signe de la profonde crise que traverse le sarkozysme. Les révolutions des pays arabes ont révélé la complicité de la France avec les dictatures du sud de la Méditerranée, accentuant ce désaveu. Le jour même où Sarkozy a viré Alliot-Marie sans prononcer son nom, le peuple tunisien est redescendu en masse dans la rue et a renversé le Premier ministre Ghannouchi, vestige de l’ancien régime dictatorial. Tout un symbole. La révolution dans les pays arabes est une lame de fond qui, en chassant les vieux dictateurs, enfonce aussi un coin dans les relations teintées de néocolonialisme que les responsables politiques français successifs entretiennent avec ces pays du Sud depuis les indépendances des années 1960. Le dixième remaniement ministériel depuis 2007 est un signe supplémentaire de la profondeur de la crise qui secoue la Sarkozie. Le rejet du pouvoir ne se dément pas et les chefs de la droite ne savent plus comment s’en sortir. Rien ne dit encore quelle sera l’issue de la Présidentielle de 2012 mais si la consultation électorale intervenait dans les semaines qui viennent, l’UMP perdrait le pouvoir à coup sûr. L’allocution de Sarkozy de dimanche soir fut un grand numéro d’hypocrisie. Il a salué le renversement des dictatures, les progrès des valeurs de la démocratie et des droits de l’homme tout en tentant pathétiquement de justifier les liens que la France a entretenus avec ces régimes présentés comme des « remparts contre l’extrémisme religieux et le terrorisme ». Comme à son habitude, Sarkozy joue avec la peur, celle des « flux migratoires incontrôlables » que peut générer l’instabilité, pour provoquer un réflexe d’union nationale. Pour justifier le remaniement, il a indiqué que la profondeur des changements en cours, qualifiés d’historiques, a nécessité « de réorganiser les ministères qui concernent notre diplomatie et notre sécurité » et qu’il confiait cette tâche à un « homme d’expérience », Alain Juppé, ancien Premier ministre, « qui a déjà exercé ces fonctions avec une réussite unanimement reconnue ».
Ne souffrant pas d’amnésie, nous n’avons pas oublié ce Premier ministre de Chirac, « droit dans ses bottes » pour faire passer en force le plan portant son nom et contraint au recul face à la puissance de la mobilisation sociale en novembre et décembre 1995. Nous nous souvenons aussi du chef de la diplomatie en 1993-1995, complice, avec Mitterrand, Balladur et Léotard, du pire crime commis en Afrique au xxe siècle, le génocide des Tutsis par le clan des Habyarimana au pouvoir au Rwanda à l’époque, financé, armé et protégé par l’État impérialiste français. Le siège laissé vacant de ministre de la Défense a été attribué à un vieux cheval de retour de la droite dure, Gérard Longuet, qui a réussi à retrouver un ministère après avoir longtemps été écarté du pouvoir à la suite de ses démêlés judiciaires. Longuet a été un dirigeant du mouvement d’extrême droite Occident lorsqu’il était étudiant et n’hésitait pas à prôner, en 1992, une alliance avec le Front national, un scénario qui tente toujours une partie de l’UMP. Sarkozy a également débarqué son plus proche ami de 30 ans, Brice Hortefeux, condamné pour injures raciales tout en le plaçant au plus près de lui, directement à l’Élysée, où il pourra continuer de nuire, et confié la gestion du dossier de la énième loi sur l’immigration, toujours plus inique et que le Parlement examinera le 9 mars, à Claude Guéant. La tentative de rénover la vieille façade décrépie du gouvernement se conjugue avec celle de ressusciter le projet d’Union pour la Méditerranée, né en juillet 2008. Cette improbable construction scellait l’accord avec les régimes qui tombent les uns après les autres. Peu de temps avant son départ forcé, le dictateur égyptien Moubarak en occupait le poste de vice président. Derrière le salut à la « formidable espérance démocratique » et la volonté affichée « de nouer de nouvelles relations avec ces pays dont nous sommes si proches par la géographie et par l’histoire », il y a les vieilles recettes d’une alliance régionale basée sur les principes de la mondialisation libérale. Ce qui importe aux classe dominantes, c’est de pouvoir, dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, maintenir les peuples sous le joug libéral et de pouvoir continuer à renforcer l’Europe forteresse. En tout cas, Sarkozy a bien raison de redouter ce qui se passe sur la rive sud de la Méditerranée. L’expression de la dignité est contagieuse. Car ces peuples luttent aussi, même si c’est bien sûr dans des conditions différentes de celle des classes populaires de la rive nord, pour refuser de payer la crise. Woerth, Alliot-Marie, Hortefeux ont dégagé. C’est un encouragement à se battre pour virer toute la clique de Sarkozy et sa politique avec.
Fred Borras