Publié le Jeudi 9 avril 2009 à 22h06.

Loi sur Internet : la culture et nos droits bafoués

Présenté à l'Assemblée nationale le 10 mars et "ficelé" le jeudi 2 avril en commission "mixte" parlementaire, le projet de loi « Création et Internet » (loi « Hadopi ») devait être voté au final aujourd'hui à l'Assemblée Nationale. Cela n'a pas été le cas, le projet de loi a été rejeté !  

Présentée par le ministère de la Culture et inspirée par l'ancien PDG de la Fnac (quelle coïncidence !), la loi « Hadopi » modifie le code de la propriété intellectuelle, soit l'ensemble des textes qui permettent à un créateur d'être rémunéré de son invention et de son œuvre. La loi crée deux structures, toutes deux critiquables: la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) et la Commission de protection des droits (CPD). En mettant en œuvre la « riposte graduée » contre le partage d'œuvres sur Internet, l'Hadopi serait chargée d'analyser, sur les réseaux, les fichiers partagés par les internautes, de détecter les échanges des œuvres des multinationales de la culture, puis d'identifier par son adresse Internet le responsable et de le sanctionner progressivement (menaces puis coupure de la connexion Internet). En gros, ce sont 10000 mails, 3000 lettres recommandées et 1000 suspensions par jour. Ainsi mis en cause, le foyer serait alors inscrit sur une liste noire, à laquelle aucun fournisseur d'accès ne pourra plus proposer de connexion Internet pour toute la durée de la sanction.

Et en cas d’erreur ? Rien à faire, ici la présomption d’innocence n’existe pas. La sanction est déclarée et les voies de recours sont quasi nulles, puisque c’est à vous de prouver que rien ne se passait d’illégal sur votre adresse IP ! Comment faire ? Installer ce fameux mouchard sur votre ordinateur, seul moyen de vous disculper. Mais ce logiciel espion, connecté à l'Hadopi, doit bien évidemment être activé en permanence. Et cela ne s’arrête pas là. Le principe du contrôle généralisé du Web par un filtrage imposé aux fournisseurs d’accès est désormais d’actualité. Le développement des outils techniques permettant le filtrage de la Toile est à l’étude. On labellise les sites qui offrent une information « officiellement fiable » et on censure les autres ! La liberté d’expression sur Internet risque de devenir un lointain souvenir.

L'Assemblée a fait la sourde-oreille à ces quelques députés qui ont souligné, des heures durant, les aberrations techniques, les nuisances économiques, les menaces pour le logiciel libre et les atteintes graves aux droits qu'entraine cette loi. Le rapporteur et la ministre n'y ont répondu que par la répétition mécanique de contrevérités ou de slogans creux. Le texte est passé en force, malgré les critiques formulées à tous les niveaux, que ce soit pour les libertés individuelles, par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil, gentiment écartée du processus), pour les droits fondamentaux, par le Parlement européen et le Conseil d'Etat, ou pour le bon fonctionnement des technologies de l'information, par les fournisseurs d'accès à Internet et même certaines multinationales comme Google !

Le collectif militant « La quadrature du Net », porté par Jérémie Zimmermann, organise la bataille contre le projet de loi au niveau national et européen depuis maintenant plus d’un an. Il ne compte pas s’arrêter là : «Nous sommes tous ensemble intervenus dans le débat, et nos arguments ont résonné en continu dans l'hémicycle, par la bouche de députés de tous les bancs, face au mur coupable des godillots de l'UMP. Nous devons continuer cette information de nos concitoyens et rester vigilants contre toute tentative de contrôle du Net. Quelle que soit la surdité du gouvernement, la raison et la justice finiront par triompher face à l'obscurantisme. » Après cet examen à sens unique à l'Assemblée, ce texte imprécis, absurde, dangereux et totalement inapplicable, sera négocié et finalisé par une commission mixte paritaire (CMP) et examiné en recours devant le Conseil constitutionnel. Parions qu’à nouveau, des voix s’élèveront pour rappeler à tous à quel point cette loi est liberticide et inutile pour la culture. C’est un leurre que d’imaginer cette dernière grandie par un tel texte. Ce projet n’apporte aucune nouvelle source de rémunération pour la culture. Comme avec la précédente loi DADVSI (qui reste elle aussi d’actualité puisqu’Hadopi ne fait que s’y ajouter), plutôt que de chercher à développer de nouveaux modèles économiques, les lobbies et le gouvernement envoient une bouée de sauvetage à l’industrie du disque, préférant criminaliser et réprimer les internautes.

Ne prenons-nous pas le problème à l’envers ? Pourquoi ne pas continuer à partager les œuvres entre particuliers pour faciliter la promotion des artistes tout en réfléchissant à de nouveaux modes de rémunération mutualisés ? Ici ou là, on évoque la licence globale comme une solution possible à envisager pour permettre une meilleure rémunération des auteurs, qu’attendons-nous pour poser clairement cette question ? Le temps est peut-être venu de proposer de nouveaux schémas. Est-ce que le fait de supprimer l’accès à Internet (qui doit être considéré comme un droit fondamental) à ceux qui téléchargent illégalement règlera définitivement les difficultés que connaît ce secteur? Posons-nous ces questions sérieusement, la culture ne s’en portera que mieux.