Publié le Vendredi 17 juillet 2009 à 18h32.

L'antisémitisme tue

Albert Herszkowicz est le fondateur de l'association Memorial 98, contre le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme, créée en 1998 lors du centenaire de l’affaire Dreyfus1. 

Le procès du « gang des barbares » s'est déroulé dans une atmosphère particulière…

Youssouf Fofana a choisi une posture d’islamiste et de héros autoproclamé du monde arabe et a accentué jusqu’à la caricature le contenu antisémite de ses actes. Il a sans doute été conseillé dans ce sens, de même qu’il n’a pas déniché par hasard son avocat, Emmanuel Ludot, proche d’Alain Madelin et ancien défenseur de Saddam Hussein. Des débats télévisés ont eu lieu dès le début du procès, avec les différents avocats des parties civiles et de la défense. Certaines organisations juives, dont le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), ont maintenu une pression permanente tout à fait hors de propos. 

Quels enseignements peut-on tirer du procès

Le principal constat est qu’il s’agissait bien d’un crime à caractère antisémite, et donc raciste. Fofana n’a pas cherché à enlever une personne fortunée, mais un Juif, presque au hasard. Il voulait exploiter la richesse supposée « des Juifs » et leurs prétendues capacité et habitude à payer pour pouvoir récupérer l'un des leurs. Il a d’ailleurs fait appel à un rabbin, trouvé dans l’annuaire, pour transmettre des messages à la famille, qu’il considère comme responsable de l’échec de son affaire pour n’avoir pas payé l’énorme rançon exigée. A partir de cette première déshumanisation de l’otage, il n’a pas hésité à le torturer longuement. Ilan Halimi a été tondu, poignardé, brûlé et abandonné mourant le long d'une voie ferrée. Cette question de l'antisémitisme est lancinante et douloureuse, notamment pour la mère d'Ilan Halimi. Elle accuse les policiers de ne pas avoir tenu suffisamment compte du fait que son fils courait un danger particulier, parce qu'il était juif. Tout ceci est largement connu depuis l’époque du crime. 

Comment s'est positionnée la gauche radicale à l'époque?

Une partie de la gauche radicale – dont la LCR et l’Union juive française pour la paix (UJFP) – et le MRAP, ont déserté la manifestation de protestation du 26 février 2006, appelée par le Crif, SOS-Racisme et la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). Les deux arguments avancés pour ne pas participer tenaient à l’incertitude sur le caractère antisémite de l’affaire et à la présence annoncée de Philippe de Villiers. Mais SOS-Racisme et la Licra l'ont immédiatement expulsé et De Villiers a dû quitter les lieux. Surtout, les organisations abstentionnistes tergiversaient sur le caractère de ce crime et se retranchaient derrière la police et la justice, qui n’avaient pas établi le caractère antisémite de l’affaire. Cet étrange prétexte, s’agissant d’organisations habituellement peu enclines à s’aligner sur les analyses policières, témoignait d’une réticence à s’emparer du combat contre l’antisémitisme, en raison des liens supposés avec la situation au Moyen-Orient. 

Existe-t-il des liens entre Youssouf Fofana et les listes Dieudonné-Soral?

Plutôt Kémi Séba, à la tête de ses groupes successifs2 ; il s’est proclamé protecteur de Fofana. Voici le courriel que la Tribu Ka envoyait à des organisations juives, fin février 2006, après l'assassinat d’Ilan Halimi : « Message de la Tribu Ka à la communauté juive. Nous observons depuis ces derniers jours suite à la mort du vendeur de portables Ilan Halimi qu’une véritable chasse à l’homme se dessine envers Youssouf Fofana, accusé par votre communauté d’être responsable de la mort de l’un d’entre vous. Nous n’irons pas par quatre chemins, que notre frère soit coupable ou pas, nous vous prévenons que si d’aventure, il vous prenait l’envie d’effleurer ne serait-ce qu’un seul des cheveux du frère, au lieu de lui laisser avoir un procès équitable, nous nous occuperons avec soin des papillotes de vos rabbins, et croyez-nous, vos pseudo-services de sécurité de la LDJ ou du Betar ne vous seront d’aucune aide face à la volonté de justice des nôtres. Laissez le frère se faire juger équitablement ou vous paierez. Kémi Séba, Fara de la Tribu Ka. »  Seba est de nouveau intervenu dans ce sens lors de l’arrestation de Fofana en Côte-d’Ivoire puis, récemment, en mai dernier.

Le MDI [Mouvement des damnés de l'impérialisme, NDLR] vient de recruter Ginette Skandrani3, nommée « chargée de mission à l’écologie révolutionnaire » et le vétéran négationniste Serge Thion. Le MDI indique qu’il n’approuve pas son  « révisionnisme »,  mais que c’est néanmoins un grand militant qui va s’occuper de la Palestine. L’avocate garaudyste Coutant-Peyre, compagne de Carlos et soutien de la campagne Dieudonné-Soral-Gouasmi, a été quelque temps dans la défense de Fofana avant qu'il ne la récuse en tant que « juive » et donc dangereuse. Elle déclare conserver toute son admiration envers Fofana, « extrêmement courageux et très intelligent », comparé aux « militants d’extrême gauche » des années 1980. Il ne serait pas coupable de la mort d’Ilan Halimi, en raison de la « complicité objective » policière qui aurait « laissé passer le temps ». Les autorités auraient décidé d’attendre que le drame s’accomplisse afin que survienne une « affaire emblématique » de la montée de l’antisémitisme. Nous avons expliqué plus longuement sur notre site le contexte de ces prises de position. 

Propos recueillis par Emmanuel Sieglmann 

1. http://memorial98.over-blog.com.

2. Kémi Séba a été à la tête de la Tribu Ka, organisation « afrocentriste » qui s'est fait connaître pour son soutien à Dieudonné dès 2004 et son antisémitisme, avant d'être dissoute par décret présidentiel, en juillet 2006. Il a ensuite fondé Génération Kémi Seba, puis le Mouvement des damnés de l'impérialisme (MDI), organisation « ethnoséparatiste » dont certains membres sont issus de groupuscules fascistes.

3. Personnalité connue pour son négationnisme.