Les bonnes surprises sont toujours possibles, mais les perspectives actuelles de mobilisation sont très en deçà de ce qui serait nécessaire pour faire reculer le gouvernement, alors que les raisons de faire grève ne manquent pas…
Les organisations syndicales viennent coup sur coup d’annoncer des éléments de rupture avec le gouvernement : CGT et CFDT vont attaquer devant le Conseil d’État certaines ordonnances, FO hésite. Elles s’opposent en particulier à la possibilité pour les patrons de négocier directement avec les salariéEs dans les entreprises de moins de 20 salariéEs, sans passer par les syndicats. CGT et FO devraient attaquer sur les référendums, les suppressions des CHSCT et la limitation des indemnités prud’homales. Il faut dire que cela atteint directement les syndicats, qui perdraient en implantation et en influence dans la défense des intérêts immédiats des salariéEs.
La CGT et FO ont quitté les groupes de travail sur les missions de service public et publié un communiqué avec Solidaires dénonçant ces négociations : « le comité est invité à proposer des transferts au secteur privé, voire des abandons de missions » ; ils dénoncent « une politique inacceptable de privatisation des services publics » et estiment que « le cadre et l’objectif étant ainsi arrêtés, aucune marge de discussion n’est possible ». Ainsi, après avoir discuté tout l’été, les syndicats s’aperçoivent, quand vient l’hiver, que Macron veut casser les services publics et supprimer 120 000 postes…
Une stratégie syndicale perdante
Formellement, la réaction de ces directions syndicales est nette : elles quittent les négociations, elles ont appelé à la grève le 16, affirmant que le front syndical s’élargissait avec cette journée appelée par la CGT, FO, Solidaires, la FSU et les organisations de jeunesse. Mais, en pratique, on sait bien que cette journée n’a pas été préparée avec suffisamment d’énergie.
La valse des négociations et des manifestations est supposée rendre compréhensible la stratégie syndicale : les syndicats prétendent prouver qu’ils sont prêts à discuter mais que c’est le gouvernement qui n’écoute pas. Le problème est que cette tactique est contre-productive : les salariéEs qui veulent en découdre voient bien qu’il n’y a pas de plan d’action, et celles et ceux qui ne sont pas convaincus de lutter ne bougent pas davantage. Et l’effet boule de neige est terrible : des sections syndicales n’appellent plus à la grève sous prétexte que ce n’est qu’une journée sans lendemain de plus, avec le risque de réduire fortement la mobilisation.
Alors qu’il faudrait également articuler le refus des ordonnances avec le rejet des nouvelles attaques contre les salariéEs, pour construire une opposition unifiée contre la politique du gouvernement, les réponses se font au coup par coup.
Opposer, additionner ou combiner pour entraîner
Les difficultés sont importantes, il ne faut pas le nier. Beaucoup de travailleurEs pensent qu’il n’est pas possible d’arrêter le gouvernement. Beaucoup de jeunes pensent également que se mobiliser contre la sélection n’a que peu d’intérêt alors que celle-ci existe déjà en bonne partie, ne percevant pas que la réforme représente un recul historique.
Pour entraîner, il faut que les secteurs les plus combatifs continuent à agir, sans se couper ce ceux qui n’agissent pas. La tentation est grande de réaliser chacun sa propre mobilisation : les syndicats en grève le 16, le Front social le 18, des secteurs radicaux dans la jeunesse le 22, tandis que Mélenchon ne propose rien quant à la mise en place de sa manifestation à « un million » à Paris.
Il n’y aura pas de stratégie gagnante sans articuler les différents niveaux de conscience : tant qu’il n’y aura pas d’appel unitaire et déterminé à une grève durable combinant les revendications sectorielles et le projet d’arrêter Macron, tant que ne se constituera pas une opposition associant organisations syndicales, partis et mouvements sociaux, il ne sera pas possible de gagner.
Il n’y a pas d’autre choix que de militer pour réussir les journées de grève, indispensables pour que les travailleurEs prennent conscience de leur force collective et prennent le temps de discuter de leurs propres luttes, tout en rassemblant les secteurs qui veulent aller plus loin, que ce soit le 18 à l’appel du Front social ou dans la construction d’oppositions qui défendent une stratégie combative dans les syndicats.
Et l’on peut oser parier sur le fait que l’accumulation des attaques va provoquer une exaspération qui pourrait produire, à moyen terme, une révolte politique et sociale contre ce gouvernement, à laquelle il faut se préparer dès aujourd’hui. À défaut de fêter le centenaire de 1917 par une révolution, on pourrait ainsi au moins fêter les 50 ans de mai 1968 par un mouvement d’ensemble contre ce gouvernement et sa contre-révolution libérale.
Antoine Larrache