Le nouveau gouvernement illustre la place du macronisme dans la situation sociale et politique, la relative faiblesse de sa base sociale et sa stratégie de combat contre les classes populaires. Sa composition donne également des indices sur la manière dont nous devons le combattre.
Les premières impressions que dégage la composition du gouvernement d’Élisabeth Borne sont qu’il y a peu de changements par rapport au précédent et un nombre très réduit de personnalités connues. Les fonctions régaliennes (Intérieur, Justice) et l’économie sont maintenues dans les mains de Darmanin, Dupond-Moretti et Le Maire, une dizaine de ministres changent simplement de bureau et la dizaine de nouveaux est formée de personnalités lisses ou déjà fidèles à Macron.
Chaises musicales
Ainsi, Attal passe du porte-parolat au Budget, Lecornu de l’Outre-mer aux Armées, Véran de la Santé aux relations au Parlement, Montchalin de la fonction publique à la « planification écologique » et aux territoires, Olivia Grégoire quitte le secrétariat d’État en charge de l’économie sociale, solidaire et responsable pour devenir porte-parole du gouvernement. Les nouveaux et nouvelles venuEs sont par exemple Marc Fesneau (ex-Modem) à l’agriculture, Catherine Colonna (ex-ministre de Chirac) aux Affaires étrangères, Rima Abdul Malak (ex conseillère de Macron) à la Culture, Stanislas Guerini (ex délégué général de LREM) à la « transformation » et la Fonction publique, ou encore Pap Ndiaye à l’Éducation.
La situation de Pap Ndiaye est symptomatique : victime d’une déferlante raciste, il est pourtant loin d’être l’« homme qui défend l’indigénisme, le racialisme et le wokisme » attaqué par Marine Le Pen, Zemmour déclarant de son côté sur Twitter : « Avec M. Ndiaye, le travail de sape des indigénistes et des islamo-gauchistes est totalement assumé et va s’aggraver ». En réalité, ses positions sont bien plus modérées, comme l’a incarné sa déclaration : « Je suis un pur produit de la méritocratie républicaine, dont l’école est le pilier » qui s’inscrit dans la compréhension bourgeoise classique du rôle de l’école.
Des éléments de fragilité
Cependant, on doit intégrer le fait que les sorties de Marlène Schiappa, Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal sont des aveux d’échecs politiques dans leurs domaines respectifs (droits des femmes, Éducation et Enseignement supérieur et recherche) et comme une tentative d’appliquer un vernis plus à « gauche ». Ces trois ministres ont fait passer la politique voulue par Macron mais au prix d’une immense impopularité. En les virant et en nommant Ndiaye, Borne souhaite donner l’impression d’une ouverture à gauche – qui est bien limitée. Il s’agit pour elle et pour Macron de faire croire que le gouvernement serait capable d’associer des personnalités politiques de tous bords, de LR à la gauche. Mais, entre Ndiaye et Abad, les réelles ouvertures sont très faibles et le gouvernement est en réalité pour l’essentiel un regroupement de technocrates et de fidèles, quasiment un cabinet autour de Macron et Borne.
Cela produira une capacité à mettre en œuvre la politique du pouvoir sans que des pressions internes s’exercent, il sera facile de discipliner tout cet attelage, mais en même temps cela montre une forme de restriction de la base sociale du pouvoir, incapable de se renouveler et d’associer de nouvelles couches qui seraient représentées par des personnalités fortes et représentatives des milieux patronaux ou politiques.
Des justiciables pas comme les autres
Le pourrissement interne se voit une fois de plus avec l’intégration d’un nouvel accusé de viol, Damien Abad, après le maintien de Darmanin, et tandis que Dupont-Moretti est accusé de « prise illégale d’intérêts » dans l’affaire Sarkozy et Olivier Dussopt de « corruption » et « prise illégale d’intérêts ». Pour reprendre la formule de Lenaïg Bredoux sur Mediapart, Isabelle Rome, chargée de l’Égalité, « coincée entre Darmanin à l’Intérieur et Dupont-Moretti à la justice », ne risque pas de faire des droits des femmes la « grande cause du quinquennat ».
On aurait par ailleurs tort dans la situation d’oublier dans le contexte de la mise en place de ce gouvernement la pression exercée par l’extrême droite, qui se maintient à 30 % dans les sondages.
En tout cas, la mise en place de ce gouvernement montre, d’un côté, une volonté de passer en force sur tous les sujets, le resserrement autour de Macron et Borne, dans la continuité du présidentialisme hérité du fonctionnement de la 5e République, et de l’autre des possibilités de déstabilisation si l’on est offensifs.
Ne rien lâcher et (se) mobiliser
La première tâche est de ne rien lâcher pour les droits des femmes et la justice, d’exiger la démission des violeurs et des magouilleurs, et de mobiliser contre Abad et Darmanin en particulier.
La seconde est de continuer une politique de front unique qui s’incarne actuellement pour le NPA dans la participation aux campagnes des candidatEs de la Nupes qui s’inscrivent dans une dynamique antilibérale et la présentation de candidatures face à quelques candidatEs labellisés Nupes mais parmi les plus libéraux. La démission de Castex et la nomination du gouvernement servaient à signifier aux électeurs et électrices que tout était joué, que les législatives ne servaient à rien, afin de démobiliser les opposantEs. À nous de montrer qu’il est possible de mettre en difficulté Macron et Borne, pour ensuite offrir une perspective de luttes unitaires contre un gouvernement qui se fixe des tâches de destruction sans précédent dans une période qui s’annonce particulièrement instable.