Retour sur le « plan de déconfinement » exposé par Édouard Philippe à l’Assemblée nationale le 28 avril.
On s’y attendait, tant le gouvernement nous a habitués à enchaîner, à un rythme particulièrement effréné ces dernières semaines, enfumages et mensonges, mais l’absence totale d’un quelconque retour critique sur la politique catastrophique du pouvoir depuis le début de l’épidémie a été l’un des éléments marquants du discours d’Édouard Philippe. À entendre le Premier ministre lors de son allocution devant l’Assemblée nationale, le gouvernement n’aurait pas fait d’erreur, et aurait fait tout ce qui était en son pouvoir pour gérer au mieux la crise.
Inutile de revenir ici sur l’ensemble des (non-)décisions qui ont contribué à nous précipiter dans la crise sanitaire et sociale sans précédent que nous traversons. Un seul exemple : le matin même du discours d’Édouard Philippe, Libération publiait une longue enquête démontrant que la pénurie de masques avait été sciemment provoquée par le gouvernement Macron, et que celui-ci avait délibérément menti en prétendant avoir seulement poursuivi la même politique – déjà peu reluisante – que ses prédécesseurs. Comme l’explique à Libération François Bourdillon, directeur de Santé publique France de 2016 à 2019, et peu suspect de gauchisme : « Certains ont considéré qu’un stock de masques pour la population n’était pas si important que ça. »
Fatras de dates et d’exceptions
Ce sont les mêmes, représentés par Édouard Philippe lors de son discours, qui prétendent aujourd’hui être légitimes pour nous imposer la marche à suivre, et qui espèrent que nous allons nous y plier sans broncher, au nom, bien sûr, de « l’unité nationale ». Et quand bien même leur crédibilité n’aurait pas été brûlée par leur flagrante et dangereuse irresponsabilité, le moins que l’on puisse dire est qu’il est malaisé de s’y retrouver dans le « plan de déconfinement » annoncé par le Premier ministre. Bien malin qui pourra comprendre dans ce fatras de dates et d’exceptions la logique de santé publique qui prévaut : une date générale de déconfinement annoncée, le 11 mai, « si tout est prêt », et sauf pour certains départements dont on connaîtra le nom le 7 mai ; une réouverture des établissements publics et des commerces, sauf pour ce qui concerne par exemple les lieux de culture ou les bars ; un calendrier de reprise de l’école qui contredit une fois de plus les annonces de Jean-Michel Blanquer ; une multiplicité de conditionnels et de formulations hypothétiques qui semblent déjà préparer les contre-ordres de demain, etc.
Une fois de plus, le gouvernement donne l’impression de naviguer à vue, rejetant la responsabilité du flou de ses décisions sur les comportements individuels de la population. C’est ce qu’a ouvertement déclaré Édouard Philippe en affirmant que « [sa] politique repose […] sur la responsabilité individuelle et la conscience que chacun doit avoir de ses devoirs à l’égard des autres ». Et de constater, sur un ton paternaliste qui n’a rien à envier à celui de Macron : « Les comportements se relâchent un peu ».
Leur seul objectif : relancer la production et la consommation
Aucune logique sanitaire donc, car l’essentiel est ailleurs. Édouard Philippe a beau vouloir se poser en protecteur, annoncer la mise à disposition de millions de masques pour le grand public et annoncer 700 000 tests par semaine (après le 11 mai, car d’ici là, mystère…), l’important est dans ce qu’il ne dit pas. Cette fin de confinement à marche forcée, sans aucune garantie sanitaire, le gouvernement la veut à tout prix car il souhaite en réalité répondre aux exigences du Medef. « Nous sentons que l’arrêt prolongé de la production de pans entiers de notre économie […] présenterait pour le pays […] un risque de l’écroulement » : l’objectif réel est bien de relancer la production et la consommation, bref les profits et l’exploitation. C’est la seule boussole du gouvernement, le seul fil conducteur de sa politique, faite d’économies sur des dépenses socialement essentielles, de multiplication des cadeaux au patronat, de pression sur les salariéEs pour les contraindre d’aller travailler, dans des secteurs non essentiels, au péril de leur santé.
Chassez le naturel, il revient au galop. La veille du discours du Premier ministre, la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher affirmait, à propos du prix des masques qui seraient vendus au grand public, que « l’approche qui consiste à dire "il y a un prix maximum" risquerait de freiner l’innovation ». Un exemple exemplaire de l’incapacité d’un gouvernement au service du capital d’imaginer, ne serait-ce que le temps d’une crise sanitaire, que les logiques du marché sont contradictoires avec les intérêts du plus grand nombre, à un moment où c’est la gratuité des masques – a fortiori s’ils sont rendus obligatoires dans un certain nombre de lieux, dont les transports en commun – qui devrait être la règle.
Le pouvoir entend donc continuer sur la voie qui nous a menéEs à la catastrophe, en appuyant un peu plus sur l’accélérateur et en assumant la poursuite du confinement des libertés démocratiques, avec notamment l’interdiction des rassemblements de rue de plus de 10 personnes. Face à ce gouvernement, c’est autour d’un véritable plan d’urgence sanitaire et sociale qu’il s’agit de se mobiliser. Le 1er Mai sera une occasion de nous organiser dans cet objectif, une étape importante dans le déconfinement de nos colères.